une main qui tient une guitare

Perspectives

Rappel sur les conséquences d’un contrat de travail à durée déterminée : Vissa c. AECOM Consultants Inc.

La Cour supérieure du Québec a récemment traité de certaines conséquences du contrat de travail à durée déterminée dans l’affaire Vissa c AECOM Consultants Inc.1

Claudio Vissa avait travaillé pour AECOM pour ainsi dire toute sa vie active, soit de 1973 à 2013. À 65 ans, en 2008, il a dû se retirer de l’actionnariat de la société. Il ne désirait pas particulièrement prendre sa retraite et AECOM craignait qu’il offre ses services à des concurrents s’il quittait l’entreprise.

Les parties ont donc convenu d’un contrat de cinq ans, allant de la date du 65e anniversaire de naissance de M. Vissa, soit le 1er avril 2008, au 1er avril 2013. Avant le terme initial, les parties se sont entendues sur quelques prolongations variant d’un à deux mois, et ce, jusqu’au 20 décembre 2013. Au printemps 2013, voyant venir l’échéance, les parties ont tenté de négocier un renouvellement, mais sans succès.

M. Vissa a quitté l’entreprise le 20 décembre 2013 et a finalement accepté un simple contrat de service avec AECOM le 1er mai 2014.

Dix jours après son retour d’une mission à l’étranger pour AECOM à la mi-mai 2014, M. Vissa a mis l’entreprise en demeure de lui verser 1 400 000 $, soit l’équivalent de 40 mois d’indemnité tenant lieu de préavis (un mois par année de service). AECOM a alors suspendu  le contrat de service indéfiniment pour perte du lien de confiance.

Soulignons au passage que cette demande initiale de M. Vissa, outre qu’elle compromettait sa relation avec AECOM, était grandement exagérée et dépassait tout ce que la jurisprudence aurait pu permettre compte tenu des états de service, de l’âge et du poste de M. Vissa au sein de l’entreprise. Dans son action en justice, M. Vissa a réclamé 700 000 $, ce qui correspondait à deux ans de salaire, ainsi que 50 000 $ pour abus de droit en cours d’emploi et 50 000 $ pour rupture abusive du contrat de service.

M. Vissa a perdu sur toute la ligne.

La juge rappelle d’abord que, de par sa nature, le contrat à durée déterminée prévoit une échéance, soit un terme extinctif ou une condition résolutoire. Dans cette affaire, il s’agissait d’un terme extinctif. Rappelons qu’une condition résolutoire fait tout aussi bien l’affaire, puisqu’elle permet de prévoir par exemple la fin d’un projet dont l’échéance n’est pas certaine au moment de la conclusion du contrat. Nul besoin de dates précises pour fixer la « durée ».

Ensuite, la juge rappelle qu’il est tout à fait légitime de conclure un contrat de travail à durée déterminée, pourvu qu’il  soit « clair et qu’un terme y [soit] stipulé sans équivoque », citant le rappel récent de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Commission des normes du travail c IEC Holden Inc.2

Pourtant, l’affaire IEC Holden avait fait école en mettant de côté des successions de contrats à durée déterminée, les qualifiant plutôt de contrats à durée indéterminée. La juge dans l’affaire AECOM a fait la distinction qui s’imposait.

Dans IEC Holden, la succession de contrats à durée déterminée et les circonstances ont amené la Cour d’appel à conclure que la véritable intention des parties était de conclure des contrats à durée indéterminée. Il ne faut pas en conclure pour autant que tout renouvellement d’un contrat à durée déterminée transforme celui-ci en contrat à durée indéterminée. Dans l’affaire AECOM, les renouvellements d’un à deux mois en 2013 n’ont pas amené la juge à conclure à un contrat à durée indéterminée.

Cela dit, la juge a également fait renvoi au rappel récent de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Administration portuaire de Québec c Fortin3 selon lequel « l’intention commune des parties doit être claire et sans équivoque afin de conclure à un contrat de travail à durée déterminée » et « un contrat de travail est cependant présumé d’une durée indéterminée, sauf preuve à l’effet contraire ».

Il importe de rédiger ces contrats avec soin. La juge dans AECOM s’est appuyée notamment sur le fait que le contrat de travail de M. Vissa ne contenait ni clause de renouvellement ni clause de préavis ou d’indemnisation en cas de résiliation avant l’arrivée de son terme. En effet, de telles clauses peuvent indiquer que la véritable nature d’un contrat est qu’il est à durée indéterminée.

Il est donc tout à fait possible de conclure au Québec un contrat à durée déterminée valable et exécutoire. En principe, aucun préavis de non-renouvellement n’est requis.

Cependant, l’article 2090 du Code civil du Québec stipule que « [l]e contrat de travail est reconduit tacitement pour une durée indéterminée lorsque, après l’arrivée du terme, le salarié continue d’effectuer son travail durant cinq jours, sans opposition de la part de l’employeur. » Il faut donc s’assurer que la prestation de travail prend bien fin à la date prévue au contrat.

Une mise en garde s’impose toutefois. En cas de rupture de contrat par l’employeur sans motif sérieux, le calcul des dommages est fondé sur la durée du contrat qui reste à courir. Si AECOM avait voulu mettre fin sans motif sérieux au contrat de M. Vissa après seulement six mois, elle se serait exposée au risque d’avoir à lui verser l’équivalent de quatre ans et demi de salaire. En général, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’un contrat à durée déterminée de plus d’un an sera approprié.


1 2017 QCCS 1818, Mme la juge Chantal Lamarche. Mme la juge Lamarche siège à la Cour supérieure depuis le 11 avril 2014. Auparavant, elle exerçait sa profession chez BLG dans le domaine du droit du travail et de l’emploi.

2 2014 QCCA 1538.

3 2017 QCCA 315