une main qui tient une guitare

Perspectives

La mise à pied temporaire de professionnels rémunérés à l’année peut constituer une rupture de leur contrat d’emploi

Dans la décision Groupe Lelys c. Lang (« Lelys ») rendue en 2016, la Cour d’appel du Québec semblait désormais permettre à un employeur de suspendre temporairement le travail d’un employé, et ce, même en l’absence d’une clause prévoyant la possibilité d’une mise à pied temporaire dans le contrat d’emploi. La Cour d’appel écrivait effectivement que « la mise à pied pour des raisons d’ordre économique est une pratique courante et acceptée au Québec ». Nous vous référons également à nos propos concernant ce jugement dans l’article intitulé « De la légalité des mises à pied temporaires à la lumière de décisions récentes au Québec et en Ontario ».

Cependant, la Cour supérieure est venue rectifier le tir dans la décision Stepanian c. Réseaux sans fils Calamp inc. (2018 QCCS 611) (« Stepanian »). Dans cette affaire, l’employeur, confronté à un ralentissement de ses opérations, a dû mettre temporairement à pied trois de ses employés professionnels embauchés à l’année, et ce, peu de temps après avoir décidé de les relocaliser à leur résidence. Quelques mois plus tard, les employés visés par la mesure ont déposé un recours devant la Cour supérieure contre leur ancien employeur au motif qu’ils avaient en réalité fait l’objet d’un congédiement déguisé.

Une des questions en litige soumises à la Cour était de déterminer si la mise à pied temporaire des employés avait eu pour effet de rompre le lien d’emploi entre les parties.

La Cour supérieure a conclu que l’employeur, en décidant de mettre à pied temporairement ses trois employés, avait plutôt mis fin à leur emploi. La Cour supérieure en est venue à cette conclusion puisque les employés n’avaient pas l’obligation d’accepter une modification substantielle de leurs conditions de travail qui consistait à les placer dans une situation de « disponibilité passive », soit de voir leur prestation de travail suspendue et être par conséquent privés de leur salaire.

La Cour a par ailleurs fait une distinction importante entre la mise à pied des trois employés, soit des professionnels employés à l’année n’ayant jamais été confrontés à des pénuries de travail, et la mise à pied d’ouvriers payés à l’heure dans un marché cyclique. En effet, contrairement aux faits dans l’affaire Groupe Lelys où l’employé mis à pied avait été prévenu avant son embauche du caractère aléatoire de l’emploi, la mise à pied temporaire cyclique des employés dans l’affaire Stepanian ne faisait pas partie de leurs conditions de travail.

Par conséquent, à la lumière de ce qui précède, il est désormais d’autant plus important que les employeurs pensent à intégrer dans leurs contrats d’emploi une clause leur permettant de mettre temporairement à pied leurs employés, afin d’éviter que cette mesure prise à leur égard en raison d’une situation économique ou administrative plus difficile pour l’employeur ne constitue plutôt un congédiement déguisé. 

  • Par : Maude Longtin