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Perspectives

Le scandale du ballon dégonflé de la NFL — la seconde demie

Le 25 avril 2016, la Court of Appeals for the Second Circuit des États-Unis a renversé la décision de la District Court et rétabli la suspension qu'avait imposé le commissaire de la NFL Roger Goodell à Tom Brady des Patriots de la Nouvelle-Angleterre pour le rôle qu'il avait joué dans le scandale du ballon dégonflé.

En septembre 2015, nous vous avions parlé de la décision de la District Court des États-Unis d'annuler la suspension de quatre matchs que le commissaire de la NFL Roger Goodell avait imposée à Tom Brady des Patriots de la Nouvelle-Angleterre pour le rôle qu'il avait joué dans le scandale du ballon dégonflé (Deflategate) (Fantasy Football — Leçons à tirer du scandale appelé « Deflategate ») (version anglaise seulement).

Le 25 avril 2016, la Court of Appeals for the Second Circuit des États-Unis (la « Cour ») a renversé la décision de la District Court et rétabli la suspension. La Cour, qui avait agi dans le cadre des vastes pouvoirs qui lui ont été conférés par la NFL et la National Football League Players' Association (l'« association ») conformément à la convention collective des parties (la « convention collective »). La façon dont la Cour a analysé le devoir de réserve qui devrait être confié aux arbitres aux États-Unis est également pertinente dans le contexte juridique canadien.

Mais un bref retour en arrière s'impose pour comprendre ce « rebondissement ».

Pendant le deuxième quart du match de championnat de l'American Football Conference qui a opposé les Colts d'Indianapolis aux Patriots le 18 janvier 2015, un joueur des Colts a soupçonné que le ballon qu'il avait intercepté lors d'une passe ratée avait été gonflé en deçà de la pression minimale. À la mi-temps, il a été établi que la pression interne des onze ballons contrôlés par l'équipe locale des Patriots était dans les faits inférieure à la fourchette permise de 12,5 — 13,5 psi.

Dans les jours qui ont suivi le match, la NFL a retenu les services de Theodore V. Wells et d'un cabinet d'avocats pour qu'ils mènent une enquête indépendante afin de savoir s'il y avait eu altération de ballons avant ou pendant le match. Publié le 6 mai 2015, le rapport Wells, qui compte 139 pages, aboutissait aux conclusions suivantes, entre autres :

[Traduction]

  • « il est plus probable qu'improbable que deux des responsables de l'équipement des Patriots aient participé au dégonflement délibéré des ballons de match après que ceux-ci ont été examinés par l'arbitre;
  • il est plus probable qu'improbable que Brady ait été à tout le moins généralement au courant de l'altération, puisqu'il était peu probable qu'un responsable-adjoint de l'équipement et un préposé au vestiaire dégonflent les ballons de match sans que Brady en soit informé, l'approuve, en soit conscient ou y consente;
  • l'enquête a été gênée par le refus de Brady de donner accès à tout document ou renseignement électronique (messages textes et courriels compris)... »

Le 11 mai 2015, Brady a été avisé par Troy Vincent, vice-président directeur de la NFL, que le commissaire autorisait l'application d'une suspension de quatre matchs à Brady, conformément à l'article 46 de la convention collective, pour s'être engagé dans une [Traduction] « conduite préjudiciable à l'intégrité du football professionnel et à la confiance du public dans celui-ci ». L'avis disciplinaire faisait mention du fait que Brady était conscient et au courant de l'altération, ainsi que du fait qu'« il n'avait pas collaboré pleinement et franchement avec les enquêteurs, notamment en refusant de produire les preuves électroniques pertinentes... ».

Par l'entremise de l'association, Brady a fait appel de la suspension et le commissaire a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui accordait la convention collective d'agir en qualité d'agent d'audition (arbitre). L'association a également déposé une série de requêtes, dont une en vue d'obtenir que l'on retire l'affaire au commissaire.

Le commissaire a rejeté les requêtes et, le 23 juin 2015, il a tenu une longue audience pour analyser l'appel de la suspension de la part de l'association. Peu de temps avant l'audience, toutefois, on a appris qu'au début de mars 2015, le jour même où il devait être interrogé par l'équipe d'enquêteurs, Brady a demandé à son adjoint de détruire le téléphone cellulaire qu'il avait utilisé depuis le début de novembre 2014 jusqu'au match du championnat de l'AFC, bien qu'il ait su que les enquêteurs avaient demandé à l'obtenir.

Dans la décision qu'il a rendue le 28 juillet 2015, le commissaire a conclu que non seulement Brady n'avait pas collaboré à l'enquête, mais qu'il avait « fait un effort délibéré pour s'assurer » que les enquêteurs n'auraient jamais accès à l'information qu'ils lui avaient demandé de fournir. Le commissaire, qui agissait à titre d'arbitre, en a déduit que le cellulaire contenait des preuves préjudiciables concernant le rôle de Brady dans l'altération. Dans sa décision de maintenir la suspension, il a conclu que la conduite de Brady s'apparentait à celle d'un consommateur de stéroïdes qui tente d'obtenir un avantage concurrentiel à un match — par conséquent, la suspension de quatre matchs était justifiée.

Le conseil de gestion de la NFL a déposé une requête pour obtenir confirmation de la sentence arbitrale, alors que l'association a cherché à la faire annuler par la District Court. L'association a eu gain de cause. Le 3 septembre 2015, le juge Berman de la District Court a en effet annulé la suspension, au motif que la sentence du commissaire comportait des « lacunes juridiques importantes ». Mais la NFL a fait appel.

Dans une décision rendue le 25 avril 2016 à deux voix contre une, la Cour a renversé la décision du juge Berman et rétabli la suspension de quatre matchs infligée à Brady.

La Cour a d'abord expliqué que, puisque le conflit portait sur la revendication de droits aux termes d'une convention collective, son analyse était régie par la Labor Management Relations Act (la « LMRA »), qui établit une politique fédérale en faveur de la stabilisation de l'industrie au moyen d'une convention collective et pose en principe une nette préférence pour la résolution privée des conflits de travail, sans intervention de l'État. La Cour a confirmé que, puisque les conventions collectives sont négociées et peaufinées au fil du temps par les parties elles-mêmes pour tenir compte de leurs besoins, et comme les arbitres sont choisis par les parties en raison de leur expertise de l'entreprise particulière et de leur jugement fiable pour ce qui est d'interpréter et d'appliquer la convention, la révision de la décision d'un arbitre à laquelle peut se livrer un tribunal est « très limitée ». Soulignons que la Cour a précisé que sa fonction n'était pas de statuer sur le fond de la décision ni de déterminer si la sanction était la plus appropriée. Son rôle consistait plutôt à « enquêter uniquement sur la question de savoir si l'arbitre a agi dans les limites de ses pouvoirs, qui, en l'espèce, étaient ceux que prévoyait la convention collective ».

À la lumière de qui précède, la Cour en est arrivée aux conclusions suivantes :

  • la décision du commissaire de sanctionner Brady « reposait, de façon plausible, sur la convention collective des parties », ce qui était tout ce que la loi exigeait;
  • l'interprétation que le commissaire a donnée aux politiques en la matière pouvait aisément résister à un contrôle judiciaire parce qu'elle était à tout le moins « à peine spécieuse », ce qui également était tout ce que la loi exigeait;
  • la comparaison que le commissaire a faite entre la conduite de Brady et celle d'un consommateur de stéroïdes était légitime de sa part et n'exigeait pas de préavis à Brady;
  • la conclusion du commissaire portant que Brady a participé à l'altération était une réévaluation raisonnable des faits et de l'information communiquée lors de l'audience et relevait donc de sa compétence;
  • la déduction préjudiciable que le commissaire a tirée à l'égard de la destruction d'éléments de preuve était également de son ressort;
  • Brady a eu droit à un traitement équitable, sur le fond comme sur la forme.

En fin de compte, la Cour a conclu que [Traduction] « les parties avaient signé la convention collective afin de permettre expressément au commissaire de siéger comme arbitre..., sachant très bien que lui seul avait le pouvoir de déterminer ce que constituait une 'conduite préjudiciable' et, par conséquent, que le commissaire jouerait un rôle dans la sanction sous-jacente et dans chaque arbitrage » mené aux termes de la convention collective. La décision rendue par la District Court a par conséquent été annulée et la sentence arbitrale, confirmée.

Même si, au Canada, il n'y a ni LMRA ni possibilité de faire quatre essais, la décision montre de quelle façon les tribunaux s'en remettent aux arbitres, ou à d'autres tribunaux spécialisés. Notre Cour suprême a déclaré qu'il existe deux normes à appliquer en présence de demandes d'examen judiciaire. La « norme de la décision correcte » est utilisée à l'égard des questions de compétence et autres questions de droit. Toutefois, la « norme du caractère raisonnable » doit être appliquée aux décisions qui comportent des questions de fait, un pouvoir discrétionnaire et une politique, de même que des questions où les enjeux juridiques ne peuvent être facilement distingués des enjeux factuels. Par conséquent, une instance supérieure au Canada aurait tout à fait pu suivre la même voie que la Cour d'appel américaine.

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