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Perspectives

COVID-19 : Le droit exceptionnel de renégocier les modalités d’un contrat en l’absence de force majeure

La pandémie de COVID-19 soulève de nombreux enjeux contractuels en ce qu’elle peut avoir rendu l’exécution de vos obligations plus onéreuse. De ce fait, la plupart des commentaires récents ont porté sur la disposition relative à la force majeure visant à libérer les parties contractantes de leurs obligations. Toutefois, même en l’absence de clause de force majeure dans un contrat, l'application des notions de bonne foi et d'équité contractuelle dans l'analyse de la portée d’une obligation contractuelle dans le contexte de perturbations commerciales causées par la pandémie pourrait forcer les parties à renégocier certains termes du contrat.

L’analyse de la CSC dans l’arrêt Churchill Falls

La Cour suprême du Canada (« CSC ») a récemment analysé l’application de la théorie de l’imprévision dans un contrat dans l’arrêt Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec . Cette théorie permet, dans certaines juridictions civilistes autre que le Québec, aux parties de renégocier certaines modalités contractuelles dont l’exécution est rendue excessivement onéreuse pour l’un des cocontractants à la suite de l’occurrence d’un événement imprévisible. Les faits en question dans l’arrêt Churchill Falls ne permettaient pas d'élaborer ou d'adopter d’une telle théorie puisque les conditions d’application généralement reconnues n’étaient tout simplement pas remplies : les obligations de Churchill Falls (Labrador) Corporation Limited (« CFLCo ») n’étaient pas devenues plus onéreuses et il n’y avait aucune circonstance imprévisible en présence. Néanmoins, la décision fournit des enseignements importants sur les devoirs plus larges des parties contractantes.

Dans cette affaire, la CSC a en effet déterminé que l’augmentation du prix de vente de l’électricité ne constituait pas un motif suffisant pour renégocier les termes d’un contrat conclu entre CFLCo et Hydro-Québec (« HQ ») en 1969. Ce contrat fixait le cadre juridique et financier relatif à la construction et à l’exploitation d’une centrale hydroélectrique. En vertu de ce contrat, HQ s’engageait à acheter sur une période de 65 ans, la majeure partie de l’électricité qui serait produite par la centrale, indépendamment de ses besoins, ce qui permettait à CFLCo d’en financer la construction. En contrepartie, CFLCo s’engageait quant à elle à vendre à HQ l’électricité à prix fixe pendant cette même période. Or, au motif que le prix de l’électricité vendu à HQ était en deçà du prix du marché, CFLCo réclamait une renégociation du contrat afin de redistribuer les bénéfices générés par HQ. La CSC a considéré que HQ n’avait aucune obligation de renégocier les termes contractuels, notamment parce que la fluctuation du prix de l’électricité était raisonnablement prévisible et que ce changement n’avait pas rendu plus onéreuses les obligations de CFLCo.

La CSC a également souligné que la théorie de l'imprévision n’est pas généralement reconnue dans le droit civil québécois. Ce choix du législateur québécois s’expliquerait par un désir de privilégier le principe de la stabilité contractuelle, qui cadrerait mal avec une règle qui dépendrait de circonstances purement externes, plutôt que du comportement et de la situation des parties. Malgré tout, le Code civil du Québec stipule que les parties doivent se comporter de bonne foi à chaque étape de leurs obligations et c'est dans la reconnaissance et l'interprétation de ce devoir par la CSC que se trouvent les motifs à l’appui de la renégociation de contrats.

Cadre de la CSC en matière d'équité contractuelle

Alors que plusieurs juristes ont conclu qu'il ne serait pas possible en droit québécois pour les cocontractants de justifier une renégociation d'un contrat en se fondant sur les impacts reliés à la pandémie de COVID-19 en se référant à l’arrêt Churchill Falls, nous croyons au contraire que l’opinion de la majorité, sous la plume du juge Clément Gascon, nous permet d’affirmer qu’un tel droit existe dans le contexte exceptionnel et unique en présence.

La CSC écrit d’abord que les notions de bonne foi et d’équité permettent aux tribunaux d’intervenir et d’imposer des obligations positives à des contractants qui s’inspirent d’une idée de justice contractuelle, pouvant ainsi tempérer pour les parties une lecture formaliste de la lettre de certains contrats ou maximiser l’effet utile d’un contrat et des prestations qui en sont l’objet. La notion de bonne foi donne un pouvoir de création juridique large et flexible qui sert à relier les principes juridiques aux notions fondamentales de justice, selon les particularités propres à chaque cas. Elle sert à protéger l’équilibre contractuel.

La CSC ajoute de plus que « [p]ar exemple, dans une situation de « hardship » correspondant à la description qu’en donne les Principes d’Unidroit, le comportement du cocontractant favorisé par le changement de circonstance ne pourrait être ignoré et devrait être évalué ».

Cette notion de « hardship » dans les Principes d’Unidroit réfère à un événement hors du contrôle d’une partie, qui ne pouvait raisonnablement être pris en considération, qui survient après la conclusion d’un contrat et qui altère fondamentalement l’équilibre des prestations, soit que le coût de l’exécution des obligations ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué2. Quant à la notion de « comportement » qui pourrait être blâmable ou donner ouverture à une sanction en vertu de l’obligation de bonne foi et d’équité dans un tel contexte, la CSC mentionne spécifiquement le cas où une « partie qui insiste sur la lettre du contrat fait preuve d’un manque de flexibilité, ou encore d’une impatience ou d’une intransigeance déplacée ».

Points clés pour les entreprises

Il nous apparaît clair que les impacts de la pandémie de COVID-19 pourraient constituer un cas de « hardship » au sens des Principes d’Unidroit notamment dans les cas où le coût de l’exécution des obligations pour un des contractants a augmenté, ou que la valeur de la contre-prestation a diminué. En suivant les enseignements de la CSC dans Churchill Falls, un cocontractant qui ferait preuve d’un manque de flexibilité ou d’une intransigeance déplacée dans ce contexte social exceptionnel pourrait ainsi être sanctionné.

Le cas d'une relation propriétaire-locataire pendant la pandémie, où l'accès à la propriété est restreint par des directives de santé publique, constitue un bon exemple. Lorsqu'un locataire ne peut pas utiliser librement et pleinement les lieux loués, le refus du propriétaire de renégocier les termes d'un bail sur la base de la valeur réduite de l'avantage reçu par le locataire pourrait être considéré comme une violation du devoir de bonne foi.

Rappelons enfin que le contrat est un accord de volonté formé par l’échange mutuel de consentement qui oblige ceux qui l’ont conclu non seulement pour ce qu’ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi. De plus, dans l’interprétation d’un contrat, il faut chercher à savoir quelle a été la commune intention des parties, plutôt que de s’arrêter sur le sens littéral des termes utilisés3.

En appliquant ces principes, nous sommes d'avis qu'un cocontractant pourrait demander des accommodements à l’application stricte des dispositions contractuelles, soit une renégociation contractuelle au motif que le risque d’une pandémie de COVID-19 n’était pas raisonnablement prévisible par lui et n’avait pas été assumé au moment de la conclusion du contrat et que ce risque devrait plutôt être assumé par les deux parties par souci d'équité contractuelle.


1 Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec [2018] 3 RCS 101 aux paras. 92, 98-99, 102-105, 113 [nos soulignés] et 118 [Churchill Falls].

2 Art. 6.2.1 et 6.2.2 des Principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international.

3 Voir art. 1378, 1385, 1425 et 1434 CcQ.

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