une main qui tient une guitare

Perspectives

Considérations juridiques concernant l’exécution de travail supplémentaire par les ingénieurs-conseils

Les ingénieurs-conseils sont souvent placés dans une situation où ils doivent effectuer du travail qui n’était pas prévu au moment de la conclusion de leur contrat. S’ils sont régis par un contrat à forfait et que la procédure contractuelle n’est pas suivie à la lettre, ils peuvent se retrouver dans une position où il sera difficile d’être rémunéré pour ce travail supplémentaire. Afin d’éviter un tel scénario, il est donc primordial de garder à l’esprit certaines considérations juridiques.

Le contrat à forfait

Un contrat à forfait est un contrat de service ou d’entreprise par lequel le client et le prestataire de service conviennent d’un prix fixe pour lequel l’ouvrage ou les services seront exécutés. Dans ce type de contrat, le prix ne pourra être modifié même si l’étendue des services augmente ou diminue, à moins que les parties n’en aient convenu autrement1.

Le contrat à forfait se distingue donc des contrats où l’on prévoit un mode de rémunération horaire. Il faut cependant noter que même sous un mode de rémunération horaire, si le prix des services a fait l’objet d’une estimation, le prestataire de services devra justifier toute augmentation du prix. Le client ne sera alors tenu de payer cette augmentation que dans la mesure où elle résulte de travaux, de services ou de dépenses qui n’étaient pas prévisibles au moment de la conclusion du contrat2.

La modification du contrat à forfait

La Cour suprême a, depuis longtemps, confirmé que le respect de la procédure contractuelle est une condition essentielle afin de modifier le prix d’un contrat à forfait3, sauf en cas de renonciation expresse ou tacite à son application par les parties4.

En effet, les contrats à forfait comportent habituellement une description détaillée de la procédure à suivre en cas de modification à la portée des travaux. Cette procédure prévoira, par exemple, la transmission d’avis et la signature d’avenants.

Outre cette procédure de modification, les contrats à forfait devraient idéalement aussi comprendre une description détaillée des travaux, un calendrier des échéances, une liste des « livrables » et une procédure en cas de différend.

Même en cas de silence contractuel sur la procédure de modification, afin de s’assurer d’être payé lors de l’exécution de travail supplémentaire, il est recommandé d’adopter les bonnes pratiques suivantes :

  • Notifier dès que possible le client du changement à l’étendue des travaux
  • Soumettre un prix pour le travail supplémentaire
  • Conclure une entente écrite pour le travail supplémentaire (avenant)

Dans la mesure où cela est possible, toutes ces mesures devraient être mises en place avant d’exécuter le travail supplémentaire.

Les contrats avec les municipalités

Une difficulté additionnelle qui survient dans le cadre des contrats municipaux. En effet, la doctrine et la jurisprudence ont maintes fois reconnu que ceux qui contractent avec une municipalité doivent s’assurer que non seulement celle-ci agit dans les limites de ses pouvoirs, mais aussi que toutes les conditions requises par la loi ont été observées. Autrement la municipalité n’est pas liée envers eux5.

Par exemple, dans l’affaire Roy LGL Ltée c. Corporation du village de McMasterville6, une firme d’ingénieurs s’est vue refuser le paiement de travaux réalisés puisque la résolution municipale autorisant lesdits travaux n’était pas accompagnée du certificat de trésorerie requis. Plus récemment, la Cour d’appel a confirmé dans l’arrêt Ville de Montréal c. Octane Stratégie7 que seul le conseil municipal a le pouvoir de lier une municipalité. Cet arrêt ouvre toutefois la porte à une indemnisation du prestataire de service par le biais du principe de la restitution des prestations lorsqu’un acte juridique est frappé de nullité. À noter que cette décision fait présentement l’objet d’un pourvoi à la Cour suprême par la Ville de Montréal.

Quels sont les recours?

En cas de non-paiement par le client des travaux supplémentaires, les recours suivants peuvent être envisagés :

  • L’action sur compte. Il s’agit d’une demande en justice pour honoraires impayés. Ce recours comporte le désavantage d’impliquer des coûts importants et de longs délais.
  • L’hypothèque légale de la construction. Ce mécanisme est relativement peu utilisé par les ingénieurs, mais la publication d’une telle hypothèque est avantageuse entermes de coûts et de délais. Cependant une telle publication pourrait éventuellement mener, elle aussi, à un recours devant les tribunaux.
  • La médiation ou l’arbitrage, qui peuvent être prévus par le contrat et qui devraient toujours être considérés avant d’entreprendre un processus judiciaire.

Enfin, terminons sur une mise en garde concernant le droit de rétention prévu par le Code civil du Québec8. Il a déjà été jugé que cette pratique allait à l’encontre du Code de déontologie des ingénieurs9. La prudence est donc de mise avant, par exemple, de retenir des plans pour cause de non-paiement.

Peu importe le remède choisi, le respect de la procédure contractuelle sera garant des chances de succès.

1 Article 2109 C.c.Q.
2 Article 2107 C.c.Q.
3 Corpex (1977) Inc. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 643.
4 Régie d’assainissement des eaux du bassin de La Prairie c. Janin Construction (1983) ltée, REJB 1999-11611 (C.A.).
5 Beaudry c. Cité de Beauharnois, [1962] B.R. 738; Roy LGL Ltée c. Corporation du village de McMasterville, [2000] C.S. AZ-0002197.
6 [1962] B.R. 738
7 2018 QCCA 223
8 Article1591 C.c.Q.
9 Alaurent c. Deschênes, Comité de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec, 22-94-0011, 17 février 1995.