une main qui tient une guitare

Perspectives

Le projet de loi 148 : les incidences possibles pour les secteurs du commerce de détail, des services et du tourisme d'accueil

Le 1er juin 2017, l'honorable Kevin Flynn, ministre du Travail, a déposé en première lecture le projet de loi 148, Loi modifiant la Loi de 2000 sur les normes d'emploi (ci-après, la « LNE ») et la Loi de 1995 sur les relations de travail (ci-après, la « LRT ») et apportant des modifications connexes à d'autres lois.

De façon générale, les dernières années ont été difficiles pour le secteur du commerce de détail, et cela est encore plus vrai pour les commerces qui ont pignon sur rue. Malheureusement, à première vue, certaines des modifications proposées par le projet de loi 148 ne sont pas près d'améliorer le sort des détaillants, des entreprises de services et de l'industrie du tourisme d'accueil (ci-après, les « employeurs ») de l'Ontario.

Les modifications en question relèvent de deux catégories précises. Comme nous le verrons plus loin, la première catégorie rassemble les modifications qui ont un effet immédiat évident sur ces employeurs dans la province. Quant aux modifications de la seconde catégorie, elles pourraient avoir un effet immédiat sur ces employeurs tout comme elles pourraient n'en avoir aucun, selon que l'on a affaire à une entreprise nationale dont les conditions de travail sont les mêmes d'un bout à l'autre du pays ou tout simplement, à une entreprise qui appliquent des conditions de travail différentes d'une province à l'autre. Les employeurs de l'Ontario appartenant à cette dernière catégorie devraient dès maintenant réfléchir longuement aux changements qu'ils seront disposés à apporter, entre autres, au droit à des vacances, aux jours fériés et aux congés autorisés, comme bien sûr à ceux qu'ils devront apporter.

L'impact le plus direct et le plus important du projet de loi 148 sera le résultat combiné du changement dans l'établissement du salaire minimum et de l'apparition de la notion d'égalité de salaire, applicable indépendamment de la situation d'emploi sous le régime de la LNE. Comme les employeurs le savent désormais, le salaire minimum sera porté à 11,60 $ le 1er octobre 2017. Toutefois, compte tenu des modifications proposées par le projet de loi 148, il devrait passer à 14,00 $ le 1er janvier 2018, puis à 15,00 $ le 1er janvier 2019. Un calcul simple permet de constater que la différence entre le salaire minimum en vigueur le 1er octobre 2017 et celui qui s'appliquera le 1er janvier 2018 selon l'augmentation proposée correspond à une hausse de 21 % uniquement en ce qui concerne le salaire minimum, c'est-à-dire sans tenir compte de son effet direct sur les retenues à la source supportées par les employeurs.

En plus d'être alarmante pour ces employeurs, une hausse d'une telle importance a des conséquences directes sur ceux d'entre eux qui disposent d'échelles de rémunération offrant des taux horaires plus élevés aux employés qui ont travaillé pendant un nombre d'heures donné au sein de l'organisation. Par exemple, de nombreux employeurs ont recours à des échelles salariales prévoyant un taux horaire fixe qui augmente lorsque l'employé atteint un certain nombre d'heures de service dans l'entreprise.

Il s'ensuit que la hausse de 21 % du salaire minimum prévue en 2018, suivie le 1er janvier 2019 d'une nouvelle hausse, cette fois de 7 %, aura d'importantes répercussions sur les échelles salariales appliquées par un employeur en Ontario. Par exemple, tout taux horaire de l'échelle salariale en vigueur qui sera inférieur à 14,00 $ le 1er janvier 2018 et à 15,00 $ le 1er janvier 2019 devra être supprimé. Du fait de cette suppression, les employés atteindront les échelons supérieurs plus rapidement et, parallèlement, souhaiteront obtenir une majoration des taux maximums actuels, souhait qui s'expliquera par l'existence de taux de base plus élevés en 2018 et en 2019.

Concrètement, les employeurs concernés seront fort probablement contraints de revoir entièrement leurs échelles salariales, ce qui, en plus d'entraîner une hausse du taux de salaire de départ à 14,00 $ au moins, puis à 15,00 $, les obligera pareillement à accorder des hausses salariales aux employés qui auront atteint certains échelons (sur le plan du nombre d'heures travaillées) en fonction d'intervalles beaucoup plus courts que ceux qui séparent les échelons prévus dans les échelles salariales actuelles. Prenons l'exemple d'une échelle existante, qui accorde à l'employé ayant cumulé 2 000 heures de service un taux de 15,50 $ : si, conformément au régime proposé, le point de départ de l'échelle était fixé à 14,00 $ ou 15,00 $ l'heure, un taux de 16,00 $ serait vraisemblablement prévu dès l'atteinte d'un seuil de 1 000 heures de travail, au lieu des 2 000 heures établies sous le régime antérieur. Cela signifie, en clair, qu'un employé pourrait toucher 16,00 $ l'heure deux fois plus rapidement.

S'il est difficile pour l'instant de déterminer la valeur de ces hausses et leurs coûts directs, on peut en revanche facilement imaginer les conséquences attendant l'employeur qui déciderait de ne pas bonifier ses échelles salariales au-delà des taux de base de 14,00 $ ou 15,00 $ l'heure. Une telle décision pourrait notamment faire entrave à la capacité de cet employeur d'attirer des candidats qualifiés, voire provoquer le départ précipité d'employés de longue date, bien formés et compétents, qui ne toucheraient désormais que le salaire minimum. Les employés plus anciens pourraient être contrariés par cette diminution de l'écart salarial qui les sépareraient de leurs collègues nouvellement embauchés au salaire minimum. Par ailleurs, les employeurs qui ne rajustent pas leurs échelles salariales à la hausse pourraient devoir affronter les campagnes orchestrées par le syndicat de leur entreprise, et il sera peine perdue pour eux d'expliquer qu'ils versent un taux de rémunération supérieur de x dollars au salaire minimum. Les conséquences pourraient être lourdes : il est donc crucial que ces employeurs en tiennent compte. C'est pourquoi les détaillants devraient dès maintenant se demander à quoi pourraient ressembler leurs échelles salariales au début de 2018; mais ils devraient en outre faire une étude plus approfondie des effets du salaire horaire minimum de 15,00 $ proposé pour le 1er janvier 2019.

En plus de la hausse même du salaire minimum, les modifications projetées pourraient signifier pour les employeurs des coûts supplémentaires aiguillonnés par les hausses salariales. En effet, les nouvelles dispositions modifient la formule de calcul du salaire pour jour férié (dont il sera plus amplement question ci-après) et prévoient l'obligation de rémunérer les heures supplémentaires des employés qui occupent au moins deux fonctions au taux de la fonction exécutée pendant qu'ils font des heures supplémentaires.

Parallèlement, dans la partie XII de la LNE, l'article 42.1 prévoit ce qui suit :

42.1 (1) Aucun employeur ne doit accorder à un employé un taux de salaire inférieur à celui qu'il accorde à un autre de ses employés en raison de leur situation d'emploi différente dans les circonstances suivantes :

(a) ils exécutent un travail essentiellement semblable dans un même établissement;

(b) leur travail exige un travail et des compétences essentiellement semblables et comprend des responsabilités essentiellement semblables;

(c) leur travail est exécuté dans des conditions comparables.

Exception

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas lorsque la différence de taux de salaire se fonde sur l'un ou l'autre des critères suivants :

(a) une échelle d'ancienneté;

(b) une distinction fondée sur le mérite;

(c) une échelle de rémunération fondée sur la quantité ou la qualité de la production;

(d) tout autre facteur que le sexe ou la situation d'emploi.

Réduction interdite

(3) Aucun employeur ne doit réduire le taux de salaire d'un employé afin de se conformer au paragraphe (1).

Suivant cette modification, les employés exécutant les mêmes fonctions auront droit au même salaire, qu'ils travaillent à temps plein ou à temps partiel. Bien que ce genre de disposition existe déjà, notamment, au Québec, les employeurs de l'Ontario devront examiner leurs politiques salariales actuelles avec soin afin de déterminer si elles ont une portée nationale ou si leur application diffère d'une province à l'autre. Dans le dernier cas, ils seraient avisés d'en étudier les effets non seulement en Ontario, mais aussi dans les provinces où ce genre de disposition n'existe pas. Ils devraient ensuite se demander s'il est souhaitable de mettre en œuvre une telle règle le plus rapidement possible à l'échelle nationale, y compris dans les provinces où on ne trouve pas de texte de loi semblable à l'article 42.1.

On trouve aussi, dans le projet de loi, d'autres modifications dont les effets pourraient être analogues, selon qu'un détaillant — pour citer un exemple — a prévu un ensemble de conditions de travail pour l'ensemble du pays ou que celles-ci varient en fonction de la province. Les modifications du projet de loi s'appliquent, entre autres, à la partie X, qui traite des jours fériés et des règles de calcul du droit à rémunération prévus aux articles 27, 28 et 30 de la LNE, lesquels sont modifiés afin d'obliger l'employeur à verser un salaire majoré pour le travail exécuté un jour férié au lieu de permettre qu'un jour de célébration différent soit substitué au jour férié. De plus, une modification est apportée à l'article 29 afin d'établir de nouvelles règles de substitution applicables lorsqu'un jour férié coïncide avec un jour qui ne serait pas normalement un jour de travail pour l'employé visé.

Jusqu'ici, l'employé qui n'était pas appelé à travailler un jour férié recevait pour ce jour férié un salaire correspondant au quotient de la division par 20 de la somme du salaire gagné au cours des quatre semaines précédentes. En vertu des nouvelles dispositions, l'employeur devra déterminer le salaire pour jour férié en calculant le quotient du salaire gagné par l'employé pour la période de paie qui précède le jour férié par le nombre de jours travaillés par l'employé au cours de cette période.

La partie XIV, qui porte sur les congés autorisés, est modifiée de façon à porter le nombre maximal de semaines de congé familial pour raison médicale auquel à droit l'employé de huit (8) à vingt-sept (27). Bien qu'il s'agisse d'un congé non rémunéré, il obligera naturellement les détaillants à trouver du personnel compétent pour pallier ces absences. À cet égard, il est conseillé aux employeurs d'informer leurs services des ressources humaines de leur droit d'exiger un certificat précisant la nature du congé et signé par un praticien de la santé qualifié, de même qu'à bien leur expliquer le sens de certains termes employés dans les dispositions pertinentes de la LNE, tels que « gravement malade » et « risque de décès important ».

Par ailleurs, d'importants changements sont apportés aux dispositions concernant le congé d'urgence personnelle, de façon à permettre à tous les employés de prendre jusqu'à (10) jours de congé — dont deux (2) devront désormais être des jours payés — pour violence sexuelle, maladie, blessure ou autre affaire urgente qui concerne l'employé ou certains membres de sa famille. Les jours payés devront être pris avant les jours de congé non payés. Suivant les modifications envisagées, il sera interdit à l'employeur d'exiger que l'employé présente un certificat signé par un praticien de la santé pour justifier son congé, même si ses politiques internes ou une convention collective lui confèrent ce droit. Ainsi, cela risque d'alourdir encore plus la gestion de l'assiduité au travail, qui est déjà source de difficultés pour les employeurs.

Une attention particulière doit être portée aux parties VII.1 et VII.2 du projet de loi, qui concernent les demandes de modification de l'horaire ou du lieu de travail et la question de l'établissement des horaires de travail. D'abord, à l'article 21.2 des modifications proposées, il est prévu que quiconque est employé par son employeur depuis au moins trois (3) mois peut lui demander par écrit de modifier son horaire ou son lieu de travail. Bien que l'employeur dispose du droit d'accepter ou de refuser cette demande, on ose à peine imaginer quelles autres modifications de la LNE se profilent à l'horizon ou, dans un avenir plus rapproché, quelle interprétation les tribunaux donneront à cette disposition — jugeront-ils que celle-ci impose à l'employeur une obligation semblable à celle que l'on trouve en matière de droits de la personne et par laquelle il est tenu de prévoir des mesures d'adaptation? Seul l'avenir pourra nous dire jusqu'où les autorités voudront aller pour protéger les employés qui formulent de telles demandes, car les modifications ne précisent pas non plus la teneur des obligations de l'employeur en ce qui a trait au nouveau lieu de travail ni, en fait, au nouvel horaire.

À cet égard, on conçoit aisément à quel point il sera difficile pour les détaillants de se conformer à ces règles, sachant que l'horaire d'un magasin se précise au fil des années grâce l'étude des habitudes des consommateurs, de leur affluence en fonction de l'heure et de l'effet d'une promotion particulière sur cette affluence. Les employeurs se fondent sur ces facteurs pour déterminer le nombre d'employés qu'il leur faut à tout moment pendant les heures d'ouverture du magasin. Or, en vertu des nouvelles dispositions, le détaillant sera-t-il forcé de répondre aux besoins de l'employé muté en supprimant de l'horaire un ou plusieurs employés en poste dans l'établissement de destination, ou pourra-t-il se contenter de répondre qu'il ne peut accéder à la demande de l'employé en raison de l'absence, dans ce lieu de travail, de créneau horaire vacant ou — ce qui vaut tout autant — de poste à pourvoir? Les modifications sont muettes à ce sujet.

De la même façon, le projet de loi introduit le droit à une rémunération de trois (3) heures qui s'appliquera aux employés qui 1) travaillent normalement plus de trois (3) heures par jour et qui 2) sont tenus de se présenter au travail, mais qui 3) travaillent moins de trois (3) heures un jour donné. Naturellement, certaines exceptions à cette règle des trois heures sont prévues au paragraphe 21.3(2), notamment un incendie, la foudre, une panne de courant ou un orage ou d'autres raisons indépendantes de la volonté de l'employeur qui l'empêche de fournir du travail. Toutefois, il s'agit d'une obligation de plus pour l'employeur, qui doit rémunérer l'employé pour un minimum de trois (3) heures. Là encore, il existe au Québec des dispositions législatives identiques, de sorte que les détaillants seront bien avisés de réexaminer cette question, de même que les autres questions susmentionnées, afin de déterminer s'il est préférable de disposer d'une politique nationale en matière d'établissement de l'horaire ou de moduler ses règles en fonction de la province concernée.

Si l'on fait abstraction des modifications de nature administrative qui sont apportées aux pouvoirs des enquêteurs sous le régime de la LNE, il reste une dernière considération importante, qui se rapporte à une pratique des détaillants consistant à recourir aux services d'agences de recrutement pour embaucher des employés à temps partiel lors de périodes de forte affluence comme la rentrée scolaire et la période des fêtes. À cet égard, l'article 42.2 des modifications proposées énonce expressément qu'aucune agence de placement temporaire ne doit accorder à un employé ponctuel affecté à l'exécution d'un travail pour un client un taux de salaire inférieur à celui qui est accordé à un employé du client si ces deux employés exécutent un travail essentiellement semblable dans un même établissement, que leur travail exige un effort et des compétences essentiellement semblables et qu'il comprend des responsabilités essentiellement semblables.

La raison d'être d'une telle disposition est difficile à saisir, mais soulignons que certains pays, dont le Royaume-Uni, obligent déjà les agences de placement à accorder à leurs employés, au bout de quarante-cinq (45) jours de travail, le même salaire que celui que touchent les employés permanents de l'employeur qui travaillent à leur côté.

Compte tenu de ce dernier point, il ne fait aucun doute que, par ces modifications, le gouvernement ontarien veut venir en aide aux travailleurs les plus vulnérables et les moins bien rémunérés. Fait intéressant, l'initiative, loin d'être isolée, paraît s'inscrire dans la foulée de mesures prises dans d'autres pays, au nombre desquels figure l'Irlande, dont le gouvernement a approuvé, en mai 2017, une série de propositions législatives visant à renforcer la protection des travailleurs vulnérables des échelons salariaux inférieurs. Une chose est certaine : les violations commises contre ces travailleurs irlandais vulnérables et moins bien payés et auxquelles l'État voulait s'attaquer étaient endémiques. En revanche, l'Irlande n'a pas cherché à modifier ses lois pour augmenter le salaire minimum sur une courte période et selon des taux complètement déraisonnables et irréalistes.

En plus des modifications apportées à la LNE, le projet de loi propose plusieurs changements à la LRA. Bien que ces changements soient d'application plus générale, deux modifications au moins revêtent une importance particulière pour les employeurs des secteurs examinés ici.

La première de ces modifications se trouve au paragraphe 6.1(6), ainsi libellé :

Décisions de la Commission en l'absence d'avis de désaccord

(6) Les règles suivantes s'appliquent si la Commission ne reçoit pas l'avis prévu au paragraphe (4) :

1. Si elle détermine que 20 % ou plus des particuliers compris dans l'unité de négociation proposée dans la requête prévue au paragraphe (1) semblent être membres du syndicat au moment du dépôt de la requête, la Commission ordonne à l'employeur de fournir la liste au syndicat.

2. Si elle détermine que moins de 20 % des particuliers compris dans l'unité de négociation proposée dans la requête prévue au paragraphe (1) semblent être membres du syndicat au moment du dépôt de la requête, la Commission rejette la requête.

Même en faisant abstraction du caractère artificiel de ce seuil de 20 %, le sens de la sous‑disposition 1 de ce paragraphe est particulièrement difficile à saisir. Aucune explication logique ne semble en justifier le contenu, à part peut-être le désir de faciliter la tâche aux syndicats qui veulent obtenir la liste d'éventuels membres, ce qui, à notre avis, est contraire à la règle de base voulant que les employés soient libres d'adhérer ou non à un syndicat. Par ailleurs, en vertu des dispositions proposées, les syndicats semblent disposer du droit élargi de déposer une requête en accréditation, de la retirer avant la tenue d'un scrutin (pour éviter de se voir interdire la présentation d'une nouvelle requête), puis d'en déposer une nouvelle peu de temps après. Nous pensons que la modification proposée est susceptible de porter atteinte aux droits des employés de l'Ontario qui ne souhaitent pas être représentés par un syndicat.

De plus, au vu de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, qui admet l'application des traités internationaux comme des règles internationales en matière de travail et d'emploi, il sera intéressant de voir si la modification envisagée saura résister à un examen judiciaire des articles des conventions n° 87 et n° 98 de l'Organisation internationale du travail (ci-après, l'« OIT ») traitant du droit des travailleurs d'adhérer ou de ne pas adhérer à un syndicat. Rappelons qu'il y a quelques jours à peine, les libéraux fédéraux au pouvoir ont proposé de signer la Convention n° 98, ce que le Canada n'a toujours pas fait à ce jour. Par conséquent, on ne peut que conseiller aux employeurs de se pencher sur la question de l'application de ces conventions en étudiant le raisonnement suivi par la Cour suprême du Canada dans certaines de ses décisions antérieures, et en s'interrogeant sur leurs incidences pour les droits individuels des employés visés par une demande d'accréditation et pour les modifications proposées au paragraphe 6.1(6).

Des considérations du même ordre s'appliquent en ce qui concerne une deuxième modification proposée, qui prévoit la possibilité qu'un syndicat soit accrédité sans la tenue d'un scrutin dans certaines industries visées par l'article 15.3, à savoir celles définies ci-dessous :

Requête en accréditation sans scrutin : certaines industries

Définitions

15.3  (1)  Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

« industrie des services de gestion d'immeubles » S'entend, sous réserve des règlements, des entreprises dont les activités consistent à fournir des services que fournit directement ou indirectement le propriétaire ou le gérant d'un bâtiment, ou qui lui sont fournis, et qui sont reliés aux services aux locaux, notamment les services de nettoyage, les services d'alimentation et les services de sécurité du bâtiment. (« building services industry »)

« industrie des services de soins à domicile et des services communautaires » S'entend, sous réserve des règlements, des entreprises dont les activités consistent à fournir des services communautaires en vertu de la Loi de 1994 sur les services de soins à domicile et les services communautaires. (« home care and community services industry »)

« employeur d'une industrie déterminée » Quiconque exploite une entreprise dans l'industrie des services de gestion d'immeubles, l'industrie des services de soins à domicile et des services communautaires ou l'industrie des agences de placement temporaire. (« specified industry employer »)

« industrie des agences de placement temporaire » S'entend, sous réserve des règlements, des entreprises dont les activités consistent à employer des personnes afin de les affecter à l'exécution d'un travail à titre temporaire pour leurs clients. (« temporary help agency industry »)

Les employeurs du secteur de la vente au détail sont particulièrement touchés par l'inclusion de l'industrie des agences de placement temporaire, puisqu'ils ont fréquemment besoin de personnel supplémentaire lors de la réalisation de l'inventaire, de la rentrée scolaire et de la période des fêtes, que ce soit dans leurs magasins ou leurs centres de distribution. Or, nous nous attendons à ce que les nouvelles dispositions donnent lieu à une augmentation du nombre de campagnes de syndicalisation.

Là encore, nous tenons à attirer votre attention sur le raisonnement appliqué par la commission d'experts de l'OIT (BIT, 1996b, cas n°1765, paragr. 100) dans l'une de ses décisions :

[L]orsqu'une législation nationale prévoit une procédure obligatoire de reconnaissance des syndicats en tant qu'agents de négociation exclusifs [représentant tous les travailleurs, et non uniquement leurs membres], elle devrait l'assortir de certaines garanties telles que : a) l'octroi du certificat par un organe indépendant; b) le choix de l'organisation représentative par un vote de la majorité des travailleurs dans les unités considérées; c) le droit pour une organisation qui lors des élections syndicales antérieures n'avait pas obtenu un nombre de voix suffisant de demander une nouvelle élection après un délai déterminé; d) le droit pour une nouvelle organisation autre que celle détentrice du certificat de demander la tenue de nouvelles élections après un délai raisonnable. (caractère gras ajouté expressément au texte original)

Il s'ensuit que, pour des raisons fondées sur des considérations identiques à celles mentionnées relativement au paragraphe 6.1(6) des modifications proposées, les principes de l'OIT favorisant les syndicats et leurs droits — principes dégagés par la Cour suprême du Canada — devraient être appliqués de la même manière aux employeurs et aux employés.

En effet, s'il est permis d'invoquer les principes établis par l'OIT pour interpréter les lois sur les relations de travail au Canada et élargir la portée des droits qu'elles confèrent, cette règle devrait aussi valoir eu égard aux dispositions législatives qui tentent d'ignorer ces principes de l'OIT et de limiter les droits des employeurs et des employés.

Si on suit le raisonnement de la commission d'experts de l'OIT, il faut en conclure que les divers régimes de relations de travail qui existent au Canada (et aux États-Unis) devraient prévoir l'obligation de tenir un scrutin secret auprès des personnes visées par une requête en accréditation, plutôt qu'une procédure d'accréditation fondée sur un contrôle des cartes d'adhésion comme celle envisagée à l'article 15.1 des modifications proposées à la LRT.

Pour finir, les modifications confèrent à la Commission des relations de travail de l'Ontario le pouvoir de réviser la structure des unités de négociation et, dans certains cas, de fusionner les unités de négociation composées d'employés représentés par un même syndicat auprès de l'employeur. Le cas échéant, la convention collective en vigueur entre l'employeur et le syndicat s'appliquerait sans modification à l'unité de négociation issue de la fusion. Cette perspective est particulièrement inquiétante pour les détaillants dont les employés sont répartis dans plusieurs établissements et représentés par des unités de négociation distinctes. Actuellement, la LRA ne prévoit aucune procédure de fusion d'unités de négociation.

Certes, l'avenir nous dira si les modifications projetées auront un jour force de loi, mais les employeurs et les groupes d'employeurs devraient se montrer prudents en envisageant la possibilité de contester, au minimum, la légalité des deux (2) modifications dont il est question dans les paragraphes précédents à la lumière du raisonnement que la Cour suprême du Canada applique depuis un certain nombre d'années et de l'interprétation que la commission d'experts de l'OIT a donné aux conventions n° 87 et n° 98 de cette organisation.

Pour le reste, il faudra patienter encore un peu pour savoir précisément ce que demain nous réserve.

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