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Perspectives

CONDUIRE EN ÉTAT D’ÉBRIÉTÉ EN DEHORS SES HEURES DE TRAVAIL NE CONSTITUE PAS TOUJOURS UN MOTIF DE CONGÉDIEMENT SUFFISANT

Des décisions antérieures au Canada ont confirmé que le comportement d’un employé en dehors de ses heures de travail pouvait donner lieu à son congédiement. Cependant, ce type de conduite, même grave, après le travail peut ne pas s’avérer suffisant pour constituer un motif sérieux de congédiement. C’est ce qu’a récemment décidé la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans une affaire où le sous-chef d’un service d’incendie avait été arrêté en dehors de ses heures de travail pour conduite en état d’ébriété au volant d’un camion municipal.

Contexte

Dans l’affaire Klonteig v. District of West Kelowna, 2018 BCSC 124, M. Klonteig, sous-chef du service d’incendie du District de West Kelowna (le « District »), a reçu une interdiction administrative de conduire de 90 jours après avoir été interpellé pour conduite avec facultés affaiblies. Il a été arrêté alors qu’il rentrait d’une soirée en amoureux avec son épouse, au volant d’un camion réservé au chef du service d’incendie que ce dernier lui avait prêté et qui appartenait au District. Le véhicule a été mis en fourrière.

M. Klonteig a immédiatement signalé l’incident au chef du service d’incendie et à la conseillère en ressources humaines en présentant les faits avec honnêteté. Ces derniers ayant d’abord cru, à tort, que M. Klonteig avait écopé d’une suspension de 24 heures, moins sévère, ils ont envisagé de lui adresser une réprimande écrite. Cependant, comme il avait finalement été sanctionné plus sévèrement, ils l’ont renvoyé chez lui et l’ont suspendu de ses fonctions. Le chef du service d’incendie et la conseillère en ressources humaines n’étaient pas en faveur d’un congédiement pour cause considérant l’exemplarité du dossier de M. Klonteig, lequel était un employé respecté qui avait un dossier disciplinaire vierge. Celui-ci est apparu bouleversé et semblait avoir des remords quant à sa conduite.

Toutefois, la décision revenait au directeur municipal, qui était irrité par le risque pour la sécurité publique et l’éventuelle responsabilité envers les contribuables auxquels le comportement de M. Klonteig avait exposé le District. C’est pourquoi il a décidé de passer outre aux recommandations du chef du service d’incendie et de la conseillère en ressources humaines en mettant fin à l’emploi de M. Klonteig pour cause. Ce dernier a alors poursuivi son employeur pour congédiement injustifié.

Décision

La Cour a confirmé que le comportement adopté par un employé en dehors de ses heures de travail peut constituer un motif sérieux de congédiement, mais qu’alors cette conduite [traduction] « doit nuire ou être susceptible de nuire aux intérêts ou à la réputation de l’employeur », ce qui n’était pas le cas dans cette affaire.

La Cour a en effet noté que le camion que conduisait le demandeur au moment de l’incident portait un numéro de flotte, mais aucune vignette ni autre insigne ne permettait de l’identifier comme appartenant au District. La suspension administrative de M. Klonteig n’a pas été rendue publique et, dans tous les cas, ses responsabilités étaient essentiellement d’ordre administratif (elles concernaient notamment la gestion des relations avec les employés) et ne comprenaient pas d’interactions avec le public comme dans le cas du chef du service d’incendie. La Cour a exprimé son désaccord avec le District, qui estimait que la conduite de M. Klonteig avait affecté la confiance de ses collègues envers lui. Il semblerait en effet que la majorité d’entre eux n’avaient pas eu connaissance de sa suspension administrative et, une fois mis au courant, avaient signé une lettre pour lui apporter leur soutien. La Cour a également fait remarquer que le policier qui l’avait arrêté a opté pour une sanction administrative plutôt qu’une accusation criminelle, ce qui démontrait le caractère moralement répréhensible de ce comportement tel qu’il peut être perçu par la population.

M. Klonteig avait 48 ans au moment des faits. Avant d’entrer au service du District de Westside (aujourd’hui Ville de West Kelowna), pour lequel il travaillait depuis un peu plus de 5 ans à titre de sous-chef du service d’incendie, il avait été employé par le service d’incendie de la Ville de Kelowna pendant 13 ans. Après son congédiement, il n’est pas parvenu à trouver un nouveau poste dans son domaine et s’est finalement trouvé contraint d’entamer une nouvelle carrière. Cependant, si la Cour a conclu que le motif invoqué pour son congédiement était insuffisant, elle a indiqué que les dommages se limitaient à une indemnité de préavis de 5 mois, comme le stipulait la clause de cessation d’emploi de son contrat de travail.

La Cour a rejeté l’argument de M. Klonteig selon lequel son préavis aurait dû être prolongé à 18 mois en réparation du terme qu’il a dû mettre à la carrière qu’il avait bâtie pendant cette période et du refus du District de lui fournir la lettre de recommandation qu’il lui avait initialement promise. Ce faisant, la Cour a confirmé qu’une telle prolongation du préavis n’était pas fondée en droit et a jugé que la preuve de détresse psychologique découlant des circonstances du congédiement était insuffisante. Le District n’a aucunement porté atteinte à la réputation de M. Klonteig ni produit de fausses déclarations à l’égard de son congédiement et la Cour a déterminé que l’incapacité de ce dernier à retrouver un emploi dans son domaine ne reposait pas sur l’absence de lettre de recommandation.

Points à retenir

Cette affaire montre aux employeurs l’importance de procéder avec prudence lorsqu’ils congédient un employé pour cause à la suite d’une inconduite en dehors des heures de travail, même si la faute commise semble grave. Ils doivent examiner de près dans quelle mesure le comportement reproché porte atteinte aux intérêts et à la réputation de l’entreprise, en accordant une attention particulière aux véritables devoirs et responsabilités de l’employé au sein de l’entreprise ainsi qu’à ses antécédents disciplinaires. Toutefois, la décision de la Cour suprême permet également de rappeler aux employés l’intérêt qu’ils ont à prévoir dans leurs contrats de travail une clause de cessation d’emploi bien rédigée afin de limiter les dommages potentiels dans l’éventualité où un tribunal conclurait à un congédiement injustifié.