une main qui tient une guitare

Perspectives

Projet de loi 162 relatif aux recommandations de la commission Charbonneau

Depuis longtemps, le Québec possède un régime de licence visant à qualifier les entrepreneurs en construction. La Loi sur le bâtiment1 et les règlements connexes énoncent les exigences en matière de licence auxquelles doivent se conformer les entrepreneurs ou les sous-traitants qui souhaitent effectuer en toute légalité des travaux de construction dans la province.

En plus de valider les compétences des entrepreneurs actifs au Québec, le régime vise à débusquer et à interdire tous les travaux de construction qui se font en l’absence de licence. Il s’agit d’une mesure parmi de nombreuses autres mises en œuvre afin de freiner la croissance des activités de construction illégales ne respectant pas le cadre prévu par la loi et la réglementation provinciales. Ainsi, on interdit notamment aux entreprises qui contreviennent à diverses dispositions fiscales ou du Code criminel de participer à des appels d’offres visant des projets publics québécois.

Au terme d’une vaste enquête sur la corruption dans l’industrie de la construction, la Commission Charbonneau a rendu public, en novembre 2015, son rapport dans lequel elle formule une série de recommandations propres à accroître la surveillance de l’industrie et à enrayer, autant que faire se peut, la corruption.

Le gouvernement provincial a récemment déposé le projet de loi 162, intitulé Loi modifiant la Loi sur le bâtiment et d’autres dispositions législatives afin principalement de donner suite à certaines recommandations de la Commission Charbonneau. Entre autres changements, ce projet de loi modifie le régime de licence pour tenir compte de certaines des recommandations de la Commission Charbonneau, et prévoit notamment des mesures visant à accroître les pouvoirs de la Régie du bâtiment du Québec (« RBQ ») pour ce qui est d’évaluer et de superviser l’intégrité d’un entrepreneur ou celle de ses mandants.

En vertu du régime de licence, une entreprise qui souhaite obtenir une licence doit le faire par l’entremise d’une personne qui agira comme répondant pour celle-ci. Une entreprise peut ainsi faire appel à plusieurs répondants différents qui assureront sa qualification dans diverses sphères d’activité, par exemple pour ce qui est des volets technique, administratif, santé et sécurité ou gestion de projet et de chantier.

Le répondant doit être un « membre » de la société (qui s’entend désormais d’un administrateur), un dirigeant au sens des lois sur les sociétés par actions provinciales ou un actionnaire détenant 10 pour cent ou plus des droits de vote rattachés aux actions de la société en question.

Les modifications viennent également clarifier les responsabilités prévues par la loi auxquelles est soumis le répondant, notamment en ce qui concerne le responsable de la gestion des activités pour lequel il a qualifié le titulaire de la licence. Dorénavant, le répondant est responsable des interactions de la société avec la RBQ et il doit s’assurer que la société s’acquitte de ses obligations envers celle-ci. Le répondant qui ne satisfait pas à ses obligations en vertu de la loi ou qui fait une fausse déclaration peut désormais voir sa licence suspendue ou annulée. Ces mesures ont pour but de prévenir les situations dans lesquelles des sociétés nomment des répondants uniquement aux fins de l’obtention d’une licence et où ceux-ci ne prennent en réalité aucunement part aux activités de construction de la société.

L’établissement d’un seuil de 10 pour cent pour ce qui est de la détention de droits de vote rattachés aux actions place donc les actionnaires sous la loupe de la RBQ lorsque celle-ci évalue si une société et ses dirigeants satisfont au critère d’intégrité prévu par la loi.

Le pouvoir dont jouit la RBQ d’évaluer l’intégrité d’un éventuel titulaire de licence et la discrétion qui lui est conférée pour ce qui est de refuser de délivrer ou d’annuler une licence existante ont été accrus. En effet, la RBQ peut maintenant refuser de délivrer une licence si elle considère que les travaux de construction visés par la licence demandée ne cadrent pas avec les sources de financement des activités ou si elle estime que la structure de l’entreprise permet au titulaire éventuel ou à toute autre personne de se soustraire à l’application de la Loi sur le bâtiment. En outre, la RBQ peut refuser de délivrer une licence si un dirigeant ou une autre personne physique de la société a déjà faussement déclaré ou dénaturé les faits relatifs à une demande de licence antérieure ou omis de fournir un renseignement dans le but de l’obtenir. Elle peut également refuser de délivrer une licence au motif qu’un demandeur est lié à une autre personne physique qui ne se serait pas qualifiée pour l’obtention d’une licence.

Les modifications prévoient également que des règlements seront pris pour exiger de tous les entrepreneurs titulaires d’une licence qu’ils fournissent des cautionnements au titre de l’exécution des travaux, de la main-d’œuvre et des matériaux pour garantir que les travaux de construction et les paiements se poursuivront si une licence venait à être annulée ou suspendue.

La Commission Charbonneau avait par ailleurs recommandé une plus grande protection des dénonciateurs afin d’éradiquer l’omerta ayant permis la corruption systémique que l’enquête a mise au jour. Pour ce faire, le projet de loi 162 ajoutera une nouvelle section à la Loi sur le bâtiment, intitulée « Immunité et protection contre les représailles ». Toute personne qui informe ou avise la RBQ d’actes ou d’omissions qui peuvent constituer une violation du régime de licence se voit ainsi accorder une immunité contre tout recours civil lié à cette dénonciation et est protégée de toute menace ou mesure de représailles, y compris celles qui surviennent dans le cadre de son emploi.

Bien que ces mesures n’aient pas encore été mises en œuvre, elles seront probablement bien accueillies puisqu’il planait une certaine incertitude quant à la volonté du gouvernement du Québec de donner suite aux recommandations de la Commission Charbonneau. En adoptant le projet de 162, celui-ci réitère son intention de marcher dans les traces de la Commission.


1 RSQ , c. B-1.1.