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Perspectives

Déclarations ESG : gestion des risques et des responsabilités pour les entreprises canadiennes

Les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont devenus une réalité presque omniprésente. Ils renvoient habituellement aux facteurs ESG qui peuvent avoir une incidence sur la valeur d’une entreprise et les décisions des investisseurs. Dans cet article, nous présentons certains dossiers pertinents et quelques considérations importantes pour aider les entreprises canadiennes qui font des déclarations ESG à gérer les risques réglementaires et de litiges.

Ce qu’il faut savoir

De nombreux actionnaires et consommateurs ont à cœur les enjeux ESG; votre comportement à cet égard peut donc vous permettre de vous démarquer. 

  • Le défaut de prendre des mesures suffisantes en ce qui concerne ces enjeux peut mener à des courses aux procurations ou nuire aux affaires. Les entreprises doivent comprendre les obligations légales entourant les divulgations ESG, car leur non-respect peut entraîner des sanctions.
  • Les entreprises doivent examiner et mettre à jour leur cadre ESG régulièrement afin de suivre l’évolution de leurs activités et des pratiques optimales du secteur. Elles doivent également choisir un cadre ESG adapté à leur public cible.
  • Pour réduire le risque de faire des déclarations fausses ou incohérentes, les conseils d’administration et les équipes de direction doivent établir un processus proactif afin d’examiner et d’approuver les divulgations ESG avant de les rendre publiques. Une vérification juridique approfondie est également conseillée.   
  • Les entreprises canadiennes doivent examiner soigneusement leurs divulgations ESG et s’assurer qu’elles cadrent avec leurs activités.
  • Les divulgations ESG doivent être adaptées à l’entité en question, mesurables et fondées sur des données vérifiables.

Aperçu des enjeux ESG

Bien qu’ils soient semblables au concept de responsabilité sociale d’entreprise, les enjeux ESG renvoient à des facteurs qui revêtent une importance financière et touchent un vaste éventail de questions, notamment les changements climatiques, l’esclavage moderne, la diversité, l’équité et l’inclusion. Ces dernières années, le marché et les actionnaires ont demandé aux entreprises de prendre des engagements liés aux facteurs ESG et de rendre compte de leur rendement à cet égard.

En réponse à cette demande, les entreprises prennent de plus en plus de mesures pour repérer et mesurer les facteurs ESG sur lesquels reposent leurs activités et divulguer les résultats connexes. Si ces divulgations étaient autrefois en grande partie volontaires, plusieurs ordres de gouvernement ont intégré les facteurs ESG à leurs obligations d’information. Cela a inévitablement mené à un risque accru de litiges et à d’autres mesures ayant pour but de tenir les entreprises responsables de leurs déclarations.

Facteurs ESG et litiges

Les risques réglementaires et de litiges liés aux facteurs ESG se classent généralement en deux grandes catégories. La première englobe les allégations de déclarations fausses ou trompeuses dans les divulgations ESG. Les présumées déclarations trompeuses exposent les entreprises à des mesures réglementaires et à des actions collectives menées par des consommateurs ou des investisseurs1. La deuxième catégorie comprend les réclamations mettant directement en cause le comportement d’une entreprise en matière d’ESG ou les lacunes perçues dans ses mesures ESG. Au Canada et ailleurs, on observe des tentatives de tenir les entreprises responsables de la conduite de leurs fournisseurs ou de leurs filiales à l’étranger2, et de les poursuivre pour la contribution de leurs émissions de gaz à effet de serre aux changements climatiques3

Même si une entreprise a gain de cause sur le fond, le fait d’avoir à se défendre dans une affaire liée aux enjeux ESG peut s’avérer coûteux et nuire à sa réputation. Historiquement, de nombreux programmes et rapports sur les enjeux ESG n’ont fait l’objet que d’examens juridiques limités. Afin de réduire le risque de litiges et de sanctions réglementaires ou administratives, les entreprises doivent faire appel de manière proactive à des conseillers juridiques expérimentés pour examiner la façon dont elles abordent les questions ESG tout en évitant d’exagérer les engagements et mesures qu’elles prennent à cet égard. 

Considérations clés

Le défaut de prendre des mesures suffisantes en ce qui concerne les enjeux ESG peut mener à des courses aux procurations ou nuire aux affaires. 

La récente course aux procurations mettant en cause ExxonMobil et Engine No. 1 témoigne du pouvoir grandissant des enjeux ESG, qui peuvent même avoir une incidence sur les plus grandes sociétés ouvertes4. En mai 2021, Engine No. 1, un fonds spéculatif activiste détenant une participation de 0,02 % dans ExxonMobil, a fait valoir que le conseil d’administration d’ExxonMobil manquait d’expérience dans les secteurs pétrolier et gazier, que sa transition vers une économie à faibles émissions de carbone était lente et que l’entreprise se caractérisait par un rendement inférieur et un surendettement par rapport à ses pairs. Engine No. 1 a proposé la nomination de quatre candidats au conseil d’administration, lequel compte 12 membres. Trois d’entre eux ont été élus et ont remplacé des administrateurs en exercice. Engine No. 1 a reçu le soutien de trois grands actionnaires d’ExxonMobil : Vanguard, BlackRock et State Street.

La réussite de la campagne d’Engine No. 1 à l’endroit d’ExxonMobil pourrait être un signe avant-coureur des choses à venir pour les sociétés ouvertes canadiennes, surtout dans le secteur des ressources naturelles. Les grands investisseurs institutionnels canadiens s’attendent de plus en plus à ce que les entreprises prennent des mesures à l’égard des enjeux ESG. Le 25 novembre 2020, les chefs de la direction de huit gestionnaires de régimes de retraite canadiens représentant environ 1,6 T$ en actifs sous gestion ont publié un communiqué conjoint demandant aux entreprises de mesurer et de divulguer leurs résultats liés à des facteurs ESG importants et pertinents pour le secteur.

Deux grandes sociétés de conseil en vote par procuration, Glass Lewis et Institutional Shareholders Services (ISS), ont déclaré publiquement qu’elles pourraient recommander de voter contre certains administrateurs si leur entreprise ne traitait pas adéquatement les questions ESG ou ne divulguaient pas convenablement leurs résultats connexes. Dans ses lignes directrices de 2022, Glass Lewis recommande de voter « généralement » contre le président d’un comité de gouvernance d’une société inscrite à l’indice S&P/TSX 60 qui ne fournit pas des renseignements adéquats concernant la surveillance exercée par ses administrateurs sur les questions environnementales ou sociales. Dans la même optique, ISS a déclaré qu’elle recommandera, dans des situations exceptionnelles, de voter contre des administrateurs, des membres de comité ou des conseils d’administration, ou de s’abstenir de voter pour eux, lorsque la surveillance des risques liés aux questions environnementales et sociales, y compris les changements climatiques, est manifestement insuffisante. Compte tenu du langage circonspect utilisé dans ces lignes directrices (c.-à-d. « recommande généralement » et « situations exceptionnelles »), il existe une vaste zone grise quant à savoir si et quand elles seront invoquées. Néanmoins, ces lignes directrices signifient qu’un changement s’opère chez les conseillers institutionnels et qu’ils prennent davantage en compte les enjeux ESG.

De nombreuses entreprises canadiennes sont déjà légalement tenues de divulguer des renseignements sur les facteurs ESG, et de nouvelles obligations entreront bientôt en vigueur. Les entreprises doivent connaître et comprendre ces obligations, car leur non-respect peut entraîner des sanctions.

À titre d’exemple, aux termes de la législation en valeurs mobilières canadienne et des instruments connexes, les émetteurs assujettis doivent communiquer des renseignements importants dans leurs documents d’information continue ainsi que dans d’autres contextes5. Les facteurs ESG pourraient déjà être déterminants pour un émetteur et faire l’objet d’obligations de divulgation (dès maintenant ou dans l’avenir).

En réponse à la crise comptable des sociétés ouvertes de 2002 et 2003, de nouvelles règles et pratiques de gouvernance d’entreprise ont été élaborées et mises en œuvre. La loi Sarbanes-Oxley a été promulguée aux États-Unis, alors qu’au Canada, les organismes de réglementation des valeurs mobilières provinciaux ont adopté une série de politiques et d’instruments, y compris l’Instruction générale 58-201 relative à la gouvernance et le Règlement 58-101 sur l’information concernant les pratiques en matière de gouvernance.

Sur le plan de l’écologie, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié des indications sur la manière dont les émetteurs peuvent cibler les renseignements importants sur l’environnement et les changements climatiques6. Les ACVM ont également publié le projet de Règlement 51-107 sur l’information liée aux questions climatiques (projet de règlement) et une instruction générale connexe pour une période de consultation de 90 jours. Le projet de règlement obligerait certains émetteurs assujettis à fournir de l’information liée aux changements climatiques conformément aux recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC), sous réserve de quelques modifications. Le projet de règlement est globalement conforme aux initiatives des organismes de réglementation des marchés d’autres territoires comme les États-Unis, l’Union européenne, Hong Kong, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande7

En ce qui concerne les facteurs sociaux et de gouvernance, les sociétés ouvertes constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (L.R.C. [1985], ch. C-44) (LCSA) doivent fournir à leurs actionnaires des données sur la diversité des administrateurs et des membres de la haute direction8. Cela va bien au-delà des exigences actuelles de divulgation sur la représentation des femmes au sein des conseils d’administration en vertu du Règlement 58-101 et du formulaire 58-101F1. Les prochaines modifications à la LCSA exigeront la divulgation de renseignements sur la rémunération de la haute direction et le bien-être des salariés, retraités et pensionnés9

Les directives sur les divulgations ESG dans le secteur des fonds d’investissement ont évolué rapidement depuis un an. En novembre 2021, le CFA Institute a publié ses Global ESG Disclosure Standards for Investment Products, premières normes mondiales non obligatoires régissant les divulgations sur la façon dont les gestionnaires de placement tiennent compte des enjeux ESG dans les objectifs, le processus de placement et les activités de gérance de leurs produits. BLG a publié un article offrant une analyse détaillée de ces normes, qui visent à aider les parties prenantes à comprendre, à comparer et à évaluer les produits de placement axés sur les facteurs ESG. Peu après, soit le 19 janvier 2022, les ACVM ont publié l’Avis 81-334 du personnel : Information des fonds d’investissement au sujet des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, qui suggère des pratiques optimales visant à améliorer la divulgation d’information et les communications publicitaires des fonds en ce qui a trait aux facteurs ESG.

Au Québec, l’Autorité des marchés financiers a publié un avis expliquant en quoi les obligations actuelles des émetteurs assujettis en matière de divulgation peuvent s’appliquer à l’esclavage moderne10. À l’échelle nationale, le projet de loi S-216, Loi édictant la Loi sur l’esclavage moderne et modifiant le Tarif des douanes, a franchi l’étape de la deuxième lecture au Sénat le 30 mars 2021. S’il était adopté, il obligerait certaines entités à faire rapport sur les mesures qu’elles prennent pour prévenir et atténuer le risque de travail forcé ou de travail effectué par des enfants à l’une ou l’autre étape de la production de marchandises canadiennes ou importées au Canada. Le projet de loi reflète des régimes de déclaration obligatoire déjà en place en Australie11 et au Royaume-Uni12.

Les entreprises importatrices et exportatrices doivent être conscientes des restrictions concernant le travail forcé. En vertu de l’article 23.1 de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique, l’importation de produits issus en entier ou en partie du travail forcé est interdite. Au Canada, cette interdiction est mise en œuvre par le Mémorandum D9-1-6 de l’Agence de services frontaliers du Canada (ASFC) et par des mesures publiées par Affaires mondiales Canada ciblant les marchandises originaires de la province chinoise du Xinjiang. Selon ces dispositions, les importateurs doivent effectuer un contrôle diligent des marchandises, conformément aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme ou aux Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. En ce qui a trait aux marchandises provenant du Xinjiang, les importateurs qui souhaitent profiter des services et du soutien du Service des délégués commerciaux d’Affaires mondiales Canada doivent signer une déclaration d’intégrité. Les nouveaux contrôles douaniers pourraient donner lieu à des différends avec l’ASFC et à des litiges avec le Tribunal canadien du commerce extérieur.

Bien que les mesures canadiennes soient relativement récentes, des mesures similaires sont en vigueur aux États-Unis depuis 2015. À l’heure actuelle, on compte 53 WRO (Withhold Release Order ou ordre de refuser la mainlevée de marchandises) en vigueur aux États-Unis en ce qui concerne le travail forcé13. Certains d’entre eux ont une grande portée. Par exemple, l’un des ordres cible l’ensemble des produits faits en tout ou en partie de coton turkmène. Au fil de leur évolution, les pratiques canadiennes pourraient s’inspirer des développements observés au sud de la frontière.

Nous recommandons aux entreprises de consulter des conseillers juridiques expérimentés pour rester au fait des obligations de divulgation nouvelles et à venir.

De nombreux actionnaires et consommateurs ont à cœur les enjeux ESG, et votre rendement à cet égard peut vous permettre de vous démarquer14

Il existe de bonnes raisons d’envisager des divulgations ESG qui vont au-delà de ce qui peut être exigé par la réglementation. Les entreprises doivent examiner et mettre à jour leur cadre ESG régulièrement afin de suivre l’évolution de leurs activités et des pratiques optimales du secteur.

Pour atténuer le risque lié aux divulgations ESG volontaires, les entreprises doivent examiner attentivement le cadre qu’elles utilisent pour mesurer les facteurs ESG et en rendre compte. Le fait de suivre les pratiques optimales du secteur en matière de divulgation ESG peut appuyer les affirmations d’une entreprise selon lesquelles elle a exercé un contrôle diligent ou respecté les normes appropriées. 

Les entreprises doivent connaître et envisager d’adopter les normes et cadres de divulgation ESG les plus en vue. Le GIFCC, le Carbon Disclosure Project et le Climate Disclosure Standards Board ont établi divers cadres permettant aux entreprises de divulguer des renseignements sur l’environnement et les changements climatiques15, alors que la Global Reporting Initiative fournit des normes permettant de mesurer les questions sociales et de gouvernance en plus des facteurs environnementaux. Les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales sont des cadres de contrôle diligent reconnus à l’échelle internationale pour ce qui touche les droits de la personne et les questions sociales. L’International Sustainability Standards Board de l’IFRS Foundation, la Value Reporting Foundation et les Objectifs de développement durable de l’ONU proposent d’autres normes réputées en ce qui a trait aux cadres ESG16.

Compte tenu de l’intérêt croissant pour les rapports ESG, nous pouvons nous attendre à une évolution des pratiques optimales et à une possible unification des normes mondiales. En septembre 2020, cinq institutions établies responsables de l’établissement de cadres et de normes se sont engagées à créer un système global de rapports d’entreprise qui viendrait compléter les principes comptables généralement admis. En juin 2021, l’Internal Integrated Reporting Council et le Sustainability Accounting Standards Board ont fusionné pour former la Value Reporting Foundation, qui supervise désormais l’élaboration de cadres de rapports intégrés et la création de normes et de paramètres ESG sectoriels. Depuis juin 2022, le Climate Disclosure Standards Board et la Value Reporting Foundation forment ensemble l’International Sustainability Standards Board de l’IFRS Foundation.

Une entreprise doit d’abord réfléchir à son auditoire et déterminer le cadre de divulgation approprié. Par exemple, si les investisseurs sont le public visé par les divulgations ESG, une entreprise peut choisir un cadre orienté vers la matérialité et les risques financiers, comme les normes SASB publiées par la Value Reporting Foundation. En revanche, si les divulgations ESG visent des parties prenantes autres que les investisseurs, des normes plus larges telles que la Global Reporting Initiative ou les Objectifs de développement durable de l’ONU pourraient s’avérer pertinentes. Pour choisir un cadre de divulgation approprié, les entreprises doivent cibler les facteurs ESG qui présentent les occasions et les risques les plus importants pour l’émetteur à court, moyen et long terme. Pour ce faire, il faut prendre en compte les activités de l’entreprise, la chaîne d’approvisionnement et les tendances générales du secteur.

Les mesures réglementaires et les litiges liés à des déclarations ESG fausses ou trompeuses se multiplient dans le monde entier. Au cours des dernières années, des organismes de réglementation américains et canadiens ont poursuivi des entreprises pour des déclarations fausses et trompeuses présumées. 

Par exemple, la procureure générale de New York a intenté une poursuite contre ExxonMobil, alléguant que l’entreprise avait publié des données trompeuses sur le coût supplétif du carbone. La poursuite a été rejetée, mais une action semblable intentée par la procureure générale du Massachusetts et des actionnaires est en cours17. En Californie, l’ancienne procureure générale Kamala Harris a poursuivi des entreprises pour de présumées fausses déclarations (écoblanchiment) sur la recyclabilité de leurs produits. Aux États-Unis et ailleurs, des particuliers intentent désormais eux-mêmes des poursuites contre des entreprises qu’ils accusent d’écoblanchiment18. Les entreprises canadiennes seraient bien avisées de revoir leurs divulgations ESG à la lumière de ces tendances juridiques.

Aux termes de la législation en valeurs mobilières canadienne, les émetteurs qui font de fausses déclarations peuvent être soumis à des dispositions législatives concernant l’information prospective et, du côté du marché secondaire, voir leur responsabilité civile engagée. Les ACVM, y compris la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario et la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique, ont récemment examiné les pratiques et déclarations ESG de certains gestionnaires de fonds d’investissement, gestionnaires de portefeuille et courtiers sur le marché non réglementé qui participent à l’investissement ESG. Cette démarche fait suite à une étude semblable menée par la Securities and Exchange Commission des États-Unis.

En vertu de la Loi sur la concurrence du Canada (L.R.C. [1985], ch. C-34) et des lois provinciales en matière de protection des consommateurs, les entreprises peuvent faire l’objet de mesures réglementaires ou voir leur responsabilité civile engagée pour des déclarations fausses ou trompeuses liées aux facteurs ESG. Le Bureau de la concurrence a mené des enquêtes et imposé des amendes pour des déclarations environnementales fausses ou trompeuses. Récemment, il est arrivé à un règlement avec Keurig concernant les allégations fausses ou trompeuses sur la recyclabilité des capsules à usage unique K-Cup. Keurig a accepté de payer une amende de 3 millions de dollars, de donner 800 000 $ à un organisme de bienfaisance voué à des causes environnementales, de verser 85 000 $ au Bureau pour ses frais encourus, de modifier ses déclarations et ses emballages, de publier des avis correctifs et d’améliorer son programme de conformité.

Autre exemple, en novembre 2021, Greenpeace Canada a déposé une plainte auprès du Bureau de la concurrence alléguant que les affirmations faites par Shell Canada dans son programme de conduite carboneutre constituaient de l’écoblanchiment. Le Bureau de la concurrence n’a pas encore pris de décision relativement à cette plainte.

Outre les mesures réglementaires, les entreprises qui font des déclarations ESG peuvent s’exposer à des litiges en droit privé, y compris des actions collectives. À titre d’exemple, des constructeurs automobiles ont fait l’objet d’actions collectives au Canada et ailleurs à la suite de déclarations portant sur les émissions de leurs moteurs diesel. Ces actions sont généralement fondées sur des allégations de manquement à la Loi sur la concurrence ou aux lois sur la protection des consommateurs, de négligence ou d’enrichissement injustifié. Aux États-Unis, des sociétés ouvertes ont également été confrontées à des litiges intentés par des investisseurs alléguant de fausses déclarations ESG. Il est fort probable que des actions collectives fondées sur des allégations de fausses déclarations dans les prospectus ou sur le marché secondaire soient bientôt intentées au Canada.

Lorsqu’elles font des déclarations publiques et divulguent des renseignements sur les facteurs ESG dans leur prospectus, les entreprises doivent s’assurer de ne pas faire de fausses déclarations et de ne pas se contredire. Dans la mesure du possible, les divulgations ESG doivent être adaptées à l’entité en question, mesurables et fondées sur des données vérifiables. Elles doivent aussi comprendre les mises en garde nécessaires. Pour réduire le risque de faire des déclarations fausses ou incohérentes, les conseils d’administration et les équipes de direction doivent établir un processus solide pour examiner et approuver les divulgations ESG avant de les rendre publiques. Une vérification juridique approfondie est également conseillée.

En plus des litiges et des mesures réglementaires fondées sur des déclarations ESG prétendument fausses ou trompeuses, on observe une croissance internationale des litiges portant sur le rendement ESG des entreprises ou les lacunes perçues à cet égard. 

Certaines entreprises canadiennes ont fait face à des poursuites alléguant la négligence ou l’inconduite de leurs filiales ou de leurs fournisseurs à l’étranger. À ce jour, la plupart de ces poursuites n’ont pas abouti. Par exemple, dans l’affaire Das v. George Weston Limited, 2018 ONCA 1053 (Das), la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé le rejet d’une action collective concernant l’effondrement d’un immeuble au Bangladesh. L’une des entreprises qui exerçaient des activités dans le bâtiment produisait à l’époque des vêtements pour un détaillant canadien. En rejetant d’abord l’action collective proposée, le juge Perell de la Cour supérieure de justice de l’Ontario avait affirmé que l’imposition de la responsabilité était injuste puisque les défendeurs n’étaient pas responsables de la vulnérabilité des demandeurs, n’avaient pas créé le milieu de travail dangereux et n’avaient aucun pouvoir sur les circonstances dangereuses ni sur les employeurs, employés ou autres occupants du bâtiment Rana Plaza19

Les plaintes relatives à des violations présumées des droits de la personne ont connu un succès limité à l’étranger, du moins au stade préliminaire. Par exemple, dans l’arrêt Garcia, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a renversé un sursis visant une réclamation déposée contre Tahoe Resources à propos d’actes présumés du personnel de sécurité du secteur privé employé par une mine du Guatemala appartenant à l’une de ses filiales. Plus tôt, dans l’affaire Choc v. Hudbay Minerals Inc., 2013 ONSC 1414, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a refusé de rejeter une plainte fondée sur des faits semblables. Dans le dossier Nevsun, trois travailleurs érythréens ont intenté une action contre Nevsun Resources en Colombie-Britannique, affirmant qu’ils avaient été conscrits, par l’entremise de leur service militaire, dans un régime de travail forcé pour une mine exploitée par une société érythréenne détenue à 60 % par Nevsun. À l’instar de l’arrêt Garcia, l’affaire a été réglée avant qu’une décision n’ait été prise sur le fond. La Cour suprême du Canada a toutefois confirmé que les sociétés mères peuvent être tenues responsables des violations du droit international coutumier découlant des actions de leurs filiales à l’étranger.

Dans d’autres territoires, des entreprises ont fait l’objet de litiges visant à les tenir responsables de l’incidence de leurs émissions de gaz à effet de serre sur les changements climatiques. Aux États-Unis, ces efforts se sont avérés infructueux jusqu’à présent, bien que cela n’ait pas empêché certains plaignants de présenter de nouvelles demandes créatives20. Tout récemment, dans l’affaire Milieudefensie, le tribunal de première instance de La Haye a ordonné à Royal Dutch Shell plc (Shell) de réduire ses émissions de CO2 de 45 % en 2030 par rapport aux niveaux de 201921. Dans ce dossier, les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme sont décrits comme un instrument juridique non contraignant reconnu mondialement comme faisant autorité et convenables pour ce qui est d’interpréter la norme non écrite de diligence22.Ces principes servant de référence en matière de droits de la personne et de contrôle diligent ESG, il est possible qu’un tribunal de common law adopte un raisonnement similaire pour formuler une norme de diligence en matière de négligence. 

Les entreprises des secteurs vestimentaire, minier, pétrolier et gazier doivent également être conscientes de la possibilité qu’une plainte soit déposée au Bureau de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE). L’OCRE a pour mandat d’examiner les allégations d’atteintes aux droits de la personne visant des entreprises canadiennes qui exercent leurs activités à l’étranger, de formuler des conclusions sur leur conduite et d’adresser des recommandations au ministre du Commerce international et aux entreprises concernées. La publication de tels rapports peut entraîner la perte de services d’appui au commerce et nuire à la réputation des entreprises.

Enfin, les dirigeants et les administrateurs de sociétés constituées en vertu de la LCSA pourraient faire face à une pression accrue de la part des investisseurs et d’autres parties prenantes pour qu’ils tiennent compte des facteurs ESG dans l’exercice de leurs pouvoirs et de leurs fonctions au nom de la société. En 2019, le Parlement a adopté l’article 122(1.1) de la LCSA pour permettre aux dirigeants et aux administrateurs de tenir compte de divers intervenants, de l’environnement et des intérêts à long terme de la société lorsqu’ils agissent en faveur de cette dernière. Ces modifications viennent codifier certains principes liés aux responsabilités des administrateurs décrites dans l’arrêt BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, 2008 CSC 69. Bien que les facteurs énoncés à l’article 122(1.1) ne soient pas contraignants, les administrateurs et les dirigeants pourraient devoir en tenir compte lorsqu’ils exercent leurs obligations fiduciaires, sans quoi ils risqueraient de faire l’objet d’allégations de manquement à ces obligations. 

L’article 122(1.1) de la LCSA pourrait mener à une obligation légale de prendre en compte les facteurs ESG, comme c’est le cas pour les administrateurs au Royaume-Uni23. Au Canada, les entreprises peuvent déjà choisir d’imposer la prise en compte des facteurs ESG dans l’exercice de leurs activités. Les entreprises qui obtiennent la certification B Corp sont tenues de modifier leurs statuts et d’y inclure une exigence selon laquelle les administrateurs doivent prendre en compte des facteurs qui reflètent ceux présentés dans l’article 122(1.1) de la LCSA. Dans la même optique, les sociétés d’intérêt social, aux termes de la Business Corporations Act, S.B.C. 2002, ch. 57 de la Colombie-Britannique, doivent inclure dans leurs statuts un engagement à mener leurs activités « d’une manière responsable et durable » (comme défini dans la loi). Bien que la certification B Corp et le statut de société d’intérêt social soient volontaires, elles peuvent susciter des attentes chez les investisseurs.

Cette tendance à la hausse de tenter de tenir les entreprises responsables de leur rendement ESG devrait se poursuivre. Les entreprises canadiennes doivent être prêtes à justifier leurs agissements sur les plans environnementaux, sociaux et de gouvernance au pays et à l’étranger.

Même si les déclarations ESG sont exactes, elles peuvent être utilisées comme preuve dans un litige visant à déterminer si une entreprise a rempli ses obligations légales. 

À titre d’exemple, dans l’arrêt Milieudefensie susmentionné, le tribunal de première instance de La Haye s’est servi des engagements environnementaux et des déclarations publiques de Shell pour prouver que l’entreprise n’avait pas pris de mesures suffisantes pour respecter la norme de diligence non écrite prévue par le Code civil néerlandais. Dans l’affaire Das v. George Weston Limited, dont il est aussi question ci-dessus, les demandeurs se sont appuyés sur les normes de responsabilité sociale adoptées volontairement par l’entreprise et intégrées à son code de conduite à l’intention des fournisseurs pour faire valoir qu’elle devait être tenue responsable des actions de ses fournisseurs au Bangladesh. Bien que la poursuite n’ait pas abouti, elle sert d’avertissement quant au fait que les tribunaux peuvent examiner les promesses et les engagements d’une entreprise en matière d’ESG afin de déterminer si elle doit être tenue légalement responsable d’une faute présumée.

Des décisions récentes au Canada et au Royaume-Uni suggèrent que les déclarations ESG publiques peuvent permettre aux plaignants de contourner le « voile de la personne morale » et de poursuivre directement une société mère pour les actes de ses filiales. Les sociétés mères poursuivies pour les actions de leurs filiales à l’étranger doivent connaître le droit matériel du territoire en question, lequel pourrait s’appliquer aux actions en responsabilité délictuelle intentées au Canada.

Dans l’affaire Choc v. Hudbay Minerals Inc., les demandeurs alléguaient que le personnel de sécurité des filiales d’une société mère canadienne avait violé des droits de la personne au Guatemala. La société mère avait déclaré publiquement que son personnel et ses sous-traitants au Guatemala avaient adopté les Principes volontaires sur la sécurité et les droits de la personne. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a considéré que ces déclarations publiques, entre autres facteurs, témoignaient d’une relation de proximité entre les défendeurs et les demandeurs. L’affaire n’a pas été tranchée sur le fond, mais la Cour a autorisé la poursuite des actions en négligence des demandeurs.

Deux décisions récentes de la Cour suprême du Royaume-Uni viennent confirmer la tendance à considérer les déclarations ESG comme une base pour établir la responsabilité des sociétés mères. Dans les arrêts Vedanta Resources PLC & Anor v. Lungowe & Ors, [2019] UKSC 20 (Vedanta) et Okpabi & Ors v. Royal Dutch Shell Plc & Anor [2021] UKSC 3 (Okpabi), les demandeurs ont poursuivi des sociétés mères établies au Royaume-Uni pour les actions de leurs filiales en Zambie et au Nigeria, respectivement. Dans chaque cas, les plaignants ont invoqué des déclarations et des politiques publiées par les sociétés mères afin d’établir un lien entre les défendeurs et les préjudices allégués à l’étranger.

Dans les arrêts Vedanta et Okpabi, la Cour suprême du Royaume-Uni a autorisé la poursuite du procès. La Cour a statué que la responsabilité des sociétés mères à l’égard des tiers engagée par des filiales situées à l’étranger doit être déterminée par les principes ordinaires et généraux de la responsabilité civile. Une société mère peut avoir un devoir de diligence envers des tiers lorsque, dans des documents publiés, elle affirme exercer un degré particulier de supervision et de contrôle sur ses filiales, et ce, même si elle ne le fait pas en réalité. Bien qu’aucune de ces affaires n’ait été tranchée sur le fond, la Cour d’appel de l’Ontario a déjà cité les arrêts Vendanta et Okpabi dans l’examen de la responsabilité délictuelle potentielle de sociétés mères24.  

Maintenant que les plaignants s’appuient sur les déclarations et engagements ESG des sociétés pour tenter d’établir une base de responsabilité quant à leurs actions ou leur inaction devant les tribunaux, les entreprises canadiennes doivent examiner soigneusement leurs divulgations ESG et s’assurer qu’elles cadrent avec leurs activités. Tout comme la vérification des programmes de contrôle diligent, un examen juridique précoce des divulgations ESG pourrait s’avérer utile. 

Tout comme la vérification des programmes de contrôle diligent, un examen juridique précoce des divulgations ESG pourrait s’avérer utile. 

Conclusion

Les entreprises doivent porter un regard critique sur l’exactitude et la structure de leurs déclarations liées aux facteurs ESG afin de se protéger contre d’éventuelles contestations judiciaires ou mesures réglementaires. De plus, elles doivent définir clairement la portée de leurs engagements relatifs aux questions ESG tout en s’assurant de respecter leurs obligations légales et de satisfaire les attentes du marché en matière de divulgation. Enfin, les entreprises doivent examiner leurs polices d’assurance afin de déterminer si les réclamations liées aux enjeux ESG sont couvertes. 

Accorder toujours plus de place aux facteurs ESG offre de nombreux avantages, mais les entreprises devront composer avec de nouvelles responsabilités juridiques et de nouveaux risques en matière de litige. Des conseillers juridiques aguerris peuvent aider les entreprises à y arriver en toute confiance.

Si vous souhaitez en apprendre davantage sur la façon de structurer et de définir les déclarations ESG de votre entreprise ou si vous avez des questions sur l’incidence des facteurs ESG sur la valeur de votre organisation et les décisions des investisseurs, n’hésitez pas à communiquer avec l’autrice ou les auteurs du présent article, ou avec l’une des personnes-ressources ci-dessous.

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