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Perspectives

Commentaire de jurisprudence : Maison St-Patrice inc. et Cusson, 2016 QCTAT 482 : exclusion de preuves de filature sur Facebook au Québec — un point de vue minoritaire

Cette affaire traite de l'admissibilité en preuve de contenu affiché sur Facebook. Cette question a été soulevée dans le contexte d'une audience devant la Division de la santé et de la sécurité du travail du nouveau Tribunal administratif du travail du Québec. Ce tribunal est le fruit de la fusion, en date du 1er janvier 2016, de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles.

L'employeur souhaitait présenter un élément de preuve tiré subrepticement du profil Facebook de la travailleuse.

La question de l'admissibilité de la preuve s'est posée lors de la première audience alors que la travailleuse n'était pas représentée par avocat. Le juge administratif a, de sa propre initiative, soulevé la question de l'admissibilité de cet élément de preuve, sans attendre que la travailleuse soulève une objection, en invoquant l'article 2858(1) du Code civil du Québec :

2858. Le tribunal doit, même d'office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Lors d'une audience distincte, le Tribunal a demandé une preuve à l'effet que l'élément de preuve provenant de Facebook n'avait pas été obtenu de façon illégale.

Dans son témoignage, la travailleuse a affirmé que les paramètre de sa page Facebook étaient réglés pour être privé et que deux anciens collègues avaient été ses « amis » Facebook, mais qu'ils ne l'étaient plus. L'employeur avait à une certaine époque demandé à la travailleuse de lui fournir des renseignements sur une collègue qui provenaient de Facebook, ce qu'elle avait refusé de faire. La directrice générale de l'employeur a indiqué avoir reçu les publications Facebook de la travailleuse de sa prédécesseure, qui avait refusé de divulguer le nom de sa source. Par ailleurs, la travailleuse a confirmé à l'audience que les copies de son profil Facebook en la possession de l'employeur étaient authentiques.

Le juge administratif a d'abord fait référence à une décision rendue antérieurement par le Tribunal selon laquelle il semble y avoir unanimité quant au caractère public de l'information affichée sur Facebook et que même l'utilisation de paramètres privés n'aura pas nécessairement pour effet de rendre un élément de preuve Facebook inadmissible, s'il n'est pas illégalement obtenu. Toutefois, il pourrait être inadmissible si les paramètres privés sont utilisés et que le nombre d'« amis » est limité. Cela dit, l'accès illicite est une toute autre histoire.

Le juge administratif a ensuite fait référence à une importante décision de la Cour d'appel du Québec en matière de vie privée, dans laquelle on laisse entendre que la surveillance est en soi une atteinte à la vie privée qui peut toutefois être nécessaire si elle est justifiée, c'est-à-dire si elle est menée pour des motifs rationnels et par des moyens raisonnables.

Les motifs rationnels ne doivent pas s'entendre de simples doutes, d'une intuition ou de vagues soupçons ou encore de rumeurs.

Pour être raisonnables, les moyens de surveillance doivent être utilisés de la façon la moins intrusive qui soit et être aussi limités que possible.

Dès qu'un tribunal se prononce sur le caractère raisonnable d'éléments de preuve obtenus au moyen d'une filature, il doit se demander si leur admission en preuve déconsidère l'administration de la justice. Ceci requiert que soit soupesée l'atteinte au droit du travailleur à la vie privée avec la mission qui incombe au tribunal de rechercher la vérité. À cette fin, le tribunal doit évaluer la gravité de l'atteinte à la vie privée et les valeurs sociétales qui sont en jeu dans l'affaire en question.

Selon le courant jurisprudentiel majoritaire, la preuve obtenue de façon illégale pourrait quand même être admise si le fait de ne pas l'admettre aurait pour effet de déconsidérer l'administration de la justice en ne permettant pas à la vérité de prévaloir.

Le juge administratif en l'espèce est d'un avis différent, avis que partage la minorité des membres de la Division de la santé et de la sécurité du travail du Tribunal administratif du Québec.

Selon ces membres, la preuve obtenue à l'aide d'une filature sans motif rationnel déconsidère nécessairement l'administration de la justice et doit être exclue dans tous les cas. Selon eux, une conclusion contraire reviendrait à permettre que la fin justifie les moyens.

Sur ce fondement, et compte tenu du fait que l'employeur n'a pas fait valoir qu'il avait un motif rationnel de faire en sorte d'obtenir le profil Facebook de la travailleuse, la preuve qu'il a présentée a été rejetée.

Il faut se rappeler que les tribunaux permettent à différents courants jurisprudentiels de coexister dans l'enceinte d'un tribunal administratif. Les membres d'un tribunal n'ont aucune obligation de se ranger à l'avis de la majorité. Les tribunaux s'abstiendront d'intervenir dans une révision judiciaire pour décider quel courant est le meilleur. En pareils cas, malheureusement, on peut véritablement dire que « tout dépend du juge ».

Raison de plus d'user de prudence au moment d'évaluer un cas de filature possible. Rien ne sert de rassembler pareils éléments de preuve par filature si, au final, le juge risque de ne pas en tenir compte.

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