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Perspectives

Cadres supérieurs : une norme moins stricte en ce qui concerne les mises en garde préalables au congédiement?

Résumé

Dans l’affaire Garneau c. Gestion Universitas inc., 2018 QCCA 1525, la Cour d’appel a conclu qu’un gestionnaire de haut niveau ayant renoncé à l’exercice de son leadership avait fait l’objet d’un congédiement pour motif sérieux.

Le demandeur, actuaire occupant un poste de cadre de haut niveau, soit celui de président-directeur général, a été congédié par son employeur après 12 ans de service.

Au terme d’un procès de 17 jours, la Cour supérieure a rejeté l’action du demandeur. Selon le juge, les lacunes du demandeur et le climat de travail négatif découlant de sa gestion déficiente, considérés ensemble, constituaient un motif sérieux permettant à l’employeur de mettre fin au contrat de travail.

En appel, le demandeur a allégué, entre autres, que la Cour supérieure avait eu tort de conclure que l’employeur avait un motif sérieux pour le congédier et il a demandé à la Cour d’appel de lui octroyer un montant de 2 155 027 $ à titre d’indemnité tenant lieu de préavis. De plus, il réclamait un montant de 100 000 $ à titre de dommages moraux, maintenant que l’employeur l’avait congédié de façon abusive, soit de façon cachée, blessante, humiliante et brutale, ce qui lui avait causé un préjudice personnel et professionnel, dont un dommage important à sa réputation.

Devant la Cour d’appel, le demandeur a affirmé qu’il avait bien rempli ses obligations de président-directeur général, que la décision de le congédier avait été prise sans analyse rigoureuse de la situation et sans lui donner l’occasion de corriger ses soi-disant lacunes au préalable, et que l’employeur l’avait congédié de façon précipitée. Ainsi, une lecture attentive du résumé de la preuve soumise par les parties en première instance révèle que l’employeur n’a jamais adressé de mise en garde formelle au demandeur, verbale ou écrite, pour l’informer que le défaut de corriger ses lacunes et les problèmes soulevés pourrait mener à son congédiement.

La Cour d’appel a rejeté les prétentions du demandeur.

Essentiellement, la Cour d’appel a affirmé que le demandeur ne pouvait « ignorer les lacunes qu’on lui imputait dans sa gestion et son leadership, puisque celles-ci lui [avaient] été signalées en temps opportun et à plus d’une occasion » au fil des ans, puis « de façon répétée et manifeste » dans des rapports de gestion ainsi que dans un sondage portant sur le climat au sein de l’entreprise. À la lumière de la preuve soumise par l’employeur, le demandeur était pleinement conscient des problèmes au sein de l’entreprise et des attentes de celle-ci à son égard, notamment quant au fait qu’il devait être plus attentif aux doléances des cadres sous sa direction, que les réunions devaient être mieux préparées et productives, qu’il devait se montrer plus engagé et qu’il devait mieux repérer les priorités de l’entreprise. En définitive, compte tenu du niveau élevé du demandeur au sein de la hiérarchie de l’entreprise et de sa renonciation à l’exercice de son leadership, l’employeur disposait d’un motif sérieux pour mettre fin à son emploi sans préavis.

Quant à l’argument du demandeur voulant que l’employeur l’ait congédié de manière abusive, justifiant de ce fait l’octroi d’un montant élevé à titre de dommages moraux, la Cour d’appel a conclu que cet argument était sans fondement. En effet, même si le congédiement du demandeur était survenu de façon précipitée — ce que la Cour d’appel n’affirme pas — il ne saurait être question de congédiement « brutal » dans un contexte où le demandeur avait reçu, au fil des ans, plusieurs avis de son employeur indiquant que sa prestation de travail était déficiente. 

Discussion

Comme nous le savons, un congédiement disciplinaire survient dans un contexte où un employé pose, omet de poser ou néglige de poser un ou plusieurs gestes quelconques, ces gestes, ces omissions ou cette négligence justifiant, en raison de leur gravité, la rupture du lien d’emploi sans préavis : il s’agit d’une réaction à la volonté de l’employé d’agir de manière fautive, ou encore à l’absence de volonté ou à la négligence de l’employé d’agir comme il se doit, ce dernier commettant de ce fait une faute disciplinaire. Quant au congédiement administratif, celui-ci survient non pas en réaction à un geste, à une omission ou à la négligence fautive du salarié, mais bien en réaction à son incapacité à satisfaire aux exigences de l’employeur. Le congédiement administratif est justifié, par exemple, lorsqu’au terme d’un processus d’évaluation et de mise à niveau des compétences de l’employé, celui-ci s’avère incapable de remplir les exigences relatives à son poste. Son incompétence constituera alors un motif valable pour mettre fin à son emploi sans préavis ou indemnité en tenant lieu. 

Dans l’affaire Garneau c. Gestion Universitas inc., en première instance, la Cour supérieure n’indique pas clairement, dans les motifs de son jugement, si elle estime que le congédiement du demandeur survient pour des raisons disciplinaires ou administratives. Or, une lecture attentive des motifs de la Cour d’appel suggère toutefois qu’elle est d’avis qu’il s’agit d’une fin d’emploi disciplinaire, affirmant que « [l]e juge a manifestement choisi de retenir de la preuve que [le demandeur] agi de manière à se déresponsabiliser des lacunes dont il avait connaissance, et il a vu, dans l’inaction chronique [du demandeur], une espèce d’aveuglement volontaire quant aux alertes reçues de différentes sources depuis la fin de 2010 », et que  « selon la preuve prépondérante, [le demandeur] a incorrectement renoncé au leadership qu’il se devait d’exercer dans les circonstances ». En d’autres termes, puisque le demandeur était conscient des problèmes et qu’il avait omis ou négligé volontairement de remédier à la situation, son congédiement pour motif sérieux était justifié.

Néanmoins, que le congédiement du demandeur soit survenu pour des motifs disciplinaires ou administratifs, une lecture attentive des faits de cette affaire révèle un facteur important : l’employeur n’a, à aucun moment au cours des nombreuses années pendant lesquelles il a adressé des reproches au demandeur, informé ce dernier, verbalement ou par écrit, que son défaut de corriger ses lacunes en matière de leadership — et de régler les problèmes en découlant — pourrait éventuellement conduire à la fin de son emploi.

De façon générale, sauf lorsqu’il existe une cause de congédiement disciplinaire immédiat pour motif sérieux, un employeur prudent sera toujours mieux avisé d’émettre une mise en garde claire à son employé indiquant qu’un comportement ou des manquements similaires pourraient éventuellement justifier son congédiement pour motif sérieux. Cela dit, l’arrêt Garneau c. Gestion Universitas inc. constitue, selon nous, un arrêt important en matière de mises en garde préalables au congédiement, qui vient rappeler que les normes applicables aux autres salariés ne seront pas nécessairement applicables aux cadres supérieurs.

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