une main qui tient une guitare

Perspectives

« Sérieusement, c'est votre dernière chance! »

Steve, travailleur affecté à la production, a été renvoyé après avoir fait l'objet de mesures disciplinaires progressives en raison de ses manquements répétés aux règles de l'entreprise. Johanne, camionneuse, a perdu son emploi lorsqu'elle s'est présentée au travail en état d'ébriété; elle avait déjà bénéficié d'un congé pour suivre un programme de traitement en établissement. Scott, qui occupait le même poste depuis longtemps et dont le dossier était par ailleurs impeccable, a été congédié pour avoir volé de la ferraille à l'usine. Et Christine? Eh bien, on l'a mise à la porte une deuxième fois parce qu'elle a contrevenu à l'entente qu'elle avait conclue directement avec son employeur et dans laquelle étaient énoncées les modalités relatives au maintien de son emploi.

Dans chaque cas, le syndicat, qui agissait comment agent de négociation de l'employé, a déposé un grief pour obtenir entre autres choses la réintégration en emploi. Bien que les faits relatifs à la conduite de Steve, Joanne, Scott et Christine diffèrent, leur employeur respectif était prêt à accorder une dernière chance à leur employé pour rétablir la relation d'emploi. Dans un tel cas, quelle est la marche à suivre?

Diverses expressions, entente de dernière chance (« EDC »), promesse formelle de ne pas contrevenir (en anglais, never-never letter) ou entente de réintégration sous toutes réserves, sont employées dans le milieu. Essentiellement, il s'agit d'une entente tripartite signée par l'entreprise, le syndicat et l'employé, dans laquelle on aborde le comportement antérieur de ce dernier et, plus important encore, ce à quoi on s'attend de sa part à l'avenir; de la sorte, certains employés peuvent bénéficier d'une chance ultime de conserver leur emploi. Une EDC bien rédigée peut imposer des modalités relatives à la continuité dans l'emploi qui lient les parties et un arbitre. Voici quelques points juridiques et pratiques qu'il importe de respecter :

  1. Une EDC modifie la relation d'emploi car elle impose pendant une durée précise des modalités distinctes à l'employé qu'elle vise, modalités qui ne s'appliquent pas aux autres employés de l'unité de négociation. Il est donc essentiel que l'EDC soit conclue par l'entreprise, le syndicat et l'employé en cause. Lorsque seuls l'employeur et l'employé signent l'EDC, celle-ci n'est généralement pas exécutoire, car l'employeur ne peut négocier directement avec l'employé les modalités de l'emploi. C'est ce qui s'est passé dans le cas de Christine.
  2. Il faut éviter de rédiger une EDC qui est une solution universelle, car l'entente doit porter sur les faits propres à chaque cas. Ainsi, lorsque l'employé est congédié parce qu'il a de manière répétée bafoué les règles de l'entreprise (comme dans le cas de Steve) ou qu'il a agi incorrectement une seule fois (comme dans celui de Scott), il n'est pas nécessaire que l'EDC porte sur un comportement régulier et cohérent à l'avenir. Dans le même ordre d'idées, l'EDC devrait énoncer clairement les types d'inconduites qui entraîneront le congédiement de l'employé.
  3. On a souvent recours à une EDC lorsque le comportement fautif découle d'une dépendance à l'alcool ou aux drogues. Par exemple, dans le cas de Johanne, l'employeur était prêt à reprendre l'employée si elle acceptait certaines conditions : suivre jusqu'à la fin un autre programme de traitement en établissement, assister régulièrement à des réunions d'Alcooliques anonymes et se soumettre à des contrôles aléatoires en milieu de travail. Dans un pareil cas, il importe que l'EDC précise le handicap de l'intéressée, fasse état des mesures qu'on a prises pour l'accommoder dans le passé, explique les solutions que l'employeur est prêt à envisager et fasse savoir expressément que tout accommodement supplémentaire imposerait à l'employeur une contrainte excessive. Une EDC ne diminue pas l'obligation qui incombe à l'employeur d'accommoder les employés handicapés. C'est l'une des raisons pour lesquelles les arbitres examinent attentivement toute EDC.
  4. Une EDC devrait porter sur le résultat final, soit la cessation d'emploi, s'il est démontré qu'il y a eu non-respect des modalités de l'entente. En fait, il s'agit là de la raison d'être d'une EDC. Si le résultat final (la cessation d'emploi) n'est pas automatique, à savoir si l'EDC prévoit que l'employé peut faire l'objet de mesures disciplinaires supplémentaires pouvant aller jusqu'au renvoi, la mesure aura beaucoup moins de poids et d'effet.
  5. À ce sujet, l'EDC devrait également limiter ou même supprimer le droit que la loi reconnaît à l'arbitre de modifier la sanction (le renvoi) si celui-ci estime qu'il y a eu manquement. L'EDC devrait préciser qu'en vertu de la Loi de 1995 sur les relations de travail (L.O. 1995, chap. 1, annexe A), l'arbitre n'a aucune compétence pour imposer une sanction moindre que celle sur laquelle les parties se sont entendues — la cessation d'emploi. Si l'on omet cette clause, l'arbitre sera libre de décider de la sentence qu'il juge appropriée.
  6. Enfin, il est utile que l'EDC contienne une clause de confidentialité, prévoie que l'entente ne porte pas atteinte à d'autres causes qui opposent l'entreprise et le syndicat, et, au besoin, confirme que le syndicat a respecté son obligation de représentation de l'employé que lui impose la Loi de 1995 sur les relations de travail.

Une dernière observation s'impose. Il n'est pas rare que les syndicats répugnent à signer des EDC (pour des raisons évidentes). Par conséquent, il est recommandé de recourir le moins souvent possible à une EDC, pour s'assurer du concours du syndicat. Lorsque le syndicat est prêt à collaborer et à conclure une EDC, ce type d'entente peut être très efficace pour rétablir le lien d'emploi ou y mettre fin en suscitant le moins de controverses possibles.

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