une main qui tient une guitare

Perspectives

Droit de l’emploi : les décisions importantes de 2019

Plusieurs décisions importantes en droit de l’emploi ont été rendues en 2019 dans différentes provinces. Certaines d’entre elles sont résumées ci-dessous.

PARTIE 1 — QUÉBEC

Équipement de sécurité et liberté de religion
Singh
c. Montréal Gateway Terminals Partnership*, 2019 QCCA 1494

En juillet 2005, trois entreprises privées propriétaires de terminaux au Port de Montréal adoptent une politique requérant que toute personne appelée à circuler à pied à l’intérieur des terminaux porte un casque protecteur conforme aux normes de sécurité du Code canadien du travail.

Des camionneurs de confession sikhe devant circuler sur les terminaux et portant le turban ont contesté cette politique. Pour les demandeurs, la politique était discriminatoire et allait à l’encontre de leur liberté de religion. Ils avaient demandé à la Cour supérieure un jugement déclaratoire pour les exempter du port du casque. Cette demande a été rejetée et les demandeurs ont porté cette décision en appel.
Il est admis que la politique est discriminatoire prima facie et va à l’encontre de la liberté de religion des camionneurs appelants. Cependant, les intimés prétendent qu’il s’agit d’une exigence professionnelle justifiée selon l’article 20 de la Charte des droits et libertés de la personne, et d’une atteinte justifiée au droit des appelants en vertu de l’article 9.1 de la Charte.

Une preuve d’expert a permis de démontrer que les camionneurs sont susceptibles d’avoir des blessures à la tête et au front, régions que protège le casque. Il y avait donc un lien rationnel entre l’atteinte et l’objectif visé. Par ailleurs, l’atteinte était minime, car le casque était exigé uniquement lorsque les camionneurs sortaient de leur camion, soit pendant une brève durée. De plus, la politique ne les contraignait pas à retirer leur turban.

Puisque la politique vise des objectifs essentiels pour la société en assurant la sécurité des travailleurs et permet aux employeurs de respecter leur obligation légale de garantir l’exécution sécuritaire du travail, l’effet global de la politique est proportionnel et l’atteinte à la liberté de religion est justifiée.

Note: *Demande d’autorisation d’en appeler présentement en cours

Rémunération des heures supplémentaires pour les employés recevant un salaire sur une base annuelle
Godin
c. Aréna des Canadiens inc.*, 2019 QCCS 1678

Les deux demandeurs occupent respectivement le poste de coordonnatrice principale à la rédaction et de gestionnaire de compte chez l’employeur. Ils déposent une demande d’autorisation d’action collective pour le compte de tous les salariés de l’employeur rémunérés sur une base annuelle afin qu’ils puissent recevoir un salaire majoré pour les heures travaillées au-delà de 40 heures par semaine. L’horaire de travail des demandeurs est établi en fonction des besoins de leur poste, ce qui inclut notamment d’être présents lors de matchs de hockey, et ce, en plus des heures de bureau régulières entre 9 h et 17 h.

La juge rejette la demande d’autorisation d’exercer une action collective. La jurisprudence est unanime : en présence d’une rémunération annuelle, les dispositions de la Loi sur les normes du travail relatives aux heures supplémentaires ne s'appliquent pas. Ces dispositions s’appliquent seulement s’il est possible d’établir un salaire horaire habituel pour le ou les employés visés.

En l’espèce, l’employeur n’exerce pas de contrôle sur l’horaire de travail des demandeurs de façon à pouvoir calculer leur taux horaire habituel. L’article 39 de la Loi sur les normes du travail selon lequel la CNESST peut « établir le salaire payé à un salarié par un employeur » ne s’applique pas lorsqu’il est autrement impossible d’établir un salaire horaire habituel sur la base de données fiables.

Par cette décision, la Cour Supérieure confirme de façon non-équivoque la règle connue selon laquelle les employés recevant une rémunération annuelle ne sont pas visés par les dispositions de la Loi sur les normes du travail concernant la rémunération des heures supplémentaires.

Note: *Déclaration d'appel, 2019-06-11 (C.A.)

Haut

PARTIE 2 — ONTARIO

Plafond de la période de préavis raisonnable
Dawe v. The Equitable Life Insurance Company of Canada, 2019 ONCA 512

M. Dawe, demandeur dans l’affaire Dawe v. The Equitable Life Insurance Company of Canada, occupait le poste de vice-président principal dans la compagnie. Il était âgé de 62 ans et comptait 37 années de service. Congédié sans motif sérieux, il a intenté une action contre son ancien employeur pour obtenir un préavis raisonnable en common law de 30 mois, soit la période entre la cessation de son emploi et la date prévue de sa retraite à l’âge de 65 ans. Le préavis raisonnable en common law réclamé par M. Dawe comprenait des paiements au titre de deux régimes de primes auxquels il participait, qui auraient été supérieurs à son salaire à chacune des années visées.

Le juge de première instance a accordé un préavis raisonnable de 30 mois au demandeur, au motif que l’élimination de l’âge de la retraite obligatoire en Ontario rend inapplicable la jurisprudence appuyant un plafond de 24 mois pour le préavis raisonnable en common law.

La Cour d’appel (la « Cour ») a toutefois infirmé la décision de première instance. Elle a statué que même si les critères établis dans l’arrêt Bardal favorisent une longue période de préavis pour l’employé congédié, la période de préavis raisonnable ne doit pas dépasser le plafond implicite de 24 mois établi par la jurisprudence, en l’absence de circonstances exceptionnelles. Selon elle, le seul fait qu’un employé ait beaucoup d’années d’ancienneté ne constitue pas une « circonstance exceptionnelle ».

La Cour ne partage pas l’avis du juge de première instance, selon lequel les employeurs auraient l’obligation de garder leurs employés jusqu’à leur date de retraite prévue. Il a commis une erreur de droit en considérant la retraite comme un facteur dans la détermination du délai de préavis raisonnable. En conséquence, la Cour ramène la période de préavis raisonnable accordée en première instance de 30 mois à 24 mois, tout en donnant raison au premier juge d’avoir reconnu le droit de l’employé à sa pleine prime et à ses avantages sociaux pour la totalité de la période de préavis.

Droit d’action d’une employée en vertu de la LSPAAQ
WSIA Decision No. 1227/19

L’employée en cause dans la Décision no 1227/19 a démissionné de son poste auprès de son employeur parce qu’elle aurait été victime d’intimidation et de harcèlement. Peu de temps après, elle a intenté une action en dommages-intérêts devant la Cour supérieure de l’Ontario pour congédiement déguisé, violations de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (la « LSST ») et harcèlement, dans laquelle elle réclamait également des dommages-intérêts punitifs et moraux.

En réponse, l’employeur s’est adressé au Tribunal d’appel de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (le « TASPAAT »), en vertu de la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail (la « LSPAAT »), afin de déterminer si l’action civile de l’ancienne employée était recevable ou non. L’employeur soutenait que l’action civile était en fait une réclamation pour stress psychologique chronique relevant plutôt de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail, la CSPAAT, et que l’employée n’avait en conséquence aucun droit d’action pour congédiement déguisé.

Le TASPAAT a donné raison à l’employeur en concluant que les circonstances du congédiement déguisé étaient inextricablement liées au préjudice subi en milieu de travail. Les autres mesures de redressement demandées par la travailleuse, notamment pour les violations de la LSST et les dommages-intérêts punitifs et moraux, reposaient sur les mêmes faits de harcèlement et d’intimidation en milieu de travail. En conséquence, le TASPAAT a conclu que sans le harcèlement et l’intimidation allégués, la travailleuse n’aurait pas souffert de détresse psychologique au point de subir les dommages invoqués dans sa poursuite au civil contre l’entreprise.

Par conséquent, le TASPAAT a statué que le droit d’action de la travailleuse pour congédiement déguisé est irrecevable, en vertu de l’article 26 de la LSPAAT.

Haut

PARTIE 3 — ALBERTA

Les pouvoirs des arbitres en droit du travail
Alberta Union of Provincial Employees v. Alberta, 2019 ABCA 411

Dans cette décision, le tribunal a examiné les vastes pouvoirs des arbitres en droit du travail lorsqu’ils sont appelés à choisir des mesures de réparation appropriées. L’affaire qui nous intéresse concerne un employé congédié pour un motif valable, soit la malhonnêteté. Bien que l’arbitre ait conclu que l’employé avait été malhonnête et qu’il méritait de se voir imposer des sanctions disciplinaires, il était d’avis que le congédiement ne constituait pas une sanction appropriée du fait de l’existence de circonstances atténuantes, comme les trente années de service de l’employé et le rôle de celui-ci en tant que dirigeant syndical. Or, dans un cas comme celui-ci, l’employé aurait normalement dû être réintégré dans ses fonctions, mais l’arbitre était d’avis que la réintégration ne convenait pas en l’espèce, puisque les mensonges répétitifs de l’employé étaient un obstacle insurmontable à la poursuite de son emploi d’agent correctionnel.

Le syndicat et l’employeur ont tous deux demandé une révision judiciaire de la décision de l’arbitre. Le juge a statué que comme l’arbitre avait déterminé que le lien d’emploi n’était plus viable, la seule conclusion possible en droit était que le congédiement constituait une mesure appropriée.

Cette décision a ensuite été portée devant la Cour d’appel, qui a insisté sur le fait que les motifs des décisions arbitrales en droit du travail n’ont pas à être parfaits ou exhaustifs. Si les motifs du tribunal arbitral sont succincts, voire incomplets, le tribunal chargé de la révision doit d’abord tenter de les compléter avant de les rejeter et d’annuler la décision en cause. La Cour d’appel a donné raison à l’arbitre : même si la réintégration est la mesure de réparation habituelle, un arbitre peut, dans des circonstances exceptionnelles, choisir de ne pas réintégrer un employé et de lui accorder plutôt des dommages-intérêts. Par circonstances exceptionnelles, on entend par exemple le cas d’un employeur qui n’a pas de motif valable pour congédier un employé alors que le lien d’emploi n’est plus envisageable.

Le juge Wakeling a exprimé sa dissidence, partageant plutôt les conclusions du juge en révision judiciaire selon lesquelles un arbitre ne doit pas ordonner à un employeur qui a des motifs raisonnables de congédier un employé du fait de son inconduite intentionnelle de lui verser plutôt une somme d’argent, à moins qu’il n’ait des raisons impérieuses de le faire. On pense par exemple au cas où l’employeur a, par le passé, traité de façon complètement différente d’autres employés ayant commis des inconduites similaires, ou à celui de l’employeur qui a omis de suivre une procédure d’enquête juste et raisonnable et a ainsi porté atteinte aux intérêts de l’employé, ce qui n’est pas le cas dans cette affaire.

Point à retenir : cette décision illustre le fait que les tribunaux feront preuve de déférence à l’égard de la compétence des tribunaux d’arbitrage en matière de réparation, ainsi que des mesures qu’ils choisissent.

Obligation de diligence en vertu du Workers' Compensation Act
Hall v. Stewart, 2019 ABCA 98

La question en cause dans cette affaire était de savoir si le défendeur pouvait être tenu personnellement responsable d’actes délictueux commis en sa qualité d’administrateur ou d’employé d’une société. Le défendeur avait installé un escalier qui s’était effondré et avait causé des blessures aux employés d’un sous-traitant. Selon lui, tout acte de négligence qu’il avait commis relevait de ses fonctions à titre d’employé de sa société, et non de ses fonctions à titre de dirigeant de celle-ci. Le juge partageait son point de vue. Étant donné que la société était à l’abri des poursuites en vertu de la loi intitulée Workers’ Compensation Act (la « WCA »), la responsabilité personnelle du défendeur n’était pas non plus engagée.

Toutefois, la Cour d’appel a déterminé que, dans le contexte de l’installation d’un escalier, le défendeur et la société avaient tous les deux une obligation de diligence envers tous ceux qui pouvaient se trouver sur le chantier de construction. Or, si la société bénéficiait de la protection offerte par la WCA, ce n’était pas le cas du défendeur.

Aux termes de l’alinéa 16(1)(c) de la WCA, lorsqu’une personne est un administrateur d’une société et qu’elle effectue des travaux dans le cadre des activités de la société, qu’il s’agisse de travaux manuels ou d’autres types de travaux, cette personne est réputée ne pas être un travailleur. L’exclusion prévue à l’alinéa 16(1)(c) est vaste. Il n’est pas nécessaire de déterminer si les travaux ont été faits « à titre d’administrateur » ou à un autre titre. Aux termes du paragraphe 15(1) de la WCA, l’administrateur d’une société peut s’adresser au Workers’ Compensation Board et demander que la WCA s’applique à lui à titre de travailleur, sous réserve d’approbation par l’organisme. En l’espèce, le défendeur n’a pas présenté une telle demande.

Du point de vue de l’intérêt public, la Cour d’appel a déclaré que lorsqu’il s’agit de déterminer si un représentant d’une société doit répondre personnellement des fautes de la société, il faut reconnaître que le risque sous-jacent peut être géré et transféré aisément en souscrivant l’assurance appropriée.

Point à retenir : les administrateurs qui effectuent des travaux dans le cadre des activités de leur société doivent se demander s’ils gèrent adéquatement leur risque de responsabilité personnelle.

Haut

PARTIE 4 — COLOMBIE-BRITANNIQUE

Violation de la politique de lutte contre le harcèlement
Lewis v. WestJet Airlines Ltd., 2019 BCCA 63

Cette décision illustre les risques potentiels associés à l’intégration des modalités d’une politique de lutte contre le harcèlement à un contrat d’emploi, notamment le risque d’une action collective pour violation de contrat.

Dans cette affaire, Mandalena Lewis, une ancienne employée de WestJet, a demandé l’autorisation d’intenter une action collective pour violation de contrat au nom des agentes de bord qui avaient droit aux avantages prévus dans une politique de lutte contre le harcèlement intégrée à leur contrat d’emploi. La politique en question décrivait les obligations de WestJet en matière de harcèlement et de discrimination, dont un engagement à offrir un milieu de travail exempt de harcèlement, à enquêter sur les plaintes et à prendre les mesures disciplinaires appropriées.

WestJet a déposé une requête en irrecevabilité de la demande, au motif que la cour n’avait pas compétence pour entendre le litige. WestJet a ainsi fait valoir que le contrat d’emploi faisait simplement état de ses obligations prévues par la loi d’interdire et de prévenir le harcèlement en milieu de travail aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne et du Code canadien du travail. Selon WestJet, le litige, dans son essence, avait trait à son défaut, en tant qu’employeur, de protéger les droits prévus par la loi de ses employés, et relevait donc exclusivement de la compétence du Tribunal canadien des droits de la personne et des diverses commissions provinciales régissant la sécurité au travail.

Pour sa part, Mme Lewis a fait valoir qu’elle ne cherchait pas à faire appliquer des droits prévus par la loi, mais qu’elle se fondait plutôt et uniquement sur le contrat d’emploi.

Le tribunal de première instance a déterminé que l’action déposée par Mme Lewis reposait sur des allégations de violation du contrat d’emploi de WestJet et non sur des allégations de violation d’un droit prévu par la loi ou de discrimination en soi. La demande ne relevait donc pas de la compétence des organismes créés par la loi.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « Cour d’appel ») a conclu que même si les faits allégués comportaient des éléments de discrimination et de harcèlement pouvant constituer un motif de plainte devant les organismes compétents, Mme Lewis avait invoqué une violation de contrat, ce qui constituait une cause d’action indépendante. Par conséquent, la Cour d’appel a rejeté l’appel de WestJet.

Discrimination fondée sur la situation familiale
Envirocon Environmental Services, ULC v. Suen, 2019 BCCA 46

Dans cette décision, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé que le critère rigoureux établi dans l’arrêt Health Sciences Assoc. of B.C. v. Campbell River and North Island Transition Society, 2004 BCCA 260 s’applique toujours lorsqu’il est question de discrimination par suite d’effets préjudiciables fondée sur la situation familiale. Selon ce critère, le plaignant doit prouver ce qui suit :

  1. l’employeur a imposé une modification dans une modalité ou une condition d’emploi;
  2. cette modification interfère sérieusement avec une obligation parentale importante ou un autre devoir familial important.

En l’espèce, Brian Suen a déposé une plainte auprès du Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique contre son employeur, Envirocon, alléguant que celui-ci avait fait preuve de discrimination à son endroit en le congédiant après son refus d’accepter un poste qui l’obligerait à être loin de chez lui pendant une période prolongée peu de temps après la naissance de son enfant. Envirocon a demandé le rejet de la plainte en faisant valoir que les faits allégués par M. Suen ne constituaient pas de la discrimination par suite d’effets préjudiciables fondée sur la situation familiale. Le Tribunal et la Cour suprême de la Colombie-Britannique ont refusé de rejeter la plainte.

En appel, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé que l’arrêt Campell River constitue toujours un précédent valable, et a annulé la décision du tribunal au motif que M. Suen n’était pas en mesure de satisfaire au deuxième volet du critère. Les faits ne permettaient d’établir qu’une seule chose : le fait indéniable que M. Suen était un parent. La Cour d’appel a souligné que M. Suen n’était pas différent de la vaste majorité des parents et que rien dans sa plainte ne laissait suggérer que son enfant ne serait pas bien traité pendant son absence.

Contacts connexes