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Perspectives

Commission des normes du travail c. William commandité inc. : le statut de salarié et l’économie « à la demande »

En novembre dernier, le juge Granosik a rendu une décision s’inscrivant tout à fait dans la tendance actuelle de reconnaissance accrue d’un statut de « salarié » à des personnes par ailleurs souvent considérées comme étant des travailleurs autonomes.

Dans Commission des normes du travail c. 1845 William Commandité1, il était question de déterminer le statut d’une courtière immobilière, Jennifer Jackson (« Jackson ») ayant œuvré pour une compagnie, 1845 William Commandité (« William »), à titre de représentante des ventes puis de directrice des ventes, le tout en vertu d’une entente de service selon laquelle Jackson était une travailleuse autonome.

Les faits de cette affaire sont forts simples. William est une entreprise créée afin de gérer et mener à terme un projet de développement immobilier, lequel consiste en trois bâtiments comprenant 161 condominiums d’une valeur totale de plus de 60 millions de dollars. En août 2011, après avoir agi durant quelques mois à titre de courtière immobilière pour William, Jackson se voit offrir de travailler pour l’entreprise à titre de représentante des ventes, ce qu’elle accepte. Selon les modalités de cette entente, Jackson est payée uniquement à commission, soit un montant fixe de 1 500$ pour chaque condominium, 250$ pour chaque stationnement, et 5% pour tout extra vendus à des clients de William. Lorsqu’elle accepte cette position, William offre à Jackson la possibilité de se joindre à la compagnie à titre d’employée salariée, ou de travailleuse autonome. C’est ainsi que Jackson fait le choix de convenir d’une entente avec William selon laquelle elle conserve le statut de travailleuse autonome.

En mars 2012, Jackson est nommée directrice des ventes. L’entente qui la lie à William reste alors substantiellement la même, si ce n’est qu’elle doit désormais fournir certains rapports concernant la progression des ventes et les heures de travail d’une des employées de l’entreprise, et qu’elle reçoit maintenant des commissions tant au moment de la vente qu’au moment de la livraison des condominiums vendus. 

En mars 2013, à la suite d’une altercation entre Jackson et les dirigeants de William, Jackson décide de quitter l’entreprise. Elle s’adresse alors à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST ») afin d’obtenir les commissions impayées par William lors de son départ. Or, à la suite de son enquête, la CNESST conclut que Jackson n’était pas travailleuse autonome, mais bien salariée de William, et réclame en son nom les commissions impayées, à titre de salaire, ainsi que des indemnités à titres de vacances et de congés fériés.

Dans son analyse visant à déterminer le statut de Jackson au sens de la Loi sur les normes du travail (la « Loi ») et de la jurisprudence, le juge Granosik rappelle qu’une personne salariée est une personne qui loue ses services à une autre personne (incluant une personne morale), laquelle lui verse un salaire en contrepartie. Il rappelle également qu’une relation salarié(e)-employeur doit comporter des éléments de « subordination, soit un rapport d’autorité ou un lien hiérarchique, la détermination d’un cadre de travail par l’employeur, soit ses paramètres et ses objectifs, et enfin, la rémunération versée par l’employeur au salarié »2. Cette définition peut aussi englober les cadres. Au contraire, la relation entre un prestataire de service, ou travailleur autonome, et une entreprise sera caractérisée par l’indépendance du travailleur relativement à l’exécution de son travail, ainsi que par les chances de profit ou les risques de perte pour le travailleur. De plus, ce dernier ne sera pas évalué sur la qualité de son travail en tant que tel, mais plutôt sur le résultat final de sa prestation. Finalement, le juge Granosik indique que le critère le plus important à analyser est celui de la présence d’un lien de subordination entre le travailleur et l’entreprise.

Appliquant le droit aux faits de l’espèce, le juge détermine que malgré l’absence de toute évaluation du rendement de Jackson ou de tout objectif de vente, et malgré le fait qu’elle n’ait jamais reçu ou été soumise à l’application de toute politique de l’entreprise, la preuve prépondérante établit l’existence d’un lien de subordination entre Jackson et William.

En effet, aux yeux de la Cour, la relation globale existant entre Jackson et William doit être qualifiée de relation salariée-employeur et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, tous les outils utilisés par Jackson appartiennent à William, outre son cellulaire, lequel est pour sa part payé par la compagnie. De plus, l’horaire de travail de Jackson doit être approuvé par les dirigeants de William. Ensuite, Jackson n’a aucune discrétion relativement au prix des condominiums, ne peut signer de contrat d’achat elle-même, et doit obtenir le consentement des dirigeants de William pour tout changement envisagé au niveau financier. De plus, la Cour détermine que Jackson, contrairement à un entrepreneur, ne court aucun risque de perte ni n’a aucune chance de faire des profits en raison de son rendement, puisque peu importe l’intensité de son travail, ses commissions sont déterminées à l’avance, de façon fixe.

Par ailleurs, Jackson doit également aviser les dirigeants de William de chacune de ses absences, et leur faire approuver ses vacances. C’est d’ailleurs de cette réalité qu’a découlé l’altercation ayant mené à la démission de Jackson, puisqu’elle a été réprimandée en raison d’une absence pour maladie non annoncée. Pour le juge, il s’agit là d’une preuve claire de l’existence d’un lien de subordination entre Jackson et William, ce qui lui permet de confirmer le statut de salarié de Jackson, ainsi que le bien-fondé de la poursuite entamée par la CNESST.

Ce faisant, le juge rejette l’argument de William à l’effet que non seulement Jackson a toujours été considérée comme une travailleuse autonome aux yeux des autorités fiscales, mais aussi et surtout qu’elle a elle-même décidé d’œuvrer pour William à titre de travailleuse autonome, alors qu’elle avait eu le choix d’être une salariée de l’entreprise.


1 2017 QCCS 5069

2  Id., para 37.