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Perspectives

Signature à distance et présence virtuelle de témoins dans le cadre de testaments et de procurations

Mis à jour le 23 avril 2020; Mis à jour le 30 mai 2020

À mesure que le coronavirus se propage dans le monde entier, la planification successorale préoccupe de nombreux Canadiens. En raison de la pandémie, les gouvernements fédéral et provinciaux de même que les administrations municipales de partout au Canada ont recommandé, et à certains endroits ont exigé, que les Canadiens s’isolent ou se mettent en quarantaine pour empêcher la propagation du virus.

Les achats, les conférences et les réunions se déroulent maintenant en ligne, et les transactions et les accords commerciaux sont souvent signés numériquement. Par conséquent, beaucoup se questionnent maintenant sur la possibilité de recourir à la technologie pour signer ou agir comme témoin en matière de testaments ou de procurations. Pour les Canadiens, les signatures virtuelles ou électroniques n’ont jamais été reconnues légalement quand il s'agit de documents de planification successorale.

Récemment, le Québec et l’Ontario ont tous deux instauré des règles d’urgence qui autoisent la présence virtuelle de témoins lorsqu'il est question de testaments et de procurations dans certaines circonstances. À la date de la présente publication, la Colombie-Britannique et l’Alberta n’avaient pas introduit de législation d’urgence similaire. Peu importe la province, il faut veiller soigneusement à ce que tous les documents de planification successorale passés soient valables et conformes à la loi provinciale. De plus, tout avocat qui rencontre virtuellement un client doit redoubler de prudence afin d'éviter toute fraude ou influence indue.

Ontario

En Ontario, la passation de testaments et de procurations est assujettie depuis longtemps à des exigences strictes, qui ont été modifiées récemment de façon temporaire sur ordre du gouvernement (voir la mise à jour ci-après). Sous réserve de certaines exceptions applicables aux membres en activité de service des Forces canadiennes ou d’une autre force navale, terrestre ou aérienne et aux marins, la Loi portant réforme du droit des successions, L.R.O. 1990 (LPRDS), de l’Ontario précise qu’un testament n’est valable que si les conditions suivantes sont réunies :

  • le testateur (c.-à-d. la personne qui signe le testament) signe le testament (ou, s’il en est incapable, le fait signer par une autre personne selon ses instructions);
  • au moins deux témoins sont présents en même temps au moment de l’apposition de la signature;
  • les deux témoins souscrivent le testament « en présence du testateur ».

Selon la législation de l’Ontario, le tribunal ne peut valider un testament qui ne répond pas à ces exigences.

Pour ce qui touche à la passation officielle, la seule exception applicable à la plupart des Ontariens est le « testament olographe », défini comme un testament qui est « entièrement » rédigé de la main du testateur et signé par lui, et ne requiert aucun témoin.

De même, la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui, L.O. 1992 (LPDNA), de l’Ontario précise que la procuration perpétuelle relative aux biens et la procuration relative au soin de la personne doivent être passées « en présence de deux témoins ». Contrairement au cas des testaments, le tribunal peut déclarer que la procuration non conforme a plein effet « s’il est convaincu que cela est dans l’intérêt du mandant ou des personnes à sa charge ».

Les mots « signer » et « signature » ne sont définis ni dans la LPRDS ni dans la LPDNA. Cependant, la Loi de 2000 sur le commerce électronique, L.O. 2000 (LCE), de l’Ontario, qui permet la signature électronique de nombreux documents commerciaux dans la province, exclut expressément les testaments, les codicilles et les procurations relatives aux biens et au soin de la personne. Il en ressort clairement qu’une signature électronique ne serait pas valable pour ces documents.

Décret d’urgence

Le 7 avril 2020, en consultation avec des membres de la profession juridique, le gouvernement de l’Ontario a annoncé qu’il avait pris un décret en vertu de la Loi sur la protection civile et la gestion des situations d’urgence. Aux termes du décret, pendant la durée de la déclaration de situation d’urgence en Ontario, l’exigence selon laquelle un testateur ou des témoins doivent être présents pour signer un testament ou une procuration peut être satisfaite au moyen d’une « technologie de communication audiovisuelle ». L'un des témoins doit être un avocat autorisé à exercer dans la province. La technologie doit permettre aux participants « de voir, d’entendre et de communiquer » entre eux en « temps réel ».

À peine plus de deux semaines plus tard, le 22 avril 2020, le gouvernement de l’Ontario a révoqué le décret et en a publié un nouveau autorisant la signature des « copies respectives » du testament ou de la procuration, qui doivent être « complètes et identiques ». Selon le précédent décret, il convenait de signer le testament ou la procuration avant son envoi par le testateur ou le mandant au premier témoin, puis au second, processus qui pouvait s’avérer fastidieux. Après avoir pris connaissance de la rétroaction fournie par la profession juridique, le gouvernement autorise désormais les trois signataires à signer des copies distinctes, qui, ensemble, sont réputées constituer un seul et même document.

Il s’agit d’une modification importante et sans précédent des règles sur la passation des documents de planification successorale. La porte étant maintenant ouverte à la signature à distance et à la présence virtuelle de témoins, il conviendra de prendre des précautions supplémentaires afin de s’assurer que tous les documents passés sont valables et non susceptibles de contestation judiciaire. Par ailleurs, il faudra envisager de procéder à une nouvelle signature du testament ou de la procuration dans des conditions normales, lorsqu’il sera de nouveau sécuritaire de le faire.

Alberta

Comme en Ontario, la Wills and Succession Act, SA 2010, c. W-12.2 (WSA), de l’Alberta énonce les conditions de validité du testament, sous réserve de certaines exceptions limitées, par exemple les testaments militaires des membres en activité de service des Forces canadiennes :

  • le testateur doit signer le testament (ou faire signer une autre personne en son nom à lui et en sa présence);
  • le testateur doit apposer ou reconnaître sa signature en présence de deux témoins qui sont présents en même temps;
  • chaque témoin doit signer le testament en présence du testateur.

La WSA reconnaît aussi le testament olographe (comme en Ontario, un document testamentaire entièrement rédigé de la main du testateur et signé par lui), sans la présence ou la signature d’un témoin ni autre formalité.

Contrairement à l’Ontario, l’Alberta permet dans sa législation un certain assouplissement des exigences strictes ayant trait à la validité quant à la forme. Le tribunal peut valider un testament qui ne répond pas aux exigences de formalité s’il est convaincu, en se fondant sur des éléments de preuve clairs et convaincants, que le document énonce les intentions testamentaires du testateur et devait être, selon l’intention de ce dernier, son testament. Bien que l’incidence de la pandémie de coronavirus sur la rédaction et la validité des testaments reste à voir, les pouvoirs de dispense et de rectification énoncés aux articles 37 à 39 de la WSA pourraient, en théorie, être mis en œuvre pour corriger les irrégularités de signature, particulièrement à la lumière des décrets et des directives de santé publique de tous les ordres de gouvernement visant l’isolement ou le maintien de la distanciation physique.

Aux termes de la Powers of Attorney Act, RSA 2000, c. P-20, et de la Personal Directives Act, RSA 2000, c. P-6, les deux documents doivent être signés et datés à la fois par le mandant et un témoin en présence l’un de l’autre. Il n’existe aucune exception à ces formalités pour une procuration perpétuelle ou une directive personnelle.

Très semblablement à la législation applicable en Ontario, l’Electronic Transactions Act, SA 2001, c. E-5.5, de l’Alberta, qui autorise le recours aux signatures électroniques pour la passation de plusieurs types de documents, exclut expressément les testaments, les codicilles, les procurations perpétuelles et les directives personnelles.

Décret d’urgence

Le 15 mai 2020, en consultation avec des membres de la profession juridique, le gouvernement albertain a pris un décret en vertu de la Public Health Act autorisant la passation à distance de testaments, de procurations et de directives personnelles. Aux termes du décret, pendant la durée de la déclaration de situation d’urgence en Alberta, l’exigence selon laquelle un testateur ou des témoins doivent être présents pour signer un testament, une procuration ou une directive personnelle peut être satisfaite au moyen d’une [traduction] « méthode électronique de communication qui permette à tous les participants de se voir, de s’entendre et de communiquer les uns avec les autres en temps réel ». Cette exception s’applique seulement aux cas où un avocat fournit au testateur, au donateur ou à l’auteur du pouvoir des services ou des avis juridiques relativement à la rédaction et à la signature du testament, de la procuration perpétuelle ou de la directive personnelle, de même qu’à la présence de témoins.

Le décret prendra fin soit 60 jours après l’expiration de l’état d’urgence (qui peut être prolongé), soit sur décision du ministre.

La porte étant maintenant ouverte à la signature à distance et à la présence virtuelle de témoins, il conviendra de prendre des précautions supplémentaires afin de s’assurer que tous les documents passés sont valables et non susceptibles de contestation judiciaire. Par ailleurs, il faudra envisager de procéder à une nouvelle signature du testament, de la procuration ou de la directive personnelle dans des conditions normales, lorsqu’il sera de nouveau sécuritaire de le faire.

Colombie-Britannique

La Wills, Estates and Succession Act, SBC 2009, c. 13 (WESA), comme en Ontario et en Alberta, précise que le testament, pour être valable, doit réunir les conditions suivantes :

  • il doit être fait par écrit;
  • il doit être signé à la fin par le testateur (ou ce dernier doit reconnaître la signature à la fin comme étant la sienne, en présence d’au moins deux témoins présents en même temps);
  • il doit être signé par au moins deux témoins en présence du testateur.

De même, la Power of Attorney Act, RSBC 1996, c. 370 (POAA), exige qu’une procuration perpétuelle soit faite par écrit et signée et datée en présence de deux témoins (ou d’un seul témoin, s’il s’agit d’un avocat ou d’un membre en règle de la Society of Notaries Public of British Columbia).

Ni la WESA ni la POAA ne prévoient la signature électronique des testaments ou des procurations perpétuelles. Comme en Ontario et en Alberta, l’Electronic Transactions Act, SBC 2001, c. 10, régit l’utilisation de documents électroniques, mais exclut expressément de son champ d’application les testaments et les procurations (dans la mesure où celles-ci visent les affaires financières d’un particulier ou le soin de sa personne).

Contrairement à d’autres provinces, le droit britanno-colombien ne prévoit pas l’utilisation de testaments olographes.

Néanmoins, comme en Alberta, le testament qui serait par ailleurs nul aux termes de la WESA peut être réputé valable. Premièrement, le testament peut être déclaré valable par voie d’ordonnance judiciaire en vertu de la WESA si le tribunal détermine que le testament par ailleurs nul représente les intentions testamentaires du défunt, et que les circonstances l’exigent. Deuxièmement, le testament peut être valable s’il est fait conformément aux lois d’un autre territoire dans certains cas; par exemple, il est valable s’il est conforme à la loi du lieu où il est fait.

Lorsqu’il est projeté de passer un testament, ainsi que des documents de succession connexes, d’une manière par ailleurs « non conforme », par exemple au moyen d’une signature électronique, il faut garder à l’esprit la nécessité éventuelle de convaincre un tribunal que le document représente les intentions testamentaires fixes et définitives du testateur.

Décrets d’urgence

Le 19 mai 2020, le gouvernement de la Colombie-Britannique a pris deux nouveaux décrets en vertu de la Emergency Program Actautorisant la présence virtuelle de témoins, l’un pour ce qui touche les testaments, l’autre en ce qui a trait aux procurations perpétuelles et aux conventions de représentation.

Toute passation de testament effectuée conformément à l’Electronic Witnessing of Wills (COVID-19) Order sera désormais réputée satisfaire aux exigences officielles prévues par la WESA pour ce qui touche la rédaction de testaments. Le décret exige, entre autres, que le testateur et les témoins soient [traduction] « présents électroniquement » et se voient, que l’un des témoins soit un avocat ou un notaire et que le testament comprenne une déclaration indiquant qu’il a été signé en présence de témoins conformément aux dispositions du décret.

Toute procuration perpétuelle ou convention de représentation passée dans le respect de l’Electronic Witnessing of Enduring Powers of Attorney and Representation Agreements (COVID-19) Order sera réputée valide en vertu de la législation provinciale. Le décret contient des exigences similaires pour ce qui touche la présence électronique des témoins au moment de la passation du document. Dans le cadre de procurations perpétuelles et de conventions de représentation, seul un témoin est requis, mais il doit s’agir d’un avocat ou d’un notaire.

Les décrets ont pris effet le 19 mai 2020 et resteront en vigueur jusqu’à l’expiration ou l’annulation de l’état d’urgence (qui peut être prolongé).

La porte étant maintenant ouverte à la signature à distance et à la présence virtuelle de témoins, il conviendra de prendre des précautions supplémentaires afin de s’assurer que les testaments, les procurations perpétuelles et les conventions de représentation signés « à distance » sont conformes aux dispositions énoncées dans les nouveaux décrets. Dans l’éventualité où des testaments, des procurations perpétuelles et des conventions de représentation auraient été signés sans respecter les exigences prévues avant l’entrée en vigueur de ces nouveaux décrets (voir ci-dessus), il faudra envisager de recommencer la procédure afin d’éviter d’avoir à demander une ordonnance de la cour pour valider ces documents.

Québec

Le Code civil du Québec ne permet que trois façons de tester :

  • par testament notarié (passé devant un notaire du Québec, en présence d’un témoin);
  • par testament olographe (entièrement rédigé à la main et signé);
  • par testament fait en présence de deux témoins (pouvant être préparé par un avocat).

Les témoins agissant à l’égard du testament notarié ou du testament fait en présence de deux témoins doivent être majeurs et ne doivent pas bénéficier du testament. Les témoins doivent signer le testament après que le testateur a signé et confirmer que le testament et la signature sont ceux du testateur.

Cela exige généralement que toutes les parties se trouvent physiquement en présence les uns des autres.

Le testament olographe demeure la façon la plus simple de tester et n’exige pas la présence d’un tiers; toutefois, il ne s’agit pas du type de testament le plus fiable, car il peut être perdu, détruit ou endommagé et peut soulever des problèmes d’interprétation. De plus, comme le testament fait en présence de deux témoins, il doit être vérifié une fois le testateur décédé, ce qui peut retarder le règlent de la succession.

Le 27 mars 2020, la ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec a pris l’arrêté 2020-010 en application de la Loi sur la santé publique du Québec, lequel autorise les notaires du Québec à clore à distance des actes notariés en minute, y compris les testaments notariés, sur un support technologique. Ils doivent respecter des critères stricts et précis, notamment les suivants :

  • le notaire instrumentant doit pouvoir voir et entendre le testateur et le témoin;
  • le testateur et le témoin doivent pouvoir voir et entendre le notaire instrumentant et se voir et s’entendre l’un l’autre;
  • le testateur, le témoin et le notaire instrumentant doivent pouvoir voir le testament;
  • le testateur et le témoin, autre que le notaire, doivent apposer leur signature par un moyen technologique permettant de les identifier et de constater leur consentement;
  • le notaire doit apposer sa signature officielle numérique.

Au Québec et dans le milieu notarial, ces mesures sont sans précédent, et, à ce titre, le conseil d’administration de l’Ordre des notaires du Québec a établi des lignes directrices strictes sur l’utilisation de moyens technologiques pour passer des actes notariés, conformément à l’article 98 de la Loi sur le notariat (c. N-3). Ces mesures sont entrées en vigueur le 1er avril 2020. Les notaires du Québec peuvent maintenant passer des testaments et d’autres actes notariés, comme des procurations et des mandats de protection (parfois appelés « testaments biologiques »).

Conclusion

Tant les profanes que les praticiens débattent depuis des années de l’acceptabilité juridique de la signature numérique des testaments. La question est devenue beaucoup plus urgente ces dernières semaines. Pour les Canadiens, en particulier ceux qui sont vulnérables sur le plan médical ou qui s’isolent, l’impossibilité de rencontrer des témoins peut faire obstacle à la capacité d’entreprendre une planification testamentaire. L’Ontario et le Québec ouvrant désormais la porte à la présence virtuelle de témoins, de nouvelles possibilités sont offertes. Comme toujours, il convient de faire preuve de vigilance lors de la passation de testaments ou de procurations.

Si vous avez besoin d’aide pour l’élaboration de testaments, de procurations ou de directives personnelles, n’hésitez pas à communiquer avec l’un des avocats ci-après.

* Les auteurs tiennent à remercier Joseph Marando, stagiaire chez BLG, pour son aide dans le cadre de la rédaction du présent article et des recherches connexes.

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