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Perspectives

Le dossier de la « poussière rouge » : Une preuve jugée suffisamment précise pour permettre un recouvrement collectif en matière environnementale

Le jugement sur le fond dans le dossier de la « poussière rouge », Lalande c. Compagnie d'arrimage de Québec ltée, 2019 QCCS 306 (CanLII) a été rendu le 5 février dernier.

Après avoir procédé à une analyse minutieuse de la preuve, le juge Pierre Ouellet, j.c.s., a subdivisé le périmètre visé par l’action collective en zones distinctes pour ensuite déterminer si la partie demanderesse avait été en mesure d’administrer une preuve de préjudice commun suffisante parmi les membres du groupe pour procéder à un recouvrement collectif plutôt qu’individuel des indemnités à être versées.

Sommaire des faits

Au mois d’octobre 2012, une poussière rougeâtre se dépose dans un secteur résidentiel de la basse-ville de Québec. Des résidents s’aperçoivent que cette poussière se retrouve notamment sur leurs balcons, leurs véhicules et leurs cadres de portes et de fenêtres. À la suite de cet incident, plusieurs doivent procéder à un nettoyage de leur résidence et/ou de leurs biens. Certains s’inquiètent de l’effet potentiel de cette poussière sur leur santé et celle des membres de leur famille.

La poussière rouge provient des installations d’une des divisions de la Compagnie d’arrimage de Québec qui exploite un terminal maritime de transbordements de matières à proximité de ce secteur résidentiel. Il est déterminé que la poussière rouge provient du déchargement d’un navire contenant du minerai de fer d’Afrique du Sud. Des avis publics sont émis par la suite, confirmant que cette poussière rouge est en fait de l’oxyde de fer et qu’elle n’est pas toxique pour la santé.

Le 13 janvier 2013, l’action collective est entreprise.

Analyse relative au préjudice et au recouvrement collectif

Le débat sur le fond a porté essentiellement sur la question de l’évaluation du préjudice, la Compagnie d’arrimage de Québec ayant admis préalablement à l’audition que la poussière rouge provenait de ses installations.

Dans son dispositif, le tribunal choisit de subdiviser les trois secteurs proposés par la partie demanderesse en quatre zones : les zones rouge, rose, bleue et noire, en fonction de l’intensité de leur exposition respective à la source de contaminant. Le juge détermine ensuite les zones ou parties de ces zones pour lesquelles la demanderesse a été en mesure d’établir un préjudice commun avec suffisamment de précision.

Dans son analyse du préjudice, le juge Ouellet note que les troubles et inconvénients subis par les résidents en lien avec cet incident ont été somme toute minimes : il s’agit d’un incident isolé qui ne s’est produit que durant une seule journée, la majorité des citoyens ont procédé au nettoyage dans les heures qui ont suivi l’incident et aucune atteinte à la santé n’a été démontrée.

Le juge conclut qu’il doit y avoir une seule indemnité par logement et non pas par personne, contrairement à ce que réclamait la partie demanderesse. Cette indemnité par logement a principalement pour but de compenser le temps de nettoyage investi par les résidents. Il fixe cette indemnité à 200 $ par logement pour la zone rouge et à 100 $ par logement pour les zones rose et bleue. Il n’octroie aucune indemnité pour la zone noire, la partie demanderesse ayant concédé lors de l’audition ne pas être en mesure de faire la preuve d’un préjudice commun pour cette zone.

Le juge s’attaque ensuite à l’analyse de la méthode de recouvrement. Les parties font valoir des positions opposées sur la question, la demande plaidant en faveur d’un mode de recouvrement collectif et la défense en faveur d’un mode de recouvrement individuel. On avance notamment en défense qu’au Québec, contrairement aux dossiers d'actions collectives en matière de consommation, dans les dossiers mettant en jeu le droit à la protection de l’environnement, les tribunaux ont généralement retenu le mode de recouvrement individuel, exception faite de l’affaire Robitaille c. Désourdy, AZ-50404022 (C.S.) de 1991.

Après une brève revue du droit applicable au recouvrement collectif, le juge Ouellet conclut que ce mode d’indemnisation doit être appliqué dans la mesure où le tribunal dispose d’une preuve suffisante de préjudice commun pour chacune des zones pour lui permettre de conclure que toutes les personnes vivant dans ces mêmes zones ont subi un préjudice personnel. De l’avis du juge, l’indemnisation octroyée est juste et raisonnable et permet d’assurer que tous les citoyens qui n’auraient pas autrement intenté de recours étant donné le montant peu élevé de l’indemnité seront compensés.

Commentaire

Dans son jugement, le tribunal ne retient pas l’argument selon lequel le recouvrement collectif n’est pas indiqué dans des dossiers d’environnement, contrairement aux dossiers de consommation. Il rappelle que dans les affaires Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette (2008 CSC 64) et Coalition pour la protection de l’environnement du parc linéaire « Petit Train du Nord » c. Laurentides (Municipalité régionale de Comté des), 2004 CanLII 45407 (QC CS), c’est faute de preuve que le tribunal n’a pas pu déterminer avec suffisamment de précision le montant total des réclamations de manière à pouvoir opter pour un mode de recouvrement collectif.

Dans le dossier de la poussière rouge, la demanderesse a soumis le rapport d’un architecte et d’un urbaniste au soutien de sa demande de recouvrement collectif, rapport qui visait notamment à établir le nombre de logements et leurs caractéristiques dans le territoire décrit dans le jugement d’autorisation. Aucune contre-expertise n’a été déposée en défense.

Selon le tribunal, pour décider s’il devait ordonner ou non le recouvrement collectif, il devait d’abord déterminer si la preuve, même si incomplète ou imparfaite, lui permettait d’établir de façon suffisamment précise le montant total des réclamations.

Le tribunal conclut que le rapport d’expert déposé en demande est, quoiqu’imparfait, suffisant pour lui permettre de faire cette détermination. Il exige toutefois que ce rapport soit bonifié et mis à jour et il convoque les parties à une date ultérieure pour traiter spécifiquement des questions relatives au recouvrement collectif.

En somme, en matière environnementale, bien que le préjudice subi soit souvent difficile à quantifier objectivement et la réclamation totale complexe à évaluer, le tribunal peut adopter une approche souple et même permettre à la partie demanderesse de compléter ou de préciser sa preuve à cet égard, afin de favoriser un mode de recouvrement collectif. C’est la solution qu’a retenue le juge Ouellet, se disant d’avis que le législateur, aux articles 595 et suivants du Code de procédure civile, a voulu favoriser le recouvrement collectif plutôt qu’un mode de recouvrement individuel qui aurait obligé en l’espèce chaque membre du groupe à faire la preuve de ses dommages personnels.

  • Par : Ève Gaudet