une main qui tient une guitare

Perspectives

Loyauté vs liberté d’expression : quelle valeur domine l’arène des médias sociaux ?

Il faut se faire à l’idée : les médias sociaux ne sont pas près de disparaitre. Ils se sont enracinés profondément dans nos interactions, et le milieu de travail n’y fait pas exception. Que ce soit avant, durant, ou après les heures de travail, un simple clic peut avoir une incidence importante sur la relation d’emploi.

Les employeurs font donc face à un défi de taille lorsqu’il s’agit de pondérer les valeurs et intérêts qui s’opposent dans le contexte de l’utilisation des médias sociaux par leurs employés.

Des valeurs rivales

D’une part, l’employé a une obligation de loyauté envers son employeur1, c’est-à-dire qu’il doit agir avec fidélité et honnêteté pour la durée de son emploi, et en permanence en ce qui concerne la réputation et la confidentialité des renseignements de l’entreprise. Ainsi, les employeurs sont en droit de s’attendre de leurs employés qu’ils s’abstiennent de publier des commentaires nuisibles à leur réputation ou contraires à leurs intérêts.

D’autre part, les employés ont droit à la liberté d’expression2, droit que les employeurs doivent respecter, et qui s’étend aux médias sociaux. Bien que cette valeur soit la pierre angulaire d’une société démocratique, son affirmation peut avoir des répercussions importantes. Celles-ci peuvent être tolérables, voire souhaitables, dans le contexte du débat social ou politique, mais pas forcément dans le cadre de la relation d’emploi, considérant les préoccupations d’affaires, de réputation et de rentabilité communes à bien des employeurs.

Ce qu’en disent nos instances judiciaires et administratives

Récemment, nombre d’employés se sont vu imposer des sanctions disciplinaires en raison de leur usage des médias sociaux, ayant exprimé des opinions qui contrevenaient à leur obligation de loyauté. Voici quelques illustrations :

  • Un employé de casino a obtenu une suspension de deux mois après avoir critiqué son syndicat sur Facebook. Sa réclamation en dommages-intérêts liés à la suspension a été rejetée3.
  • Un agent administratif du Service des ressources humaines de la Ville de Montréal a été licencié pour avoir publié des commentaires négatifs sur Facebook relativement à la décision du directeur de l’arrondissement d’euthanasier un pitbull ayant attaqué des citoyens. Son licenciement a été réduit à une suspension de six mois4.
  • Un employé municipal a été licencié pour avoir publié sur Facebook la vidéo d’une chanson offensive qu’il avait composée et dont les paroles visaient le directeur des services techniques et le maire. La vidéo se terminait par un geste dégradant. Le licenciement de l’employé a été réduit à une suspension de six mois5.
  • Un commis à la réception d’une librairie a été suspendu après avoir publié, sur son blogue accessible à partir de Facebook, des commentaires diffamatoires portant atteinte à la réputation de l’employeur. Les publications invitaient les lecteurs à se plaindre de l’employeur en ligne et critiquaient les valeurs de l’entreprise. La suspension de trois jours imposée par l’employeur a été confirmée6.
  • Un chef de train qui a ouvertement critiqué la façon dont son employeur a géré un accident impliquant des passagers a été suspendu sans salaire pendant une semaine7.

Comme ces cas le démontrent, les employeurs ne doivent pas perdre de vue que le licenciement,  soit la « peine capitale » en matière d’emploi, n’est pas toujours la sanction appropriée quant aux bévues des employés sur les médias sociaux. Un examen sérieux des faits et du droit devra précéder toute décision.

La liberté d’expression doit-elle jeter l’éponge ?

On pourrait se demander, vu l’aspect répréhensible de l’expression de certaines opinions en ligne, si l’obligation de loyauté des employés écrase la liberté d’expression, laissant le pouvoir à l’employeur de sévir contre tout message public relié à l’emploi.

Ces deux valeurs n’en sont pas à leur première ronde, et les tribunaux canadiens reconnaissent depuis longtemps que l’obligation de loyauté de l’employé prime en effet sur sa liberté d’expression8. Ce droit constitutionnel, comme tout autre droit de cette nature, n’offre pas une protection absolue et sans réserve. Il doit être contrebalancé par d’autres principes, incluant l’obligation de loyauté de l’employé et le droit correspondant de l’employeur d’en faire l’objet.

Si le message diffusé sur les médias sociaux est en effet lié à l’emploi, et si la critique est préjudiciable, diffamatoire ou dérogatoire envers l’employeur, l’employé ne pourra pas simplement invoquer la liberté d’expression pour se sortir du pétrin.

Il est donc vrai que l’imposition de sanctions découlant de publications dans les médias sociaux, même celles effectuées hors des heures de travail, peut s’avérer parfaitement fondée. Toutefois, les considérations relatives aux droits et libertés de l’employé ne sauront être complètement écartées par l’employeur dans son évaluation de la situation.

Nous encourageons les employeurs à s’assurer que leurs contrats d’emploi prévoient l’obligation de loyauté de l’employé de manière claire ainsi que de vérifier le caractère complet et détaillé de leurs politiques concernant l’usage des médias sociaux, le tout afin d’atténuer les risques de conflits.

De plus, toute décision disciplinaire en réponse à l’action d’un employé dans l’arène des médias sociaux doit résulter d’une analyse minutieuse et prudente.

Le groupe Droit du travail et de l’emploi de BLG est à votre disposition pour toute question relative aux droits des employeurs concernant l’utilisation des médias sociaux par leurs employés.


1 Conformément au paragraphe 2088 du Code civil du Québec et souvent réitéré dans les contrats de travail.

2 Charte des droits et libertés de la personne, C-12, a. 3.

3 Roy c. Société des casinos du Québec inc., 2018 QCCQ 1752.

4 Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP- 429) c. Montréal (Ville de), 2014 QCTA 902.

5 Le syndicat des travailleuses et travailleurs de la municipalité de Weedon – CSN c. La municipalité de Weedon, 2016 QCTA 165.

6 Le syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 574 c. Librairie Renaud-Bray inc., 2017 CanLII 1695 (QC SAT).

7 Transport ferroviaire Tshiuetin inc c. Syndicat des Métallos, section locale 7065-75, 2014 CanLII 51503 (CA SA).

8 Voir à ce sujet Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455. Bien que cette affaire ne se soit pas produite avant l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne, la Cour fédérale a reconnu dans Haydon c. Canada, [2001] 2 C. F. 82, par. 89 que « [l]’obligation de loyauté […], telle qu'elle est énoncée dans l'arrêt Fraser, respecte suffisamment la liberté d'expression qui est garantie par la Charte et constitue une limite raisonnable au sens de l'article premier de la Charte.».