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Perspectives

Application d’une clause pénale par la Cour supérieure pour la sollicitation d’un employé : l’ex-employé et le client tenus solidairement au paiement de deux ans de salaire

Dans une décision récente de la Cour supérieure1, un ancien employé ainsi qu’un client ont été condamnés solidairement à payer à un fournisseur de services une pénalité substantielle prévue à une convention de services pour la violation d’une clause de non-sollicitation des employés.

M. Louhaur travaillait pour le Groupe SL inc. (ci-après « SL ») et était lié par une entente de confidentialité qui l’empêchait notamment de solliciter un client de SL pendant la durée de son emploi. M. Louhaur a annoncé à SL qu’il démissionnait de son poste, mais a continué à travailler pour lui au-delà de son préavis afin de permettre une transition adéquate.

Pendant sa période de préavis, M. Louhaur a participé à une entrevue de sélection avec le Groupe ABS inc. (ci-après « ABS »), client de SL. Il n’en a jamais fait mention à SL. Par ailleurs, la convention de services entre SL et ABS comprenait une clause pénale dans le cas où ABS décidait ou tentait de retenir les services d’une personne à l’emploi de SL.

Suite à son entrevue avec ABS, M. Louhaur a convenu avec SL que, dorénavant, il offrirait sa prestation de travail en tant que travailleur autonome. L’obligation de non-sollicitation des clients de SL et le devoir de loyauté ont été maintenus. M. Louhaur a cessé sa prestation de services pour SL. Deux mois plus tard, SL a appris que M. Louhaur était maintenant à l’emploi d’ABS.

La juge Marie-Claude Armstrong a condamné solidairement ABS et M. Louhaur à payer la pénalité prévue à la convention, soit la somme de 104 751,96 $, équivalant à deux années de salaire de M. Louhaur. Bien que ce dernier ait été un tiers à la convention liant SL et ABS, il a assisté ABS dans le non-respect de ses obligations.

ABS, en tentant de retenir les services de M. Louhaur pendant la durée de sa convention de services, a contrevenu à ses obligations contractuelles en vertu de cette dernière. Même si M. Louhaur a été embauché par ABS après la fin de son emploi avec SL, sa première entrevue de sélection alors qu’il était toujours employé constituait de la sollicitation.

M. Louhaur, quant à lui, a contrevenu à son obligation contractuelle de se comporter loyalement à l’égard de SL ainsi qu’à ses obligations extracontractuelles d’agir de bonne foi. Citant une décision de la Cour d’appel2, la juge Armstrong a rappelé que le Code civil du Québec admettait une notion large de la bonne foi, soit celle de la norme du comportement acceptable.

M. Louhaur et ABS ont donc contrevenu ensemble à leur obligation de bonne foi en n’agissant pas avec transparence. Le tribunal a inféré par présomption qu’ABS s’était entendue avec M. Louhaur pour modifier son statut d’employé alors qu’il continuait de travailler pour SL, dans le but de procéder à son embauche sans contrevenir à la convention.

Finalement, le tribunal a appliqué la clause pénale, les parties ayant spécifiquement convenu les dommages liquidés auxquels SL aurait droit. En effet, le détournement de sa clientèle a causé des dommages à deux niveaux pour le fournisseur de services : il s’est non seulement vu forcé de rechercher un nouveau technicien et de le former, mais a vu les besoins en services du client diminuer.

Ce genre de situation est fréquent. En effet, un employeur qui place des employés au service d’un client est certainement en droit de vouloir s’éviter que celui-ci ne les lui prenne. Cette décision affirme que la Cour supérieure est encline à entériner les clauses pénales visant à sauvegarder les obligations de loyauté et de bonne foi auxquelles sont soumis tout autant les clients que les ex-employés, quel que soit le montant des dommages liquidés. Les tribunaux considèrent que, dans le cas d’une clause contractée de façon mutuelle, celui qui y contrevient prend une décision d’affaires éclairée en toute connaissance du montant qu’il risque de payer. Par conséquent, les clients qui signent ce type de clause doivent être prudents et conscients que le recours à des subterfuges tels que le changement de statut de l’employé n’est pas suffisant pour se soustraire à son application.


1 Groupe SL inc. c. Groupe ABS inc., 2017 QCCS 4411.

2 Droit de la famille 171197, 2017 QCCA 861, par. 90 et ss.