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Perspectives

La Cour d'appel affirme que des dommages-intérêts moraux peuvent être accordés au titre de la souffrance morale provoquée par l'inconduite de l'employeur

Le 15 février 2017, la Cour d'appel de l'Ontario a publié une importante décision dans l'affaire Doyle Zochem Inc. 2017 ONCA 130, par laquelle elle confirme que des dommages-intérêts moraux peuvent être accordés relativement à la conduite d'un employeur dans le cadre d'un congédiement s'il agit de manière injuste ou avec mauvaise foi et s'il cause à l'employé une souffrance morale. La décision indique notamment que cette même conduite peut justifier l'octroi de dommages-intérêts moraux et d'autres dommages-intérêts en vertu du Code des droits de la personne de l'Ontario (le « Code ») au motif qu'ils servent des fins différentes.

Les faits

La demanderesse, Melissa Doyle, travaillait depuis neuf ans chez Zochem en tant que surveillante d'usine dans un environnement à forte prédominance masculine. Elle souffrait de dépression, ce que savait la directrice générale adjointe. Pendant plusieurs années, elle a été victime de harcèlement sexuel de la part d'un autre employé de Zochem, M. Rogers, chef de l'entretien de l'usine. Voici quelques exemples de ce harcèlement :

  • M. Rogers ne cessait de fixer sa poitrine et de faire semblant de la prendre une photo.
  • Il appelait leurs parties intimes leurs « petits amis ».
  • Il mimait des oreilles de lapin pour symboliser une position sexuelle dans laquelle Mme Doyle aurait eu les pieds derrière les oreilles.
  • Il n'arrêtait pas de lui dire qu'elle avait besoin de [Traduction] « fourrer » ou de « se faire donner une ride » et de lui demander si elle avait « eu sa dose ».

Mme Doyle s'est sentie contrainte de garder M. Rogers à ses côtés, la coopération de ce dernier lui étant indispensable pour mener à bien ses propres activités. M. Rogers a indûment refusé de collaborer avec elle à plusieurs reprises. Le harcèlement sexuel et, plus généralement, les mauvais traitements dont a été victime Mme Doyle ont atteint leur point culminant lors d'une réunion de travail. À l'occasion de cette rencontre, elle a soulevé des préoccupations de sécurité légitimes relativement à la logistique opérationnelle de l'usine, qui lui ont valu les insultes et les dénigrements publics de M. Rogers. C'est alors qu'elle a signalé à la directrice générale adjointe qu'il la harcelait sexuellement depuis un certain temps. En guise de réponse, celle-ci l'a accusée d'être trop sensible et de chercher à entacher la réputation de M. Rogers et a procédé à une enquête très sommaire à la suite de sa plainte pour harcèlement sexuel. Bien qu'elle ait assuré Mme Doyle que sa plainte n'aurait aucune incidence sur son emploi, elle l'a congédiée sans motif cinq jours plus tard.

Mme Doyle a alors intenté une action pour congédiement injustifié et réclamé des dommages-intérêts pour infliction intentionnelle de souffrances morales contre la directrice générale adjointe personnellement.

Le juge de première instance a conclu que, pendant la période qui a mené au congédiement de Mme Doyle, Zochem avait eu une conduite offensante à plusieurs reprises, notamment :

  • en faisant pression sur Mme Doyle pour qu'elle ne dépose pas de plainte pour harcèlement sexuel contre M. Rogers afin de protéger la réputation de ce dernier;
  • en laissant penser à Mme Doyle que ses allégations ne mettraient pas en péril son emploi, bien que la décision de la congédier eût déjà été prise;
  • en enjoignant d'autres employés à trouver des renseignements compromettants sur Mme Doyle pour la discréditer dans l'espoir de justifier son congédiement;
  • en prenant les clés de Mme Doyle dans son sac sans sa permission afin de déplacer sa voiture devant l'entrée principale du bâtiment au moment de son congédiement.

Outre les dommages-intérêts pour congédiement injustifié, le juge de première instance a accordé à Mme Doyle 25 000 $ pour violation du Code, constatant que son sexe et sa plainte pour harcèlement sexuel étaient les raisons les plus plausibles de son congédiement. Il a également ordonné le versement à cette dernière de 60 000 $ de dommages-intérêts moraux, eu égard à la conduite de Zochem pendant la période qui a mené au congédiement et qui s'en est suivi, notamment :

  • à l'enquête sommaire de Zochem et au rejet [Traduction] « impitoyable, voire cruel » de sa plainte pour harcèlement sexuel contre M. Rogers;
  • à l'affirmation fallacieuse faite à Mme Doyle que sa plainte ne mettrait pas en péril son emploi même si la décision de la congédier avait déjà été prise;
  • aux tentatives subséquentes de la société de justifier le congédiement de Mme Doyle pour des questions de rendement;
  • au refus par Zochem, après le rejet de la plainte de Mme Doyle, d'accéder à sa demande de prestations d'invalidité de courte durée autofinancées, malgré une lettre du médecin de la société affirmant qu'elle y avait droit.

Le juge de première instance a souligné l'abondance de preuves démontrant que la conduite susmentionnée avait provoqué une souffrance mentale significative pour Mme Doyle. Il a également conclu qu'ayant connaissance de l'état dépressif de cette dernière, la directrice générale adjointe aurait dû se rendre compte des conséquences de son manque de sensibilité sur la demanderesse eu égard à la plainte de Mme Doyle pour harcèlement sexuel et à la façon dont elle avait été congédiée. Bien que le juge de première instance ait déterminé que la conduite de la directrice générale adjointe n'avait pas atteint le niveau de délit d'infliction d'une souffrance mentale, il a tenu compte des répercussions des actes de cette dernière sur l'état mental de Mme Doyle lors de l'octroi de dommages-intérêts moraux.

En confirmant la décision du juge de première instance d'accorder des dommages-intérêts, la Cour d'appel a rejeté l'argument de Zochem qui estimait que les 25 000 $ de dommages-intérêts pour atteinte aux droits de la personne octroyés relativement au harcèlement sexuel dont Mme Doyle avait été victime devraient être déduits des 60 000 $ de dommages-intérêts moraux, au motif que les deux montants visaient la même conduite. Si elle a reconnu certains chevauchements dans la conduite ayant mené à l'octroi des deux types de dommages-intérêts, la Cour a indiqué que ces derniers servaient chacun des fins différentes. Elle a confirmé que les dommages-intérêts pour atteinte aux droits de la personne visaient la réparation du préjudice subi et l'indemnisation de Mme Doyle à hauteur de la valeur intrinsèque de la violation de ses droits en vertu du Code. Ces dommages-intérêts compensaient le droit de Mme Doyle de ne pas subir de discrimination et son expérience de la victimisation. Quant aux dommages-intérêts moraux, la Cour d'appel a estimé qu'ils avaient été accordés en réparation du congédiement injuste ou de mauvaise foi de Mme Doyle, dans le cadre duquel elle avait subi une souffrance mentale.

Portée de la décision

La décision de la Cour d'appel apporte d'importantes clarifications sur les types de circonstances dans lesquelles des dommages-intérêts moraux peuvent être octroyés et s'appuie sur un raisonnement contenant un certain nombre de grandes leçons à tirer :

  • La conduite de l'employeur avant et après un congédiement peut donner lieu à l'octroi de dommages-intérêts moraux si elle est liée de quelque manière que ce soit à la façon dont l'employé a été licencié.
  • La même conduite peut justifier des dommages-intérêts moraux et des dommages-intérêts pour atteinte aux droits de la personne.
  • Le refus d'accorder des prestations d'invalidité de courte durée sans preuve adéquate peut être considéré comme une violation de l'obligation de bonne foi de l'employeur et constituer un facteur justifiant l'octroi de dommages-intérêts moraux.

La décision dans l'affaire Zochem doit également être replacée dans le contexte d'un élargissement récent des obligations de l'employeur en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l'Ontario en ce qui a trait aux enquêtes sur le harcèlement sexuel au travail et des responsabilités correspondantes de l'employeur relativement à la santé mentale de ses employés. La décision de la cour de première instance et celle de la Cour d'appel mettent l'accent sur l'importance des répercussions psychologiques de la conduite de Zochem sur Mme Doyle avant et après son congédiement dans l'octroi de dommages-intérêts moraux. Ainsi, les constatations dans l'affaire Zochem confirment qu'en faisant fi des conséquences de ses décisions en matière d'emploi sur la santé mentale de son effectif, un employeur peut avoir à payer des dommages-intérêts supplémentaires, surtout s'il était au courant des problèmes de santé mentale dont souffrait déjà l'employé concerné.

  • Par : Maria Gergin Phillips