une main qui tient une guitare

Perspectives

Quand le tout est plus grand que la somme de ses parties : des risques de se charger soi-même du classement tarifaire

Dans un univers commercial en pleine effervescence comme celui dans lequel nous vivons, il est plus important que jamais pour les importateurs de pouvoir compter sur le classement tarifaire de leurs marchandises importées et d’être en mesure de réagir rapidement en cas de conflit avec l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) sur une question de classement, car une décision défavorable peut avoir une incidence importante sur la chaîne d’approvisionnement et la rentabilité des entreprises.

On dit souvent que le classement tarifaire relève davantage de l’art que de la science. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner les décisions récentes rendues dans l’affaire RBP Imports Inc c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada1. Dans cette affaire, RBP Imports Inc. (RBP) avait interjeté appel d’une révision effectuée par l’ASFC à la suite d’un audit. Les marchandises en cause étaient des composantes de garde-corps en aluminium emballées individuellement, notamment des traverses supérieures et inférieures, des poteaux, des piquets, des barrières, des équerres, des épars et des entretoises. Ces marchandises sont conçues pour être combinées et former des garde-corps qui sont fixés à des constructions résidentielles et commerciales par des entrepreneurs ou par les consommateurs sur le marché du bricolage.

Les audits de classification de l’ASFC et leur incidence sur les obligations en matière de droits de douane

RBP avait importé les marchandises en les classant sous la position no 76.04 de l’Annexe du Tarif des douanes à titre de « barres et profilés en aluminium ». Au cours d’un audit, l’ASFC a constaté que les marchandises avaient été mal classées et qu’elles auraient dû être importées selon la position no 76.10 en tant que « constructions et parties de constructions (ponts et éléments de ponts, tours, pylônes, piliers, colonnes, charpentes, toitures, portes et fenêtres et leurs cadres, chambranles et seuils, balustrades, par exemple), en aluminium, à l’exception des constructions préfabriquées du no 94.06; tôles, barres, profilés, tubes et similaires, en aluminium, préparés en vue de leur utilisation dans la construction ».

Le code tarifaire utilisé par RBP pour importer les marchandises était « NPF et exonérée de droits », alors que le numéro tarifaire jugé correct par l’ASFC donnait lieu à un taux de droits NPF de 6,5 %. Par suite de la décision rendue à l’issue de l’audit, RBP aurait été tenue, en vertu de la Loi sur les douanes, de corriger rétroactivement pendant quatre ans à compter de la date de la décision de l’ASFC ses déclarations en douane pour toutes les importations de marchandises visées, et de payer des droits supplémentaires de 6,5 % (ainsi que des intérêts et la TPS) sur la valeur en douane de ces importations.

Comme les marchandises en question étaient des produits d’aluminium, il fallait aussi tenir compte du Décret imposant une surtaxe aux États-Unis (acier et aluminium)2 applicable à certaines marchandises en provenance des États-Unis importées après le 1er juillet 2018. En l’espèce, une surtaxe de 10 % s’appliquait aussi aux deux numéros tarifaires en question, de sorte que RBP ne pouvait pas obtenir de remise de la surtaxe en utilisant un numéro tarifaire plutôt qu’un autre3. Par contre, si la surtaxe s’était appliquée au numéro tarifaire jugé exact par l’ASFC sans s’appliquer au numéro tarifaire utilisé par RBP pour importer les marchandises, RBP aurait été tenue de faire le paiement (ou, le cas échéant, aurait pu demander une remise) de la surtaxe de 10 % en plus des droits de 6,5 % déjà imposés par l’ASFC.

Importance des notes explicatives

Le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a tranché en faveur de RBP dans une décision qui était en partie fondée sur son interprétation des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (les Notes explicatives)4 applicables à la position no 76.10. Premièrement, le Tribunal a conclu que la position no 76.10 comprenait trois catégories distinctes, à savoir : 1) les constructions, 2) les parties de constructions et 3) les pièces préparées en vue de leur utilisation dans la construction. Les notes explicatives pertinentes prévoient notamment ce qui suit :

« Indépendamment des ouvrages énumérés dans le libellé même de la position, celle-ci comprend notamment : […] des clôtures et garde-corps montés ».

Le Tribunal a conclu dans une décision rendue le 2 mai 2017 que les « garde-corps montés » faisaient partie des « autres produits » visés par la position no 76.10 « indépendamment » des trois catégories en question de la position no 76.10. Il n’a pas tenu compte du fait que le passage précité indiquait dans les termes les plus nets que la liste de produits cités était visée par la position no 76.10 « indépendamment » des 1) constructions et 2) parties de constructions uniquement. Le Tribunal a estimé qu’en utilisant l’adjectif « montés » pour qualifier les garde-corps, le législateur avait l’intention d’exclure de la position no 76.10 les « pièces » de garde-corps (c.-à-d. les garde-corps démontés). Enfin, le Tribunal a rejeté, au motif qu’il ne permettait pas de trancher l’appel, l’argument que les marchandises étaient des pièces « préparées en vue de leur utilisation dans la construction » au sens de la troisième catégorie de la position no 76.10.

L’ASFC a ensuite interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale (la CAF). À la CAF, la norme de contrôle applicable aux décisions du Tribunal est celle de la décision raisonnable. La Cour suprême du Canada a confirmé que cette norme tient dûment compte de l’expertise du Tribunal et du caractère technique et complexe du classement tarifaire5. Le 20 septembre 2018, la CAF a estimé que l’interprétation que le Tribunal avait faite des notes explicatives n’était pas raisonnable parce que le Tribunal avait en fait « réécrit la note explicative »6. En conséquence de cette interprétation, le Tribunal « n’avait jamais examiné, autrement que pour décrire les observations sur ce point comme ayant “une valeur limitée” et n’étant “pas déterminantes”, l’application de la troisième catégorie de la position no 76.10 ». La Cour a renvoyé l’affaire au Tribunal pour qu’il examine l’application possible de la troisième catégorie de la position no 76.10.

Le Tribunal a réexaminé l’appel de RBP et, dans une décision datée du 11 février 20197, a estimé que, pour que les marchandises en cause puissent être considérées comme comprises dans le troisième volet de la position no 76.10, elles devaient être préparées en vue de leur utilisation dans une construction; il ne suffisait pas que les marchandises soient préparées en vue de leur utilisation dans une partie de la construction. Le Tribunal a conclu que, même si les marchandises en cause étaient des pièces préparées en vue de leur utilisation dans une construction, les garde-corps montés n’étaient pas des constructions en soi, mais des parties de construction. Les marchandises en cause ne pouvaient donc pas être classées dans la position no 76.10 en tant que pièces « préparées en vue de leur utilisation dans la construction ». Le Tribunal a infirmé la nouvelle décision rendue par l’ASFC quant au classement des marchandises, et l’appel de RBP a finalement été accueilli.

Quelles sont les incidences de cette décision sur les importateurs?

Comme elle a obtenu gain de cause à la suite de son appel, RBP sera remboursée des droits et des taxes supplémentaires établis par l’ASFC à la suite de l’audit, plus les intérêts. De plus, elle aura désormais la certitude que le classement de ses marchandises importées est le bon.

Les importateurs peuvent notamment obtenir un classement sûr tout en évitant de se lancer dans des contestations sans fin en demandant à l’ASFC de rendre une décision exécutoire sur le classement tarifaire. L’ASFC rendra une décision en matière de classement si certains critères sont respectés et si l’importateur est en mesure de démontrer le bien-fondé de son argument que le classement demandé est le bon.

Cela étant, les décisions rendues par l’ASFC en matière de classement tarifaire peuvent être portées en appel si l’importateur qui a fait la demande n’est pas satisfait de la décision. Le président de l’ASFC est le premier palier d’appel. Les appels qui sont interjetés devant lui sont traités par la Direction des recours de l’ASFC, qui procède à un examen indépendant de la décision rendue par l’agent des décisions.

Si l’importateur n’est pas satisfait de la décision du Président, il peut exercer d’autres recours devant le Tribunal, qui tient alors une audience. Appel peut être interjeté des décisions du Tribunal devant la CAF sur des questions de droit.

Les entreprises œuvrant dans la vente internationale de marchandises, en particulier celles qui ont des chaînes d’approvisionnement complexes et de nombreux fournisseurs, devraient mettre en œuvre des procédures détaillées de conformité douanière (si elles ne l’ont pas déjà fait) et/ou procéder régulièrement à des examens internes de classification pour vérifier si des incertitudes persistent. Ce n’est qu’alors que des mesures appropriées pourront être prises pour régler les problèmes de conformité douanière.


1 AP-2016-017

2 DORS/2018-152.

3 Une remise du montant de la surtaxe peut être accordée, mais cette remise dépend de la description des marchandises et non du classement tarifaire.

4 Les Notes sont publiées par l’Organisation mondiale des douanes et sont incorporées par renvoi dans le Tarif des douanes.

5 Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38.

6 Canada (Procureur général) c. RBP Imports Inc., 2018 CAF 167.

7 AP-2016-017R.

  • Par : Jesse Goldman, Erica Lindberg