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Perspectives

COVID-19 : Litiges avec des actionnaires et conflits d’entreprise

La COVID-19 et l’effondrement rapide du prix du pétrole ont provoqué une forte contraction de l’économie et une vive incertitude. Ce contexte éprouvant est un terreau propice à la prolifération de conflits d’entreprise et de litiges avec des actionnaires et administrateurs. Ce bulletin fait la synthèse de certains types de litiges qui guettent les entreprises dans la foulée de la COVID-19.

Sommaire – Ce que vous devez savoir

  • Recours contre les administrateurs et dirigeants : Forcées de s’adapter à la pandémie de COVID-19, les entreprises doivent prendre des décisions cruciales à la hâte. On pourrait donc voir un plus grand nombre de réclamations alléguant que les administrateurs et dirigeants ont manqué à leur devoir d’agir avec soin, diligence et compétence, ou d’agir avec intégrité au mieux des intérêts de la société.
  • Recours en cas d’abus intentés par des actionnaires : Des choix financiers difficiles pourraient se traduire par la réduction des dividendes ou de la valeur des actions. Des décisions injustement appliquées, et qui ne tiennent pas compte des attentes raisonnables des intéressés ou qui portent atteinte à leurs intérêts, donnent parfois lieu à des recours pour abus.
  • Actions obliques : En raison de la contraction économique actuelle, des sociétés lésées pourraient ne pas avoir les moyens de faire valoir leurs droits. Or, si une société décide de ne pas intenter une poursuite, ses actionnaires peuvent demander de le faire pour son compte.
  • Droits à la dissidence et évaluations d’actions : Des décisions stratégiques majeures d’une société pourraient déclencher les droits à la dissidence des actionnaires. Dans les conditions de marché actuelles, de tels droits pourraient mener à la contestation de l’évaluation des actions, une situation que la volatilité récente du marché boursier viendrait compliquer.
  • Clauses ultimatum (shotgun) et problèmes de liquidités : Le contexte économique risque d’exercer une pression à la baisse sur les évaluations et de tarir les liquidités. Les actionnaires ayant plus de liquidités à leur disposition pourraient profiter de ce contexte pour exercer les droits contractuels de rachat qui leur sont conférés par leur convention d’actionnaires, entente de partenariat ou convention de coentreprise, une situation propice aux litiges.
  • Conflits avec la direction : L’environnement économique actuel risque aussi de multiplier les conflits entre les dirigeants et des actionnaires mécontents. De tels conflits pourraient de plus en plus aboutir de toute urgence devant les tribunaux.

Réclamations contre des administrateurs et dirigeants

Les réclamations présentées par des parties intéressées contre des administrateurs et dirigeants risquent d’augmenter dans le sillage de la COVID-19.

Ce que vous devez savoir :

  • Les administrateurs et les dirigeants ont l’obligation d’agir avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve une personne prudente, ainsi que l’obligation fiduciaire d’agir avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société. L’obligation de diligence s’étend aussi parfois à d’autres intervenants de la société, notamment aux actionnaires, aux créanciers et à d’autres parties.
  • Les administrateurs peuvent être tenus personnellement responsables de certains passifs de la société, par exemple les salaires des employés, les retenues salariales à la source, les impôts et les obligations environnementales.
  • Les administrateurs et dirigeants peuvent également être tenus personnellement responsables s’ils concluent certaines opérations avec la société juste avant le déclenchement officiel de procédures d’insolvabilité.
  • L’obligation de diligence et l’obligation fiduciaire des administrateurs et dirigeants demeurent lorsque la société est au bord de l’insolvabilité, et toute décision prise dans de telles circonstances sera sans doute scrutée de près.
  • Selon la « règle de l’appréciation commerciale », les administrateurs et les dirigeants sont réputés agir dans le respect de leurs obligations jusqu’à preuve du contraire. Par conséquent, pour qu’ils soient reconnus coupables d’avoir manqué à leurs obligations, la preuve doit être très claire.

Recours en cas d’abus découlant de la réduction du dividende ou d’autres stratégies d’adaptation financière

Si le climat économique actuel force les sociétés à changer de comportement, les dividendes à payer et l’évaluation des actions risquent d’en subir les conséquences. Il est possible que des décisions stratégiques majeures aillent à l’encontre des attentes raisonnables des parties intéressées. Un intéressé pourrait demander l’intervention du tribunal si une décision constitue un abus, un préjudice injuste ou une omission injuste de tenir compte de ses attentes raisonnables.

Ce que vous devez savoir :

  • Le recours en cas d’abus protège les parties intéressées contre certains agissements d’une société. Ce recours est à la disposition d’un vaste éventail d’intéressés, notamment les porteurs de titres, les créanciers, les administrateurs et les dirigeants.
  • Une action d’une société, d’une société de son groupe ou de ses administrateurs peut donner lieu à un tel recours si cette action constitue un abus, un préjudice injuste ou une omission injuste de tenir compte des attentes raisonnables des intéressés.
  • Les attentes raisonnables des intéressés pourraient être contradictoires, surtout en période de difficultés financières. Au moment de concilier les attentes des différents intéressés, une société doit garder à l’esprit que chaque intéressé s’attend avant toute chose à être traité de façon équitable.
  • Une attente insatisfaite n’est pas en soit un motif de recours en cas d’abus, à moins d’être le résultat d’un comportement abusif ou injuste ayant entraîné des dommages réels.
  • Certaines décisions financières importantes risquent de décevoir les attentes raisonnables. Une société ne peut pas déclarer ou payer des dividendes si elle est insolvable. Dans d’autres cas, la réduction du dividende d’un actionnaire pourrait être considérée comme abusive si elle n’est pas effectuée de façon équitable.
  • Plus important encore, une réduction du dividende doit s’appliquer équitablement à tous les actionnaires d’une même catégorie. Dans le cas de sociétés à capital fermé ou de sociétés familiales, une réduction du dividende pourrait être jugée abusive si elle coïncide avec une hausse de la rémunération versée à certains actionnaires (et non à la totalité) au moyen d’un autre mécanisme, par exemple des frais de gestion.
  • De même, un placement d’actions qui diluerait les intérêts d’un actionnaire pourrait décevoir l’attente raisonnable de ce dernier, à savoir que ses intérêts ne seront pas injustement dilués. Un tribunal pourrait conclure à une « dilution injuste » si l’actionnaire ne peut pas participer à la nouvelle émission, si l’objectif de l’émission est illégitime ou si les nouvelles actions sont émises à un prix inférieur au cours du marché.

Actions obliques lorsqu’une société n’a pas les moyens d’intenter une action en justice

En raison de la contraction économique actuelle, des sociétés lésées risquent de ne pas avoir les moyens de faire valoir leurs droits. Si une société omet d’exercer un recours, des actionnaires pourraient intenter une poursuite pour le compte de la société sous la forme d’une action oblique.

Ce que vous devez savoir :

  • S’il est possible de se prévaloir du recours en cas d’abus lorsqu’une société abuse des droits des actionnaires, une action oblique permet à un actionnaire d’intenter une action pour le compte d’une société pour une faute commise à l’encontre de cette dernière.
  • Les administrateurs doivent absolument être conscients de ce recours dans le contexte économique actuel. Lorsque les marchés sont déprimés, le risque de manquements contractuels et d’autres actes répréhensibles envers les sociétés augmente. Dans le présent climat économique, certaines sociétés auront du mal à trouver les fonds nécessaires pour intenter une action en justice et obtenir réparation.
  • Différentes options existent pour les sociétés confrontées à un tel problème. Puisqu’un actionnaire doit obtenir l’autorisation du tribunal avant de lancer une action oblique, la société peut demander une ordonnance pour permettre à l’actionnaire en question de financer le coût du litige. Par ailleurs, les sociétés peuvent également explorer d’autres possibilités de financement auprès de tiers. Depuis quelques années, les tribunaux sont de plus en plus favorables à de telles initiatives.

Déclenchement des droits à la dissidence

Certains changements apportés à l’orientation ou à la structure d’une société pourraient inciter des actionnaires à exercer leurs droits à la dissidence afin de recevoir le versement de la juste valeur de leurs actions. Puisque le climat économique actuel complexifie l’évaluation de la valeur des actions, les parties pourraient se tourner vers les tribunaux pour exercer ou plaider des droits à la dissidence.

Ce que vous devez savoir :

  • Un actionnaire peut exprimer sa dissidence si des changements importants sont apportés à l’orientation de la société. Pensons par exemple à la mise à jour des statuts visant à modifier les restrictions relatives à la cession d’actions ou les activités que la société peut exercer, ou à l’ajout ou au retrait d’un énoncé exprès établissant la responsabilité illimitée des actionnaires. Un actionnaire peut aussi exprimer sa dissidence si la société décide de procéder à une fusion, de changer de territoire de compétence ou d’effectuer une vente, une location ou un échange de la quasi-totalité des biens de la société hors du cours normal des activités.
  • Un actionnaire dissident est en droit de recevoir la juste valeur de ses actions. La juste valeur ne tient pas compte de la hausse de valeur de l’action sous-jacente attribuable à la décision à laquelle l’actionnaire s’oppose.
  • Il incombe au tribunal de déterminer la juste valeur si les parties n’arrivent pas à s’entendre. Ce faisant, le tribunal peut exiger que l’actionnaire soit payé à l’avance, avec intérêts. Le coût de la demande et de l’évaluation connexe est dans la plupart des cas à la charge de la société.
  • La société doit surtout éviter de verser un paiement à un actionnaire dissident si elle est insolvable, ou si elle devait devenir insolvable du fait de ce paiement.

Déclenchement des clauses ultimatum et des conventions de rachat dans un marché déprimé

La présente contraction économique risque d’exercer une pression à la baisse sur les évaluations et de tarir les liquidités. Dans les circonstances, certains actionnaires ayant plus de liquidités pourraient en profiter pour exercer les droits contractuels de rachat qui leur sont conférés par leur convention d’actionnaires, entente de partenariat ou convention de coentreprise.

Ce que vous devez savoir :

  • Les conventions d’actionnaires et de coentreprises et les ententes de partenariat comprennent souvent une clause ultimatum (shotgun) ou des dispositions de rachat.
  • En vertu d’une clause ultimatum, un pollicitant peut proposer à un pollicité d’acheter ses actions, ou de lui vendre ses propres actions à un certain prix. Le pollicité peut soit acheter les actions du pollicitant, soit lui vendre ses propres actions au prix indiqué dans l’offre. Si le pollicité ne répond pas à l’offre, le pollicitant peut forcer la vente aux termes de la convention.
  • Normalement, lorsque les deux parties disposent d’un accès au capital comparable, l’exercice de la clause ultimatum se traduit par un prix d’offre équitable, puisque le pollicité doit être disposé à acheter les actions du pollicitant au prix d’offre initial, ce qui évite généralement les offres surévaluées et sous-évaluées.
  • Mais sur des marchés déprimés, 1) l’évaluation des titres de la société est souvent beaucoup plus basse et 2) les actionnaires ne bénéficient pas tous du même accès au capital. Les actionnaires en meilleure posture financière pourraient profiter de ce contexte pour faire une offre très basse, car ils savent que l’actionnaire visé ne pourra pas financer l’achat de leurs actions.
  • Les tribunaux font généralement appliquer les offres de rachat si elles respectent en tout point la clause ultimatum. Les actionnaires doivent connaître ces dispositions et prendre connaissance des mécanismes particuliers prescrits dans leur entente.

Contestation des décisions des dirigeants

Les décisions difficiles prises dans le contexte de la pandémie de COVID-19 risquent également d’ouvrir la porte à des contestations de la gouvernance d’entreprise. Les administrateurs et actionnaires concernés doivent savoir quelles sont les conditions préalables d’une convocation à un vote. En raison des enjeux de taille dans le contexte financier actuel, des parties lésées demanderont probablement aux tribunaux d’intervenir rapidement en cas de problèmes liés aux élections.

Ce que vous devez savoir :

  • Les délais prescrits pour la tenue d’une assemblée générale annuelle ont été suspendus pour les sociétés constituées en Alberta et sous le régime fédéral.
  • Cela dit, en Alberta, les détenteurs inscrits et propriétaires véritables d’au moins 5 % des actions émises d’une société qui ont le droit de voter à une assemblée conservent leur droit de convoquer une assemblée visant à destituer ou à élire des administrateurs.
  • Ce droit, ainsi que la forme de l’assemblée, est parfois défini dans les règlements de la société. Il convient d’accorder une attention spéciale à tout règlement régissant la capacité de tenir des assemblées d’actionnaires à distance. BLG a rédigé de l’information à ce sujet (en anglais).
  • Les tribunaux pourront se prononcer, et se prononceront sûrement, sur la validité des convocations si de telles convocations sont refusées. Compte tenu de la suspension des exigences relatives aux assemblées générales annuelles, de telles convocations deviendront plus importantes et urgentes.

Pour obtenir des conseils juridiques sur des questions relatives à la COVID-19, communiquez avec l’auteur de cet article ou avec les personnes-ressources dont le nom figure ci-dessous, qui peuvent aider les entreprises à s’y retrouver en cette période d’incertitude. Nous vous invitons également à consulter le Centre de ressources sur la COVID-19 de BLG pour de l’information sur divers sujets, comme le travail et l’emploi, les risques contractuels, les obligations d’information, l’éducation et le droit criminel.

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