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Perspectives

Dépôt du projet de loi réformant les normes du travail du Québec

Le 20 mars 2018, l’Assemblée nationale a déposé le projet de loi n°176 intitulé Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail (ci-après le « projet de loi »).

Les grandes lignes du projet de loi

Comme son titre l’indique, le projet de loi modifie notamment la Loi sur les normes du travail1 (ci-après la « L.n.t. ») de manière à moderniser une structure presqu’inchangée depuis la dernière réforme en 2002. Toutes les entreprises ayant des employés au Québec, tant syndiqués que non syndiqués, sont susceptibles d’être concernées dans une certaine mesure par les changements.

Plus particulièrement, le projet de loi introduit ou modifie des dispositions fondamentales telles que celles relatives au salaire, la durée du travail, les jours fériés, les congés annuels payés, les absences pour cause de maladie, les absences et congés pour raisons familiales ou parentales, le harcèlement psychologique, les disparités de traitement, le placement de personnel et les travailleurs étrangers temporaires et les dispositions pénales.

Le présent article vise à effectuer un tour d’horizon des changements législatifs les plus significatifs pour les employeurs.

  1. Salaire
  2. Tout d’abord, le projet de loi prévoit qu’une agence de placement de personnel ne pourra pas accorder à ses salariés un taux de salaire inférieur à celui consenti aux salariés de l’entreprise cliente qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement.

  3. Durée du travail
  4. En ce qui concerne la durée du travail, l’employeur et le salarié pourront convenir d’étaler les heures de travail sur une base autre qu’hebdomadaire sans obtenir l’autorisation de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après la « Commission ») tel qu’il en est actuellement le cas (article 53 de la L.n.t.). Cependant, l’accord devra être d’une durée maximale de six mois, les heures devront être étalées sur une période maximale de quatre semaines et une semaine de travail ne pourra pas excéder plus de 10 heures la norme.

    De plus, le projet de loi réduit à deux plutôt qu’à quatre le nombre d’heures supplémentaires que le salarié sera tenu d’accepter de faire et permettra au salarié de refuser de travailler lorsqu’il n’a pas été informé au moins cinq jours à l’avance qu’il devra travailler (article 59.0.1 de la L.n.t.).

  5. Jours fériés
  6. D’après le projet de loi, un salarié aura droit à une indemnité non seulement lorsqu’il sera en congé annuel pendant un jour férié, mais également lorsqu’un tel jour ne coïncidera pas avec son horaire habituel de travail (article 64 de la L.n.t.).

  7. Congés annuels payés
  8. Le projet de loi accélère l’acquisition de la troisième semaine de congé annuel en prévoyant qu’un salarié avec trois années de service continu y aura droit, alors qu’actuellement, la L.n.t. prévoit un minimum de cinq années de service continu pour avoir droit à cette troisième semaine (article 69 de la L.n.t.).

  9. Absences pour cause de maladie
  10. Le projet de loi accorde deux journées de maladie rémunérées annuellement à un salarié qui justifie de trois mois de service continu (article 79.2 de la L.n.t.). Actuellement, la L.n.t. ne prévoit qu’une absence sans salaire.

  11. Absences et congés pour raisons familiales ou parentales
  12. Le projet de loi prévoit que deux des dix journées par année accordées en cas d’absence pour remplir des obligations familiales seront rémunérées si le salarié justifie de trois mois de service continu (articles 79.7 et 79.16 de la L.n.t.). Ce changement est conforme aux normes à cet effet en Ontario, avec cependant une distinction. En effet, la Loi de 2000 sur les normes de l’emploi de l’Ontario prévoit aussi deux journées d’absence rémunérées et huit sans salaire, mais les salariés deviendront admissibles aux journées rémunérées seulement qu’après une semaine de service continu, ce qui est donc nettement plus court que ce que le projet de loi québécois prévoit.

    Le projet de loi prévoit aussi que l’employeur pourra demander au salarié de lui fournir un document attestant les motifs de cette absence.

    Il est à noter que l’employeur n’est pas tenu de rémunérer plus de deux journées au total en cas d’absence du travail en raison de maladie ou d'obligations familiales.

    La durée de l’absence pour prendre soin d’un parent ou d’une personne pour laquelle le salarié agit comme proche aidant en raison d’une grave maladie ou d’un grave accident augmente de 12 à 16 semaines sur une période d’un an (article 79.8 de la L.n.t.). Lorsque ce parent ou cette personne sera un enfant mineur, la période d’absence sera de 36 semaines sur une période de 12 mois.

    Par ailleurs, le projet de loi prévoit une absence pour prendre soin d’un parent autre qu’un enfant mineur ou d’une personne pour laquelle le salarié agit comme proche aidant en raison d’une maladie potentiellement mortelle qui est de 27 semaines sur 12 mois.

    Une absence causée par la disparition d’un enfant mineur ou par le décès d’un père, d’une mère, d’un enfant majeur ou d’un conjoint par suicide augmente de 52 à 104 semaines (articles 79.10 et 79.11 de la L.n.t.). Le décès de l’enfant mineur entrainera, quant à lui, le droit à une absence pendant une période de 104 semaines. La période maximale d’absence pour ces absences sera de 104 semaines (article 79.15 de la L.n.t.).

    À l’occasion d’un décès ou de funérailles, un salarié pourra s’absenter pendant deux journées plutôt qu’une sans réduction de salaire et pendant trois journées plutôt que quatre sans salaire (article 80 de la L.n.t.).

    Deux des cinq journées accordées en cas d’absence à l’occasion de la naissance ou de l’adoption seront rémunérées pour tous les salariés, peu importe la durée de leur service continu avec l’employeur (article 81.1 de la L.n.t.).

  13. Harcèlement psychologique
  14. Le projet de loi précise que la définition du harcèlement psychologique inclut les paroles, les actes et les gestes à caractère sexuel (article 81.18 de la L.n.t). De plus, parmi les moyens raisonnables que l’employeur devra prendre pour prévenir le harcèlement psychologique, le projet de loi ajoute que l’employeur devra adopter et rendre disponible aux salariés une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes (article 81.19 de la L.n.t.). La méthode exacte que devra privilégier l’employeur pour rendre la politique disponible n’est pas spécifiée par le projet de loi.

    Dans un recours en cas de harcèlement psychologique, l'employeur devra aviser sans délai la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse lorsque la plainte concernera une conduite à caractère sexuel (article 123.6 de la L.n.t.).

  15. Disparités de traitement
  16. Le projet de loi ajoute une nouvelle interdiction quant à une distinction fondée uniquement sur une date d’embauche relativement à des régimes de retraite ou à d’autres avantages sociaux (article 87.1 de la L.n.t.). Cette nouvelle disposition fait suite à une décision de la Cour d’appel du Québec2 qui a établi que l’article 87.1 de la L.n.t. ne s’appliquait pas aux conditions de travail que constituent les avantages sociaux et le régime de retraite. Le législateur vient donc répondre à cette interprétation par l’introduction d’une disposition spécifique à cet effet. Le projet de loi tente de parer à l’injustice causée par la décision de la Cour d’appel.

    Le projet de loi introduit également une nouvelle section sur les recours à l’encontre de certaines disparités de traitement. Un salarié qui croit être victime d’une disparité de traitement pourra adresser une plainte par écrit à la Commission dans les 90 jours de sa connaissance de la distinction qu’il souhaite contester.

  17. Placement de personnel et travailleurs étrangers temporaires
  18. Le projet de loi adopte de nouvelles règles spécifiques aux agences de placement de personnel et aux agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires (ci-après les « agences »). En effet, les agences se verront obligées de détenir un permis délivré par la Commission. Une entreprise cliente sera prohibée de retenir en toute connaissance de cause les services d’une agence qui n’est pas titulaire d’un tel permis. Les agences et les entreprises clientes qui recourent aux services d’un salarié seront solidairement responsables des obligations pécuniaires envers ce salarié.

    De plus, le projet de loi ajoute une disposition pénale qui prévoit une amende de 600 $ à 12 000 $ pour quiconque contrevient à ces obligations en matière de placement de personnel.

    Le projet de loi prévoit aussi que l’employeur qui embauche un travailleur étranger temporaire devra informer sans délai la Commission de la date d’arrivée du travailleur, de la durée de son contrat et, si la date de son départ ne coïncide pas avec la fin de son contrat, de la date et des raisons de son départ. Notons que le projet de loi interdit aux employeurs d’exiger qu’un travailleur étranger lui confie la garde de documents personnels ou biens qui lui appartiennent.

  19. Dispositions pénales
  20. L’administrateur ou le dirigeant sera présumé avoir commis l’infraction reprochée à la personne morale, la société ou l’association, à moins qu’il ne puisse démontrer qu’il a fait preuve de diligence raisonnable en prenant toutes les précautions nécessaires pour en prévenir la perpétration (article 142 de la L.n.t.). Actuellement, cette disposition prévoit que le dirigeant, l’administrateur, l’employé ou l’agent est réputé être partie à l’infraction si il a prescrit, autorisé, consenti ou acquiescé à l’accomplissement de l’infraction.

Conclusion

Ces changements proposés auront un effet considérable sur les coûts que les employeurs devront défrayer, notamment en ce qui a trait à l’accélération de l’acquisition des trois semaines de congé annuel et par l’ajout de journées de maladie et d’obligations familiales rémunérées. De plus, les indemnités compensatoires pour les salariés qui ne travaillent habituellement pas pendant un jour férié auront un impact quantifiable sur la masse salariale. La mise à jour des politiques et des manuels de l’employé engendreront également des coûts pour les employeurs, mais ces coûts préviendront les dépenses liées aux potentielles réclamations.

Bien que le projet n’ait pas encore été adopté, la date d’entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2019 relativement aux dispositions suivantes : la durée maximale du travail (article 59.01.1 de la L.n.t.), les congés annuels payés (article 69 L.n.t.), les absences pour cause de maladie (article 79.2 de la L.n.t.), les absences pour obligations familiales (article 79.7 de la L.n.t.), les absences à l’occasion d’un décès ou de funérailles (article 80 de la L.n.t.), les absences à l’occasion de la naissance ou de l’adoption (article 81.1 de la L.n.t.) et l’obligation d’adopter et de distribuer une politique de prévention du harcèlement (article 81.19 de la L.n.t.).

En ce qui a trait aux autres dispositions du projet de loi, la date d’entrée en vigueur demeure pour l’instant inconnue, mais devrait être annoncée sous peu, considérant l’imminence des élections provinciales. Il est hautement probable que le projet de loi soit adopté sans changements fondamentaux.

Le groupe Droit du travail et de l’emploi de BLG se tiendra à l’affût des développements relatifs à l’adoption et à l’entrée en vigueur du projet de loi et vous tiendra au courant. Néanmoins, nous recommandons aux employeurs de se préparer à faire face rapidement à ces changements législatifs.


1 RLRQ, c N-1.1.

2 Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau, section locale 574, SEPB, CTC-FTQ c. Groupe Pages jaunes Cie, 2015 QCCA 918.

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