une main qui tient une guitare

Perspectives

La Cour supérieure du Québec relance le débat sur la portée du droit maritime au canada

Transport Desgagnés Inc. c. Wärtsilä Canada Inc., 2015 QCCS 5514

En bref

Dans une affaire qui soulève des questions constitutionnelles, la Cour supérieure du Québec a conclu que la vente d'un bâti de base et d'un arbre à vilebrequin n'est pas visée par le droit maritime au Canada. Par conséquent, le vendeur n'est pas habilité à invoquer les règles sur les vices cachés qui figurent dans le Code civil du Québec pour limiter sa responsabilité. La Cour d'appel de la province est actuellement saisie de la cause.

Résumé de la cause

(i) Faits

Transport Desgagnés Inc. (« Desgagnés ») exploite une flotte de navires dans les eaux canadiennes et internationales. En février 2007, l'entreprise a acheté auprès du groupe Wärtsilä (« Wärtsilä ») un nouveau bâti de base et un arbre à vilebrequin remis en état pour l'un de ses navires. Wärtsilä a assemblé l'arbre à vilebrequin et l'a monté sur le bâti de base en novembre 2006 avant de livrer le tout à Desgagnés en février 2007. Or, en octobre 2009, après plus de 13 000 heures de fonctionnement, l'arbre à vilebrequin a subi une panne catastrophique pendant que le navire se trouvait près des Escoumins, au Québec, ce qui a occasionné des dommages qui, de l'accord des deux parties, sont supérieurs à 5,6 M$.

(ii) Arguments

On ne remettait pas en question le fait que la panne était due au serrage insuffisant de l'une des bielles. Desgagnés a soutenu que l'arbre à vilebrequin était défectueux et mal installé au moment où il a été livré. Wärtsilä a fait valoir de son côté que c'était Desgagnés qui avait mal serré la bielle après un entretien courant. Elle a aussi affirmé que, selon les modalités du contrat de vente que les parties avaient signé, Desgagnés avait convenu que la clause de responsabilité était limitée. Desgagnés a répondu que le contrat était régi par le Code civil du Québec et que, en conséquence, la clause de limitation de la responsabilité n'était pas valide en l'espèce.

(iii) Décision

Les deux principales questions en jeu sont les suivantes : A) la transaction est-elle régie par le droit maritime au Canada ou le droit civil au Québec?; B) selon le droit applicable, Wärtsilä est-elle responsable des dommages ou est-elle habilitée à invoquer la clause de limitation de responsabilité?

A) Pour ce qui est du droit applicable, la Cour supérieure a conclu que le conflit entre les parties a trait à un contrat de vente. Or, ce type de contrat ne relève pas essentiellement de la compétence du Parlement fédéral pour ce qui est de la navigation et du transport maritime1. La Cour supérieure a conclu qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une loi fédérale uniforme qui prescrit les règles à suivre quant aux obligations du vendeur professionnel, car le fait que ces règles varient d'une province à l'autre ne fait pas obstacle à la conduite efficiente et harmonieuse des activités que sont la navigation et le transport maritime. Par conséquent, comme le contrat de vente a été conclu au Québec, ce sont les lois de cette province qui doivent s'appliquer, aux termes de l'autorité conférée aux provinces au chapitre de la propriété et des droits civils2.

B) En vertu des règles sur les vices cachés que contient le Code civil du Québec (« CCQ »), un vendeur doit garantir que le bien qu'il vend n'est pas affecté par un vice caché3. Lorsqu'il s'agit d'un vendeur professionnel, on présume qu'il existait un vice au moment de la vente si le bien vendu fonctionne mal ou se détériore prématurément4. Enfin, un vendeur professionnel ne peut exclure ni limiter sa responsabilité à moins de divulguer les vices dont il était conscient ou qu'il ne pouvait ignorer5. La Cour supérieure a conclu que ces dispositions s'appliquent en l'espèce — par conséquent, on présume que le vice existait au moment de la vente. Wärtsilä n'a pas contesté cette présomption. On suppose que Wärtsilä, en tant que vendeuse professionnelle, savait qu'il y avait un vice au moment de la vente et on considère donc qu'elle a agi de mauvaise foi. Cette conclusion emporte également l'invalidité de toute clause d'exclusion ou de limitation de la responsabilité. Prouver que le vendeur a agi de bonne foi ou qu'il ignorait qu'il existait un vice ne suffit pas à exonérer Wärtsilä de toute responsabilité : celle-ci doit démontrer que soit l'acheteur ou un tiers a occasionné le vice, soit seules des révélations scientifiques ou technologiques faites après la vente du bien auraient permis de découvrir le vice au moment de la vente.

Par conséquent, la Cour supérieure a déclaré que Wärtsilä est responsable des dommages occasionnés par le mauvais fonctionnement de l'arbre à vilebrequin.

(iv) Commentaires

Il semble que l'analyse constitutionnelle de la Cour supérieure soit entachée. Dans des décisions antérieures, comme Pêcheries Guy Laflamme inc. c. Capitaines propriétaires de la Gaspésie (A.C.P.G.) inc., 2015 CAF 78, la Cour fédérale avait conclu que les services offerts par une marina et une cale sèche font partie intégrante du droit maritime au Canada, selon ce que définit la Cour suprême du Canada dans l'arrêt ITO-Int'l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752.

Un contrat de vente et d'installation de plaques d'assise et d'arbres à vilebrequin serait sans aucun doute inclus dans le droit maritime au Canada selon ce qui est défini à l'article 2 de la Loi sur les Cours fédérales et est régi par ce droit. Or, en vertu du droit maritime au Canada, la clause de limitation de la responsabilité qui se trouve dans le contrat que Desgagnés et Wärtsilä ont conclu serait vraisemblablement considérée comme valide.

Bien que les provinces aient à première vue autorité sur les enjeux liés aux ventes commerciales, la question constitutionnelle en l'espèce est la suivante : la prépondérance et le principe de l'exclusivité des compétences s'appliquent-ils? Dans l'affirmative, il faudrait alors reconnaître que le droit provincial est inopérant ou sans effet.

Wärtsilä a interjeté appel auprès de la Cour d'appel du Québec (dossier 500-09-025791-153). Ce résumé sera mis à jour quand la Cour d'appel aura rendu le verdict final.


1 Article 91 (10) de l'AANB.

2 Article 92 (13) de l'AANB.

3 Article 1726 CCQ.

4 Article 1729 CCQ.

5 Article 1733 CCQ.

  • Par : Nils Goeteyn