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Du harcèlement psychologique qui coûte cher à l’employeur…

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Le 18 octobre dernier, le Tribunal administratif du travail (« TAT ») a rendu une décision faisant suite à de multiples plaintes pour harcèlement psychologique déposées par 11 travailleurs étrangers à l’encontre d’une agence de placement de personnel. Ainsi, il a octroyé à chacun d’entre eux des sommes variant de 20 000 à 30 000 $ au titre des dommages moraux, en plus d’un montant de 5 000 $ chacun au titre des dommages punitifs.1

Rappel sommaire des faits

La trame factuelle regroupe 11 travailleurs ayant tous vécu des faits similaires. Ceux-ci sont arrivés au Canada en provenance du Guatemala en vertu d’un permis de travail fermé leur donnant le droit de travailler uniquement pour un employeur désigné. Malgré cette restriction, les plaignants ont, un à un, quitté leur employeur pour entrer au service d’Entreprise de placement Les Progrès inc. (la « défenderesse »), une agence de placement de salariés œuvrant notamment dans le domaine agricole. Même si, à première vue, les plaignants ont de leur propre gré dérogé à une des restrictions imposées par leur permis de travail, ceux-ci plaident qu’ils ont été trompés par l’agence en se faisant attirer sur la base de fausses promesses, notamment de meilleures conditions de travail et, surtout, le fait que ce changement d’employeur était légal auprès des autorités d’Immigration Canada.

Les plaignants allèguent ainsi avoir subi du harcèlement psychologique de la part du président de la défenderesse, de sa conjointe ainsi que d’un tiers, conseiller en immigration d’un cabinet privé, pendant toute la durée de leur emploi. Ce faisant, ils déposent des plaintes selon l’article 123.6 de la Loi sur les normes du travail (« LNT »).

Parmi les allégations, notons le stratagème malhonnête utilisé pour recruter les travailleurs et le paiement des honoraires du conseiller en immigration pour modifier leur permis de travail totalisant 42 000 $, alors qu’aucune démarche en ce sens n’avait finalement été entreprise. De plus, le TAT ajoute que plusieurs normes minimales de la LNT n’ont pas été respectées (salaire minimum, paiement des heures supplémentaires, jour de repos, etc.). Les travailleurs résidaient dans des appartements qui appartenaient au président de l’agence et à sa conjointe, où ils étaient mal nourris, soumis à des règles excessives et intrusives, et étaient sans cesse surveillés. On leur avait de plus confisqué leur passeport, leur permis de travail et leur carte d’assurance sociale. Enfin, les travailleurs se faisaient constamment insulter et ils étaient même menacés d’être malmenés; ces menaces de voies de fait étaient de surcroît dirigées aussi aux membres de leur famille au Guatemala.

Cette fâcheuse histoire a finalement pris fin lorsque les plaignants ont été arrêtés par des agents des services frontaliers du Canada.

Après avoir conclu au caractère vexatoire de la conduite de la défenderesse, le TAT poursuit son analyse afin de déterminer le montant des dommages moraux devant être attribués à chacun des plaignants. Ce faisant, il tient compte notamment de la durée et de l’intensité des agissements de la défenderesse et de la situation particulière ayant été vécue par chaque ouvrier individuellement. Ainsi, il attribue les montants de 30 000 $ aux travailleurs ayant été recrutés plus tôt et subi du harcèlement entre 12 et 18 mois, de 25 000 $ aux travailleurs en ayant subi pendant près de 3 mois et de 20 000 $ au groupe de travailleurs ayant été victime de harcèlement pendant près de 6 semaines.

Pour ce qui des dommages punitifs, le Tribunal accorde 5 000 $ à chacun des 11 plaignants, après avoir considéré la gravité et le caractère hautement répréhensible des actes commis par l’employeur. La situation particulièrement vulnérable des travailleurs et le harcèlement discriminatoire dont ils ont été victimes en raison de leur origine ethnique ont d’ailleurs été jugés comme des facteurs aggravants.

Rappel pour les employeurs

Cette décision, en plus de constituer un exemple de cas extrême de harcèlement psychologique, vient rappeler aux employeurs la gravité d’une telle conduite, particulièrement lorsque les actes fautifs sont posés par le président de l’entreprise lui-même. En effet, l’employeur a l’obligation de prévenir et de faire cesser le harcèlement en milieu de travail, et donc une plainte de harcèlement sera plus sévèrement sanctionnée lorsque les agissements proviennent de l’un de ses représentants.

Un précédent onéreux

Il s’agit d’ailleurs du plus haut montant accordé par le TAT au titre des dommages moraux pour une plainte en harcèlement psychologique (30 000 $ pour une plainte prise individuellement). Il ne s’agit toutefois pas du montant le plus élevé lorsqu’on considère le total des dommages moraux et punitifs (35 000 $). En effet, dans la dernière année, deux décisions ont accordé respectivement 30 000 $ (15 000 $ pour dommages moraux et 15 000 $ pour dommages punitifs)2 et 40 000 $ (25 000 $ et 15 000 $)3. Il s’agissait dans les deux décisions de harcèlement psychologique exercé par un représentant de l’employeur.

Ces décisions viennent donc confirmer la tendance des tribunaux à vouloir condamner plus sévèrement le harcèlement psychologique en milieu de travail et à réparer le préjudice moral subi par les victimes. Cela s’inscrit d’ailleurs dans la lignée des nouveaux changements législatifs apportés à la LNT concernant le dépôt d’une plainte pour harcèlement psychologique, laquelle peut maintenant être déposée dans les deux ans suivant la dernière manifestation de la conduite vexatoire.