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Sur le radar : Perspectives juridiques relatives aux véhicules autonomes

POINT DE VUE

Le Québec va de l'avant en instaurant un cadre législatif réglementant la conduite des véhicules autonomes sur nos routes

Le 27 mars 2018, nous avons publié un bulletin spécial traitant de l’incident de Tempe qui donne un aperçu de l'environnement réglementaire à travers le Canada et de la nécessité d'apporter des changements. Le présent article aborde plus particulièrement le cadre réglementaire québécois et la question qui se pose est de savoir si ces accidents auront une incidence sur la nouvelle législation visant à faciliter l'utilisation de véhicules autonomes sur la voie publique au Québec.

Le Québec, ayant tout juste adopté la Loi modifiant le Code de la sécurité routière et d’autres dispositions2 (ci-après la « Loi modifiant le CSR » ou la « Loi »), est allé de l’avant en réglementant l’utilisation des véhicules autonomes sur nos routes par l’adoption du projet de loi no 165 le 17 avril 2018.

L’un de ces changements permettra à la province d’autoriser la mise en œuvre de projets-pilotes visant à expérimenter l’utilisation des véhicules autonomes sur les routes du Québec à compter du 18 avril 2018. De plus, dès le 18 mai prochain, les véhicules autonomes de niveau 3 seront exclus de l’interdiction réglementaire de conduire un véhicule autonome sur les routes du Québec.

Le Code de la sécurité routière

Le Code de la sécurité routière du Québec (ci-après le « CSR »)3 est une loi qui régit l'utilisation des véhicules, la circulation des piétons ainsi que la sécurité routière.

En décembre 2017, un projet de loi modifiant le CSR et d’autres dispositions était présenté à l’Assemblée nationale du Québec4. Ayant fait l’objet de consultations particulières et d’auditions publiques au cours des derniers mois, il a été adopté par l’Assemblée nationale le 17 avril 2018; certaines dispositions de la Loi modifiant le CSR sont entrées en vigueur dès le 18 avril 2018, alors que d’autres s’appliqueront à compter du 18 mai 2018.

Dans un premier temps,  la Loi inclut la définition de véhicule autonome qui se lit comme suit :

« véhicule autonome » : un véhicule routier équipé d’un système de conduite autonome qui a la capacité de conduire un véhicule conformément au niveau d’automatisation de conduite 3, 4 ou 5 de la norme J3016 de la SAE International » 5

Cette définition réfère à la norme J3016 de la SAE qui est la plus utilisée. Cette norme établit le degré d’automatisation des véhicules autonomes sur une échelle de 0 à 5. Le niveau 5 correspond au degré le plus élevé d’automatisation, ne nécessitant aucune intervention humaine6.

La Loi inclut également le nouvel article 492.8 qui codifie la prohibition de conduire un véhicule autonome sur l’ensemble du réseau routier du Québec, cette interdiction ne s’appliquant toutefois pas au « véhicule autonome de niveau d’automatisation de conduite 3, selon la norme J3016 de la SAE International, dont la vente est admise au Canada » 6.

Finalement, la Loi introduit l’article 633.1, qui encadre et autorise la mise en place de projets-pilotes relatifs aux véhicules autonomes :

« L’article 633.1 de ce code est modifié :

1par le remplacement du deuxième alinéa par les suivants :

« Le ministre peut par arrêté, après consultation de la Société, autoriser la mise en œuvre de projets-pilotes visant à étudier, à expérimenter ou à innover à l’égard de toute matière relevant du présent code. Dans un objectif de sécurité routière, il peut notamment élaborer de nouvelles règles de circulation ou d’utilisation de véhicules. Le ministre fixe les règles et conditions de mise en œuvre d’un projet-pilote. Il peut autoriser, dans le cadre d’un projet-pilote, toute personne ou organisme à utiliser un véhicule selon des normes et des règles qu’il édicte. Les dispositions d’un projet-pilote ont préséance sur toute disposition inconciliable du présent code et de ses règlements.

En ce qui concerne les projets-pilotes relatifs aux véhicules autonomes, le ministre peut également prévoir une exemption de contribution d’assurance associée à l’autorisation de circuler ainsi que fixer le montant minimum obligatoire de l’assurance responsabilité garantissant l’indemnisation du préjudice matériel causé par une automobile. Il peut aussi prévoir l’obligation, pour le fabricant ou le distributeur, de rembourser à la Société les indemnités qu’elle sera tenue de verser en cas d’accident automobile. Ces règles particulières ont préséance sur celles prévues par la Loi sur l’assurance automobile (chapitre A-25) et de ses règlements.» 8

Permettre l'essai de véhicules autonomes sur les routes du Québec est certainement un pas dans la bonne direction. Toutefois, compte tenu de la vitesse à laquelle les nouvelles technologies progressent dans ce domaine et du Rapport qui contient plusieurs recommandations, un vide juridique persiste entourant plusieurs enjeux importants, dont la sécurité, les assurances et la responsabilité.

Bien que la Loi contienne également certaines modifications à la Loi sur l’assurance automobile du Québec (la « LAAQ »)9, aucune d’entre elles ne concerne les véhicules autonomes. Le gouvernement du Québec devrait selon nous proposer des modifications à la LAAQ visant à clarifier la responsabilité légale des conducteurs et des fabricants lorsqu’il est question de conduite autonome.

En effet, tel que stipulé à l’article 633.1 récemment introduit dans le CSR10, le ministre peut prévoir l’obligation pour le fabricant ou le distributeur de rembourser à la Société les indemnités en cas d’accident automobile dans le contexte de ce projet-pilote, sans toutefois donner aucune autre précision sur la portée de cette disposition. Cela dit, on ne sait pas clairement quel est le pouvoir d’exécution octroyé au ministre dans l'application de cette disposition.

Au Québec, l’un des fondements du Régime d’assurance automobile est celui de l’indemnisation sans égard à la faute qui s’applique pour toute blessure corporelle subie lors d’un accident impliquant un véhicule automobile11. Ce régime ne tient pas compte de la responsabilité du conducteur impliqué dans un tel accident et c’est pourquoi il n’est pas possible pour la victime d’intenter une poursuite contre le responsable d’un tel accident de la route. Le gouvernement est le seul responsable de l’indemnisation d’une telle victime.

En cas de dommages matériels, l’auteur de l’accident demeure toutefois responsable du préjudice qu’il cause, sous réserve des exceptions prévues au paragraphe 108 de la LAAQ. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la LAAQ oblige tous les propriétaires de véhicules à souscrire à une police d’assurance responsabilité12.

Ce qu'il faut retenir à la lumière de l'article 633.1 du CSR qui a préséance sur la LAAQ, c'est qu'en cas d'accident causé par un véhicule autonome dans le cadre d'un projet-pilote, le gouvernement du Québec a décidé de laisser au ministre la possibilité de tenir le fabricant du véhicule responsable des dommages qui pourraient survenir. Cependant, nous croyons que les lignes directrices entourant cette disposition devront être définies pour clarifier notamment l’exigence de preuve quant à la conclusion d’une responsabilité à l'encontre du fabricant.

Conclusion

Bien que les récents changements législatifs représentent un pas dans la bonne direction, plusieurs aspects tels la cybersécurité, la protection des renseignements personnels, les infrastructures, les assurances et la responsabilité ne sont toujours pas, à ce jour, régis par un cadre législatif. Nous espérons que la sortie récente du Rapport incitera le gouvernement du Québec à revoir ses lois et à prévoir d’autres modifications à apporter au CSR ainsi qu’à la LAAQ en matière de conduite autonome sur une base proactive. Reste à savoir quels impacts ces modifications auront en matière de sécurité, d’assurance et de responsabilité.


1 Comité sénatorial permanent des transports et des communications, « Paver la voie : technologie et futur du véhicule automatisé », Ottawa (29 janvier 2018) [Rapport]

2 LQ 2018, c 7

3 RLRQ, c C-24.2.

4 PL 165, Loi modifiant le Code de la sécurité routière et d’autres dispositions, 1e sess, 41e  lég, 2017 [Projet de loi].

5 LQ 2018, c 7, art. 4

6 La Société des ingénieurs automobiles (SAE) a défini en 2014 un langage commun et un standard (J3016) pour classifier les véhicules autonomes. Le niveau 0 réfère à une conduite automobile contrôlée à 100 % par le conducteur tandis que le niveau 5 correspond au degré d’automatisation le plus élevé qui ne nécessite aucune intervention humaine. Voir un article de Kevin LaRoche et Robert Love de chez BLG, Autonomous Vehicles, 2016. En savoir plus.

7 LQ 2018, c 7, art. 492.8

8 LQ 2018, c 7, art. 633.1

9 RLRQ c A-25 [LAAQ].

10 LQ 2018, c 7, art. 633.1

11 LAAQ, supra note 9, art 5.

12 Ibid, art 84.

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