une main qui tient une guitare

Perspectives

Règles d’or de l’enquête en matière de harcèlement au travail

Le mouvement #moiaussi (#metoo) a certes été initié en 2017, mais les plaintes de harcèlement en milieu de travail et leur traitement approprié par les employeurs demeurent assurément un défi pour les entreprises canadiennes, même à l’approche de l’été 2019.

Depuis juin 2018, le délai dont bénéficient les employés d’entreprises sous réglementation provinciale pour déposer une plainte auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail du Québec (la « CNESST ») est de deux ans à compter de la dernière manifestation de harcèlement, en vertu de la Loi sur les normes du travail.1 Les employeurs devront faire preuve d’une diligence accrue lors de leurs enquêtes internes afin de recueillir toute la preuve pertinente et en arriver à des conclusions justes.

Quant aux employés d’entreprises sous réglementation fédérale, le Code canadien du travail ne prévoit pas actuellement de recours en cas de harcèlement psychologique (il interdit toutefois la violence au travail et le harcèlement sexuel). Il s’agit vraisemblablement d’une situation temporaire, car le projet de loi C-65, qui vise à modifier le Code canadien du travail et le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail et propose notamment de définir et d’interdire le harcèlement psychologique, devrait entrer en vigueur en 2019. Le délai actuel pour déposer une plainte de harcèlement sexuel est de 12 mois et rien n’indique qu’il en sera autrement pour le harcèlement psychologique dans le projet de loi C-65.

Pour aider les employeurs à s’acquitter de leurs obligations d’offrir à leurs employés un milieu de travail exempt de harcèlement et d’évaluer la validité de plaintes ou d’allégations équitablement, nous avons dressé une liste faisant état de quelques règles d’or à prendre en considération dans le cadre du processus d’enquête.

1. Impartialité

Au sein d’entreprises internationales comme familiales, il se peut que le représentant de l’employeur menant l’enquête (l’enquêteur) connaisse le ou les plaignant(s) ainsi que le ou les mis en cause et/ou témoin(s). Il est essentiel d’écarter toute idée préconçue sur les individus et les dynamiques qui existent entre eux et de se concentrer plutôt sur la preuve. La partialité d’un enquêteur pourrait entacher l’ensemble de l’enquête. Cela est d’autant plus important pour les employeurs sous réglementation fédérale, compte tenu du projet de loi C-65. S’il est adopté, les enquêteurs devront être des « personnes compétentes », qui doivent notamment être impartiales et perçues par tous comme telles.

2. Minutie

L’enquêteur doit rencontrer toutes les personnes susceptibles d’avoir des renseignements pertinents au sujet d’une plainte donnée. Pour identifier ces témoins potentiels, il doit interroger le plaignant et le mis en cause en détail et leur demander précisément qui, selon eux, pourrait corroborer leur version. Cette méthode permet de constituer une liste de témoins exhaustive. Si l’enquêteur n’est pas en mesure d’interroger tous les témoins potentiels ou détermine qu’il n’est pas pertinent de rencontrer une personne en particulier, il doit l’expliquer adéquatement dans le rapport final, pour éviter tout problème en cas de litige.

3. Confidentialité

Lorsqu’il interroge des témoins (y compris le plaignant et le mis en cause), l’enquêteur doit insister sur l’importance de protéger la confidentialité des renseignements liés à l’enquête. De façon générale, il est recommandé de demander aux témoins de signer une entente de confidentialité rédigée à cette fin. Les employeurs doivent toutefois garder à l’esprit que le National Labor Relations Board (Conseil national des relations de travail) des États-Unis a rendu une décision en 20152 restreignant les circonstances dans lesquelles les employeurs peuvent exiger que leurs employés américains s’abstiennent de discuter d’une enquête en cours. Il faut donc savoir que des exigences générales de confidentialité sont susceptibles d’être illégales dans de telles situations. Dans tous les cas, l’employeur doit promouvoir la confidentialité lorsqu’il s’agit de classer et de conserver des documents liés à l’enquête et limiter au strict minimum le nombre d’individus au sein de l’organisation qui y auront accès (need-to-know basis).

4. Efficacité

L’enquête doit être enclenchée rapidement après le dépôt d’une plainte ou d’une dénonciation. Les retards inutiles doivent être évités et les employeurs doivent garder à l’esprit que certains coûts visant à accélérer l’enquête (comme les frais liés à d’un billet d’avion ou à une journée de congé pour un témoin ou encore à l’embauche de ressources externes), bien qu’ils puissent paraître prohibitifs, peuvent être déterminants pour attester de la diligence de l’employeur, si l’enquête est remise en question. Pour les employeurs sous réglementation fédérale, le projet de loi C-65 propose de modifier la législation en vigueur afin d’imposer aux employeurs l’obligation de régler un incident dans les six mois suivant le moment où ils en ont été mis au courant.

5. Sensibilité

Les témoins doivent être interrogés dans un endroit confidentiel, où les autres employés ne verront pas leurs allées et venues. Les rencontres qui ont lieu dans le cadre d’enquêtes peuvent être très délicates et aucun employé ne souhaite qu’on le voie sortir d’une salle de conférence visiblement désemparé ou agité. Si l’organisation n’a pas aménagé un espace sur place garantissant une telle discrétion, l’employeur doit envisager de tenir les rencontres à l’extérieur de ses locaux. Bien entendu, le lieu choisi devra assurer la confidentialité et la discrétion qui s’imposent relativement à la plainte. Par exemple, dans les cas de harcèlement sexuel, un lieu public pour tenir la rencontre sera vraisemblablement inapproprié, mais une salle de conférence dans un hôtel pourra convenir. L’enquêteur devra également être en mesure d’interroger les témoins dans la langue qui convient le mieux à ces derniers (français ou anglais).

6. Documentation

L’enquêteur doit documenter son plan d’enquête, le contenu des réunions d’enquête et les raisons derrière toute décision de rencontrer ou de ne pas rencontrer un témoin particulier ou d’écarter un élément de preuve. Après tout, les notes de l’enquêteur constituent le journal de l’enquête. De plus, toute preuve matérielle fournie par les témoins doit être cataloguée de façon confidentielle et ordonnée.

7. Logique

Il convient de rencontrer les témoins dans un ordre logique, à la lumière des allégations de la plainte. Chaque témoin doit se voir présenter les faits et les allégations de façon ordonnée et avoir une possibilité équitable d’y répondre et de donner sa version complète des faits. Tous les employés ont le devoir de collaborer et d’être loyaux envers l’employeur. À ce titre, ils ne peuvent refuser de répondre afin de protéger une autre personne ou par crainte de s’incriminer. Les enquêteurs qui traitent certains témoins différemment ou qui ne suivent pas une méthode logique peuvent voir leur impartialité remise en question.

8. Connaissance des risques

Un employeur qui n’enquête pas de façon diligente et impartiale s’expose à deux risques principaux :

  • Dans le contexte d’une plainte de harcèlement, l’employeur peut être considéré comme ayant manqué à son obligation de faire cesser le harcèlement et ainsi être tenu de verser des dommages-intérêts au plaignant;
  • Dans le cadre d’une plainte de congédiement sans motif valable, l’employeur qui congédierait un employé sur la base de conclusions d’enquête erronées pourrait être tenu de le réintégrer avec salaire rétroactif et/ou de lui verser des dommages-intérêts.

9. Connaissance des limites

Il est important pour les employeurs de savoir repérer les circonstances dans lesquelles une enquête nécessite l’intervention d’un enquêteur externe. Par exemple, les cas suivants pourront le justifier :

  • L’enquête est particulièrement complexe (nombreux plaignants, mis en cause ou témoins);
  • L’intimé occupe un poste d’autorité au sein de l’entreprise (supervision ou direction);
  • Les coûts de l’affectation de ressources internes (dans certains cas, à temps plein) pour une enquête diligente sont importants;
  • L’entreprise n’a pas d’enquêteur interne expérimenté ou adéquat;
  • L’enquêteur connait bien ou travaille avec les parties (ce qui crée une apparence de partialité).

10. Proactivité

Les employeurs sont encouragés à ne pas attendre qu’une plainte officielle soit déposée pour amorcer une intervention. En effet, ils ont le devoir de prendre des mesures raisonnables pour remédier au harcèlement dès qu’il est porté à leur attention. Une dénonciation ou une divulgation de nature informelle devrait déclencher une réponse appropriée, même s’il ne s’agit pas nécessairement (ou pas encore) d’une enquête complète.

Ces règles d’or sont un bon point de départ pour les employeurs qui mènent des enquêtes. BLG compte en ses rangs de nombreux enquêteurs et conseillers expérimentés qui peuvent aider les employeurs à gérer les plaintes de harcèlement en milieu de travail ou les litiges connexes.


1 Suivant les modifications à la Loi sur les normes du travail en juin 2018. Voir notre article à ce sujet : Le délai pour porter plainte en matière de harcèlement psychologique passe de 90 jours à 2 ans. Il est à noter que, dans Dinu c. 9227-3754 Québec inc., 2018 QCTAT 4502, le Tribunal administratif du travail a statué que, lorsque le délai de 90 jours était échu avant le 12 juin 2018, date de la modification législative, le droit de porter plainte n’était pas réactivé par le délai modifié. La modification législative n’a donc pas d’effet rétroactif.

2 Banner Health System d/b/a Banner Estrella Medical Center (28-CA-023438; 362 NLRB No. 137),Phoenix, AZ, 26 juin 2015.

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