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Perspectives

Examen par la Cour suprême du Canada du caractère discriminatoire d'une politique sur la consommation d'alcool, de drogues illégales et de médicaments

En juin 2017, la Cour suprême du Canada a rendu une importante décision dans l'affaire Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, relativement aux politiques en milieu de travail sur la consommation de drogues et d'alcool. Elle a établi qu'il était raisonnable pour l'Alberta Human Rights Commission de conclure que le congédiement d'un employé qui avait obtenu un résultat positif à un test de dépistage de drogues n'était pas discriminatoire, puisque ce renvoi résultait de l'application d'une politique offrant des accommodements aux employés s'ils révélaient leur dépendance à leur employeur. En l'espèce, le motif du congédiement n'était pas la dépendance, mais la violation de la politique.

Les faits

M. Stewart travaillait dans une mine exploitée par Elk Valley Coal Corporation (l'« employeur »), où il conduisait un camion de transport. Les activités de la mine étaient dangereuses et le maintien d'un chantier sécuritaire revêtait une grande importance aux yeux de l'employeur et des employés. Pour assurer la sécurité des lieux, l'employeur avait mis en place une politique sur la consommation d'alcool, de drogues illégales et de médicaments (la « Politique »).

Dans le cadre de cette politique, les employés devaient révéler tout problème de dépendance ou d'accoutumance avant qu'un accident de travail lié à la drogue ne survienne. S'ils le faisaient, un traitement contre la toxicomanie leur serait offert. Cependant, dans l'éventualité où les employés omettaient de divulguer un quelconque problème de dépendance ou d'accoutumance, et qu'ils étaient mêlés à un incident et obtenaient un résultat positif à un test de dépistage de drogues, ils seraient congédiés. La Politique visait à assurer la sécurité en encourageant les employés souffrant de problèmes d'abus de substances à se manifester et à suivre un traitement avant que leurs problèmes ne compromettent la sécurité. M. Stewart a assisté à une séance de formation au cours de laquelle la Politique a été examinée et expliquée. Il a également signé un formulaire attestant qu'il avait reçu et compris cette dernière.

M. Stewart prenait de la cocaïne pendant ses jours de congé. Il n'avait jamais informé son employeur de sa consommation. Un jour, vers la fin de son quart de travail, il a eu un accident avec son camion. Personne n'a été blessé, mais M. Stewart a obtenu un résultat positif à un test de dépistage de drogues. À la suite du résultat positif, lors d'une rencontre avec son employeur, M. Stewart lui a confié qu'il pensait souffrir d'une dépendance à la cocaïne. Par la suite, conformément à la Politique, l'employeur a congédié M. Stewart qui, au moment de son renvoi, comptait neuf années d'ancienneté.

Historique de la procédure

M. Stewart a prétendu qu'il avait été congédié en raison de sa dépendance et qu'il s'agissait donc d'un cas de discrimination en vertu de la  Human Rights, Citizenship and Multiculturalism Act de l'Alberta, qui reconnaît la dépendance à titre de déficience.

En première instance, l'Alberta Human Rights Tribunal1 (le « Tribunal ») a conclu que M. Stewart n'avait pas été congédié en raison de sa dépendance, mais du fait qu'il avait enfreint la Politique en omettant de révéler sa dépendance avant qu'un accident ne se produise.

La décision du Tribunal a été confirmée par la Cour du Banc de la Reine2 et la Cour d'appel de l'Alberta3.

Décision de la Cour suprême du Canada

En appel devant la plus haute cour du pays, la décision du Tribunal a été de nouveau confirmée. La juge en chef McLachlin, à l'avis de laquelle se sont rangés les juges Abella, Karakatsanis, Côté, Brown et Rowe, a jugé raisonnable la conclusion du Tribunal selon laquelle le congédiement de M. Stewart n'était pas lié à sa dépendance, mais au fait qu'il avait contrevenu à la Politique.

S'appuyant sur une preuve d'expert, le Tribunal avait conclu que M. Stewart souffrait de toxicomanie (même s'il ne le reconnaissait pas à l'époque) et que sa dépendance constituait une déficience protégée par la Human Rights, Citizenship and Multiculturalism Act de l'Alberta.

Cependant, le Tribunal avait conclu que la dépendance n'avait pas contribué au congédiement de M. Stewart. Selon lui, M. Stewart avait été renvoyé pour avoir omis de se conformer à la Politique qui l'obligeait à révéler sa consommation de drogue avant l'accident.

M. Stewart avait la capacité de respecter la Politique et aurait été congédié pour l'avoir enfreinte, qu'il ait été dépendant à la cocaïne ou consommateur occasionnel. Il n'admettait peut-être pas sa dépendance, mais il savait que la Politique interdisait l'usage de drogues avant de travailler et pouvait décider de ne pas en prendre, sans compter qu'il avait la possibilité de révéler sa consommation de drogues à son employeur. La preuve d'expert présentée a démontré que la dépendance de M. Stewart n'avait pas réduit sa capacité à respecter la Politique. En conséquence, la décision du Tribunal selon laquelle le congédiement de l'employé ne revêtait aucun caractère discriminatoire était justifiée.

Le juge Gascon a exprimé sa dissidence en soutenant qu'une politique en matière de drogues dont l'application a pour effet de congédier automatiquement les employés qui en consomment constitue une discrimination prima facie envers les personnes aux prises avec une dépendance aux drogues.

Conclusion

Lorsque la violation d'une politique en milieu de travail ou toute autre conduite passible de mesures disciplinaires mènent à un congédiement, la simple existence d'une dépendance ne signifie pas qu'il y a discrimination prima facie.

Il va sans dire que l'élaboration de la politique en question revêt un caractère déterminant. Les attentes de l'employeur doivent y être clairement énoncées. De plus, la politique doit décrire clairement et explicitement aux employés les conséquences encourues s'ils omettent de révéler leur dépendance, tel que leur congédiement.

Enfin, dans un tel cas, il convient d'apporter un soin particulier à la rédaction de la lettre de fin d'emploi afin de lever toute ambiguïté sur la raison du congédiement. Les mesures disciplinaires doivent sanctionner la violation de la politique plutôt que la dépendance.


1 Bish c. Elk Valley Corp., 2012 AHRC 7

2 Bish c. Elk Valley Corp., 2013 ABQB 756

3 Stewart c. Elk Valley Coal Corporation, 2015 ABCA 225

Contacts connexes