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Perspectives

La Cour d’appel tranche : la sécurité prévaut dans les terminaux du Port de Montréal

Le 12 septembre dernier, la Cour d’appel du Québec a rendu son jugement dans l’affaire Singh c. Montreal Gateway Terminals Partnerships1, confirmant la décision du juge André Prévost, de la Cour supérieure, en première instance.Ce dossier mettait en opposition les droits à la liberté de religion et les impératifs de santé et de sécurité existant dans un endroit tel qu’un terminal portuaire où la sécurité est un enjeu majeur.

Les appelants, tous trois camionneurs de confession sikhe portant le turban, demandaient initialement à la Cour supérieure un jugement déclaratoire visant à les exempter de l’application d’une politique adoptée par les intimées, des entreprises exploitant des terminaux du Port de Montréal, laquelle obligeait toute personne circulant sur lesdits terminaux à porter un casque protecteur. Soulignons que les appelants n’étaient pas des employés des intimées, mais devaient tout de même, dans le cadre de leur travail, se rendre sur les terminaux afin de livrer ou de récupérer de la marchandise, et étaient par le fait même soumis à la politique contestée lorsqu’ils circulaient à l’extérieur de leur camion.

Dans un arrêt unanime, la Cour d’appel confirme que malgré le fait que la politique telle que rédigée porte atteinte au droit à la liberté de religion des appelants et est discriminatoire à leur endroit prima facie, elle demeure valide puisque justifiée en vertu des articles 9.1 et 20 de la Charte des droits et libertés de la personne. En effet, selon la Cour, la preuve présentée en première instance a effectivement révélé l’existence de blessures à la tête sur les terminaux, ce qui confirme la présence d’un lien rationnel entre la mesure, à savoir la politique, et l’objectif poursuivi, soit celui de la santé et sécurité des personnes circulant sur le site des terminaux.

À ce même sujet, la Cour d’appel énonce un principe important selon lequel même si les terminaux n’avaient pas pu démontrer l’existence de blessures réelles à la tête, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, la mesure préventive, à savoir l’adoption de cette politique, aurait probablement été considérée comme rationnellement liée à l’objectif des intimées, c’est-à-dire de s’assurer de la sécurité des lieux des terminaux et de protéger la santé des personnes y circulant.

Se basant sur les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Multani2, la Cour d’appel rappelle ensuite que le contexte particulier dans lequel œuvrent les parties doit être pris en compte par la Cour dans son analyse. Ainsi, elle explique que ce principe vise non seulement les nombreux facteurs de risque propres à l’environnement des terminaux (décrits en première instance comme une « fourmilière dans un monde de titans » par l’un des experts en ergonomie), mais également « l’environnement légal dans lequel gravite la relation entre les parties »3.

En effet, la Cour semble accorder un poids important au fait que les intimées sont soumises à un régime législatif, en vertu du Code canadien du travail et de ses règlements, qui leur impose un certain nombre d’obligations en matière de santé et de sécurité – notamment celle d’exiger le port du casque protecteur –, prévoit des sanctions pouvant aller jusqu’à entraîner la responsabilité criminelle des intimées ou de leurs représentants dans certaines circonstances, et interdit même à un travailleur de s’exposer volontairement à des risques de blessure à la tête en décidant de ne pas porter de casque. La Cour d’appel rejette en outre la preuve présentée par les appelants, qui était par ailleurs partielle et incomplète, relative à des régimes législatifs distincts hors Québec permettant dans certaines situations l’exemption du port du casque.

La Cour d’appel considère également que l’atteinte aux droits des appelants par la politique est minimale, notamment puisque la preuve en première instance a révélé que ceux-ci ne passent que très peu de temps hors de leur camion sur les terminaux maritimes, lesquels n’exigent pas qu’ils retirent leur turban.

Dans de telles circonstances, la Cour d’appel a estimé que le juge de première instance a eu raison de conclure que la politique, qui vise des objectifs de santé et de sécurité qualifiés d’essentiels pour la société, prévalait sur les effets préjudiciables temporaires à la liberté de religion des appelants, et qu’elle n’était donc pas discriminatoire.

Dans cet important arrêt, la Cour d’appel réitère non seulement certains principes d’interprétation fondamentaux liés aux droits protégés par la Charte des droits et libertés de la personne, mais elle en pose également de nouveaux. Cet arrêt aidera ainsi sans doute les employeurs et les entreprises tierces à honorer leurs obligations en matière de santé et sécurité, tout en respectant les droits fondamentaux de toutes les personnes concernées, et à mieux cerner les limites des mesures qu’elles peuvent mettre en place à cet égard.

Pour plus de renseignements sur cette décision ou pour toute question en lien avec les droits de la personne au sein de votre entreprise, n’hésitez pas à contacter nos spécialistes en droit du travail et de l’emploi à Montréal.


1 2019 QCCA 1494

2 Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 RCS 256

3 Para 38.

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