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Perspectives

Obligation d’accommodement en raison de la situation familiale d’un employé : le débat se poursuit

Les cours de justice et les tribunaux des droits de la personne se penchent depuis longtemps sur l’ampleur de l’obligation légale qui revient à l’employeur de tenir compte des responsabilités familiales de ses employés. Malheureusement, en Ontario, le critère applicable en ce qui concerne cette obligation demeure incertain à la suite de la récente décision Simpson c. Pranajen Group Ltd. o/a Nimigon Retirement Home 2019 HRTO 10.

Dans cette affaire portée devant le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, la requérante, Mme Simpson, travaillait pour l’employeur depuis environ quatre ans comme préposée aux services de soutien à la personne. Elle était mère de deux enfants, dont l’aîné, âgé de cinq ans, était autiste et avait besoin qu’un aidant vienne le chercher lorsqu’il descendait de l’autobus scolaire à la fin de chaque journée d’école. Mme Simpson était la seule aidante de sa famille en mesure d’aller chercher son fils à l’arrêt d’autobus. L’employeur était au courant depuis toujours de l’existence du fils de Mme Simpson et de ses besoins particuliers.

En mars 2017, l’employeur a proposé de modifier l’horaire de travail de Mme Simpson, mais celle-ci ne pouvait accepter les changements, qui l’auraient empêchée selon elle de s’acquitter de ses obligations liées à la garde de ses enfants. L’employeur s’est d’abord montré disposé à accommoder Mme Simpson en lui proposant de l’affecter au quart de nuit, avant de retirer son offre en avril 2017, lorsque Mme Simpson s’est absentée du travail pour cause de maladie sans donner de préavis suffisant. Lorsqu’il a reçu l’avis d’absence de Mme Simpson, l’employeur lui a remis un avertissement écrit dans lequel il lui reprochait d’avoir négligé ses responsabilités professionnelles en omettant de trouver une personne qui pourrait la remplacer parmi ses collègues. Quelques jours après l’incident, il a publié une directive dans laquelle il précisait que tous les préposés aux services de soutien à la personne étaient tenus de remettre un préavis d’absence de quarante-huit (48) heures ou de s’engager à trouver un collègue prêt à les remplacer en cas d’absence.

Le 19 mai 2017, Mme Simpson a été informée qu’elle ne serait plus affectée au quart de nuit, parce qu’elle s’était absentée du travail pour cause de maladie au mois d’avril sans donner de préavis suffisant. Lorsqu’elle a fait savoir à son employeur qu’elle serait incapable d’accepter le changement d’horaire en raison de ses obligations liées à la garde de ses enfants, ce dont elle l’avait déjà informé, Nimigon l’a congédiée. L’employeur a soutenu que le congédiement était fondé sur plusieurs incidents d’inconduite, y compris un manque d’assiduité, le non-respect de directives, un faible rendement et la perturbation occasionnée.

Le Tribunal a conclu que le congédiement de la requérante était discriminatoire parce qu’il reposait, du moins en partie, sur l’incapacité de celle-ci à travailler l’après-midi en raison de ses responsabilités liées à la garde de ses enfants. Le Tribunal a également conclu que la décision de l’employeur de retirer son offre d’affecter Mme Simpson au quart de nuit constituait un manquement à son obligation de tenir compte des responsabilités de cette dernière liées à sa situation familiale.

Le vice-président a souligné que, pendant la durée de son emploi chez Nimigon, Mme Simpson avait fait preuve d’une grande assiduité et s’était rarement absentée du travail pour cause de maladie. Lors d’absences précédentes de cette nature, Mme Simpson remettait un préavis de quelques heures à peine lorsque ses enfants ou elle-même étaient malades et c’était l’employeur, et non Mme Simpson, qui trouvait un autre collègue pour la remplacer. En conséquence, il est apparu évident que Nigimon avait dérogé à ses pratiques et procédures habituelles en donnant un avertissement écrit à Mme Simpson et en affirmant qu’il lui incombait à elle de trouver un collègue qui la remplacerait.

L’élément le plus important de la décision est peut-être le refus du Tribunal de profiter de l’occasion pour préciser s’il y avait lieu d’appliquer, dans les cas de discrimination fondée sur la situation familiale, le critère découlant de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Johnstone (« Johnstone ») ou le plus récent critère énoncé par le Tribunal dans sa décision Misetich v. Value Village Stores Inc. (« Misetich »).

Dans Johnstone, la Cour d’appel fédérale a établi qu’il incombait à la partie requérante de démontrer 1) qu’il existait une obligation engageant sa « responsabilité légale » envers l’enfant et qu’il ne s’agissait pas simplement d’un choix personnel; 2) qu’elle avait entrepris des démarches raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables et qu’aucune de ces solutions n’était raisonnablement réalisable (en prenant par exemple ses « propres mesures d’accommodement »); 3) que les conséquences découlant de la règle régissant le milieu de travail entravaient d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de s’acquitter de ses obligations relatives à la garde d’enfants.

Le Tribunal a rejeté cette interprétation dans l’affaire Misetich, estimant qu’elle imposait une obligation trop contraignante et qu’elle allait à l’encontre du critère à satisfaire en matière de discrimination et de mesures d’accommodement fondées sur la situation familiale, par exemple, en obligeant la partie requérante à démontrer qu’elle avait tenté de « s’auto accommoder ». Le Tribunal a estimé que le critère à appliquer dans les affaires mettant en cause des droits de la personne devait toujours être le même, quel que soit le motif de discrimination illicite concerné. Ainsi, il suffit pour la partie requérante d’être en mesure de démontrer qu’elle se trouve dans une relation parent-enfant, qu’elle a subi un traitement préjudiciable et que ce traitement était imputable, du moins en partie, à une forme de discrimination fondée sur sa situation familiale.

Dans l’affaire Simpson, le Tribunal n’a pas déterminé le critère à appliquer pour trancher les affaires relatives à la situation familiale, mais a souligné que, quelle que soit la norme qui convient, la décision de Nimigon de mettre fin à l’emploi de Mme Simpson était discriminatoire et que l’employeur ne s’était pas acquitté en définitive de l’obligation qu’il avait d’accommoder la requérante.

En fin de compte, le Tribunal a accordé à Mme Simpson une indemnité de 30 000 $ pour atteinte à la dignité et à l’estime de soi.

Même si le critère à appliquer en ce qui concerne la discrimination et l’obligation de prendre des mesures d’accommodement fondées sur la situation familiale aux termes du Code des droits de la personne de l’Ontario est loin d’avoir été établi dans cette décision, l’employeur doit retenir qu’il lui incombe d’envisager des mesures d’accommodement de l’horaire de travail comme mesure temporaire (si possible) ainsi que d’aider ses employés à explorer d’autres solutions en ce qui a trait à la garde des enfants ou à l’aide aux aînés. En agissant ainsi, il sera très bien placé pour démontrer qu’il a satisfait aux deux critères énoncés dans les décisions Johnstone et Misetich à l’égard des mesures d’accommodement à prendre pour tenir compte des responsabilités d’une personne liée à sa situation familiale.

  • Par : Anna V. Karimian