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Perspectives

Une malfaçon peut-elle constituer un sinistre au sens d’une police d’assurance?

Résumé de l’arrêt Développement les Terrasses de l’Île inc. c. Intact, compagnie d’assurances, 2019 QCCA 1440

En appel d’un jugement de la Cour supérieure rendu par l’honorable Brian Riordan, j.c.s., qui rejetait la requête de type Wellington d’un assuré envers son assureur puisque plusieurs exceptions à la police d’assurance trouvaient application, la Cour d’appel renverse la décision de première instance rappelant que le refus par l’assureur d’exercer son devoir de défendre est justifié uniquement lorsque la réclamation n’a aucune possibilité d’être visée par la police d’assurance.

Contexte

Selon les prétentions de la demande introductive d’instance (la « demande »), Développement les Terrasses de l’île inc. (« Terrasses ») et Darcon inc. (« Darcon » et collectivement avec Terrasses, les « appelantes ») auraient collectivement agi à titre d’entrepreneur, maître d’œuvre et maître de l’ouvrage dans la construction d’un projet d’unités d’habitation en copropriété divise (l’« immeuble »). Les appelantes ont donc retenu les services d’architectes, d’ingénieurs et de différents sous-traitants afin de compléter la construction de l’immeuble.

Le 17 mai 2013, le syndicat de copropriété de l’immeuble (le « syndicat ») dépose la demande, réclamant des dommages totalisant 436 000 $. La responsabilité serait celle de Terrasses ainsi que de ses ingénieurs et architectes en raison de plusieurs malfaçons alléguées affectant l’immeuble.

Le 28 mai 2014, le syndicat modifie sa demande afin d’ajouter Darcon à titre de défenderesse principale, elle qui était initialement mise en cause. Le syndicat modifie à nouveau sa demande le 13 mars 2017 et réclame désormais des dommages de 1 019 811,08 $.

Les appelantes sont assurées en vertu d’une police d’assurance responsabilité civile des entreprises (la « police ») émise par l’intimée, Intact, compagnie d’assurances (l’« assureur »). L’assureur nie couverture et les appelantes déposent donc une requête de type Wellington1 le 23 mai 2017 afin de forcer l’assureur à les défendre et à rembourser les frais déjà encourus.

Jugement de première instance

Le juge Riordan procède à l’analyse de la police et de la demande en suivant les principes établis par la Cour suprême dans l’arrêt Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d’assurances générales Lombard2.

Il conclut en premier lieu que les dommages réclamés par les appelantes résultent d’erreurs commises par celles-ci, leurs architectes et ingénieurs ainsi que leurs sous-traitants. La police prévoit une couverture lorsqu’un dommage corporel ou matériel découle d’un sinistre. Le terme « sinistre » est défini comme étant un « un accident, y compris l’exposition continue ou répétée à des conditions nocives essentiellement de même nature »3.

Le tribunal est d’avis que les gestes reprochés aux appelantes résultent d’erreurs commises dans le cadre de la conception et de l’exécution des travaux. Selon le tribunal, ce seul fait est suffisant pour rejeter la requête Wellington. En obiter, le juge Riordan poursuit en analysant les exclusions de la police pour conclure qu’à tout évènement, « la vaste majorité, voire la totalité des dommages matériels à la base de la Poursuite serait exclue par le biais de l’une ou l’autre de ces dispositions »4. Au surplus, la Cour est également d’avis que l’action de Terrasses est prescrite, ayant été intentée le 23 mai 2017, soit plus de trois ans après l’introduction de la demande le 17 mai 2013. Quant à Darcon, ayant été appelée à titre de défenderesse uniquement le 28 mai 2014, son action n’est pas prescrite, mais est toutefois rejetée pour les motifs susmentionnés.

Arrêt de la Cour d’appel

La Cour d’appel accueille l’appel et renverse la décision au motif que les dommages allégués à la demande sont inclus dans la définition d’un « sinistre » au sens de la police.

La Cour d’appel rappelle la méthode d’analyse devant être suivie afin d’interpréter convenablement une police d’assurance : (1) l’assuré doit établir la possibilité d’une protection, (2) l’assureur doit clairement et sans équivoque prouver qu’une exclusion est applicable, réfutant toute possibilité que la police d’assurance soit déclenchée et, (3) le cas échéant, l’assuré doit établir l’existence d’une exception à l’exclusion afin d’être protégé. En l’espèce, s’ajoute aussi la question de la prescription.

La Cour rappelle également les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Progressive Homes à l’effet que la simple possibilité que la demande en justice contre l’assuré relève de la police d’assurance est suffisante pour déclencher l’obligation de défendre de l’assureur. Pour ce faire, le tribunal, analysant une demande de type Wellington, doit évaluer la nature véritable de la demande et non se limiter à la terminologie de celle-ci.

Protection : la présence d’un sinistre

La Cour considère que le terme « accident » devrait avoir le sens ordinaire qu’on lui donne généralement, c’est-à-dire un événement imprévu et non voulu de l’assuré.

Ainsi, la Cour considère qu’« [i]l y a donc couverture si les vices de construction et de conception, qui n’étaient ni voulus ni prévus par l’assuré, causent des dommages matériels à l’immeuble. La possibilité de tels dommages suffit pour déclencher l’obligation de défendre »5.

Le tribunal rejette ensuite l’argument de l’assureur selon lequel cette large interprétation transforme la police de responsabilité civile en une garantie de bonne exécution. L’argument ayant déjà été tranché dans Progressive Homes, la Cour d’appel en réitère les conclusions : la garantie de bonne exécution garantit que les travaux seront menés à terme, alors que l’assurance de responsabilité civile ne couvre que les dommages survenant après l’exécution des travaux. La dernière s’applique alors que la première n’est plus applicable.

Exclusions et exceptions

En obiter, le juge de première instance indique que, même si les dommages allégués résultaient d’un sinistre, trois exclusions prévues à la police devaient trouver application, ayant pour effet d’exclure la couverture des dommages.

Bien que le juge s’appuie sur trois exclusions, le présent bulletin fera uniquement état de l’exclusion 2.9 visant les réparations effectuées sur les travaux défectueux. Cette exclusion prévoit que les travaux correctifs ne sont pas couverts par la police. La Cour d’appel effectue toutefois une distinction entre la partie défectueuse des travaux et les dommages découlant de ces travaux, considérant que les derniers ne sont pas visés par l’exclusion.

En l’espèce, le syndicat allègue une série de malfaçons allant d’une accumulation d’humidité et d’eau à des problèmes de condensation, pouvant possiblement découler des travaux défectueux. La Cour, procédant à l’analyse des conclusions de la demande et des expertises, est d’avis qu’il n’est pas clair et non équivoque que les montants réclamés ne visent qu’à corriger les malfaçons elles-mêmes. S’autorisant de Progressive Homes, la Cour réitère le principe à l’effet que les dommages découlant des travaux défectueux sont couverts par la police. Pour leur part, les dommages réclamés pour réparer les malfaçons ne seraient vraisemblablement pas couverts par la police.

Or, usant de prudence, la Cour d’appel considère qu’étant donné qu’une partie des réclamations pourraient découler des travaux exécutés, l’assureur doit défendre son assuré.

Prescription

Le juge de première instance n’ayant pas conclu que l’action de Darcon était prescrite, la Cour d’appel se penche uniquement sur le cas de Terrasses. S’il est vrai que l’action de type Wellington a été déposée plus de trois ans après celle du syndicat, la Cour d’appel est d’avis que les amendements à la demande du 29 octobre 2015 et du 13 mars 2017 constituent de nouvelles réclamations dont les délais de prescription ne sont pas écoulés au moment de l’introduction de la demande : la requête Wellington est donc accueillie et l’assureur devra couvrir les dommages pertinents.

La Cour conclut également que la couverture de l’assureur ne sera potentiellement que partielle en raison de l’application de certaines exclusions applicables comme celle visant la correction de malfaçons. Ainsi, l’assureur sera tenu de rembourser l’ensemble des frais de défense encourus à l’occasion de la partie de la réclamation du syndicat identifiée ci‑dessus par Darcon et ceux encourus par Terrasses après le 29 octobre 2015.


1 Recours issu de l’arrêt Compagnie d’assurance Wellington c. M.E.C. technologie inc. [1999] R.J.Q. 443, visant à obliger l’assureur à respecter son obligation de défendre son assuré.

2 2010 CSC 33 (« Progressive Homes »).

3 Jugement, par. 21.

4 Jugement de première instance : Développement les Terrasses de l’Île inc. c. Intact, compagnie d’assurances, 2018 QCCS 5895 au par. 18. Les exclusions visaient 1) le dommage matériel à un immeuble sur lequel l’assuré exécute ses travaux, 2) les réparations effectuées sur les travaux défectueux et 3) le dommage occasionné par la prestation ou l’omission de services professionnels.

5 Jugement, par. 45.