une main qui tient une guitare

Perspectives

La Cour suprême insiste sur les obligations positives imposées à l’État par la Charte en faveur des écoles francophones

Dans l’arrêt Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, la Cour suprême du Canada a jugé, à la majorité, que la Colombie-Britannique sous-finançait ses écoles francophones. Elle a également précisé le critère permettant de déterminer dans quels cas ce type de problème de financement pouvait emporter violation du droit à l’instruction dans la langue de la minorité garanti par l’article 23 de la Charte des droits et libertés

Contexte

En juin 2010, le Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique, la Fédération des parents francophones de Colombie‑Britannique et trois parents (la coalition) ont intenté un procès contre le gouvernement de la Colombie-Britannique. Dans sa poursuite, la coalition soutenait que plusieurs aspects du financement du système d’éducation pénalisaient la minorité linguistique officielle et violaient les droits qui lui étaient reconnus par l’article 23. Elle se plaignait notamment du manque d’établissements francophones adéquats et réclamait d’autres écoles francophones. À titre de réparation, la coalition demandait d’être indemnisée par le gouvernement. 

Les tribunaux de la Colombie-Britannique ont rendu des jugements déclaratoires portant sur le droit à des installations éducatives dans plusieurs collectivités de la province. Ils n’étaient toutefois pas convaincus que des dommages-intérêts constituaient une réparation convenable.  

Raisonnement de la Cour suprême

Dans une décision partagée à 7 contre 2, le juge en chef Wagner – qui s’exprimait au nom de la majorité – a conclu que l’interprétation que les juridictions inférieures avaient faite de l’article 23 était « démesurément restrictive ». L’article 23 avait, selon lui, un objet réparateur, qui visait à corriger « l’érosion des communautés linguistiques officielles [et à] faire des deux groupes linguistiques officiels des partenaires égaux dans le domaine de l’éducation ». Dans ce contexte, la Cour a proposé le « concept de l’échelle variable » qui permet d’établir le type et le niveau de services justifiés en vertu de l’article 23 pour garantir l’instruction dans la langue de la minorité au nombre d’enfants concernés.

Les juges majoritaires ont clarifié ce concept, en énonçant un critère à trois volets permettant de déterminer les obligations imposées à l’État par l’article 23 :

  • À la première étape, on vérifie si, compte tenu du nombre d’élèves concernés, le niveau de services proposé par la minorité permet de répondre à toutes les exigences du programme d’études. Le coût est un facteur important, mais ne permet pas, à lui seul, de trancher les questions en litige. 
  • À la deuxième étape, on doit recourir à une méthode comparative pour déterminer si l’école envisagée par la minorité linguistique est appropriée au regard de la pédagogie et des coûts. La démarche vise à déterminer si le nombre d’élèves concernés de la minorité linguistique officielle est comparable au nombre d’élèves des écoles de la majorité. La constatation, par le tribunal, que le nombre d’élèves de la minorité est comparable, localement, à celui des élèves de la majorité, militera en faveur de la conclusion que les élèves de la minorité linguistique ont droit à une « école homogène ».
  • La troisième étape consiste à déterminer le niveau de services à offrir à la minorité linguistique officielle. Si, à la deuxième étape, le tribunal a conclu que le nombre d’élèves est comparable, ce nombre se situe à la limite supérieure de l’échelle variable et la minorité est alors en droit de faire instruire ses enfants dans une école homogène. 

Appliquant cette démarche aux faits portés à sa connaissance, la majorité a conclu que la coalition était justifiée d’exiger plus d’écoles de la minorité linguistique dans les collectivités en question et que le défaut de les offrir constituait une violation de l’article 23. 

La Cour suprême a adopté une démarche « stricte » pour son analyse fondée sur l’article premier. La majorité a estimé que les violations ne pouvaient se justifier en vertu de l’article premier et que la coalition avait notamment droit à une indemnisation à titre de réparation.         

Points à retenir de cet arrêt

Pour la coalition et pour bon nombre de communautés francophones, cet arrêt de la Cour suprême représente une grande victoire, tant en ce qui concerne la reconnaissance de leurs droits constitutionnels que la possibilité de se faire indemniser par l’État.   

Sur le plan juridique, cet arrêt constitue un autre exemple de la volonté de la Cour suprême de reconnaître et de proposer des moyens permettant de préciser les obligations positives auxquelles l’État est tenu en vertu de la Charte (et d’autres documents quasi constitutionnels) envers les groupes linguistiques minoritaires. La Cour ne s’était pas montrée aussi réceptive à l’égard du concept des obligations positives dans le cas d’autres droits consacrés par la Charte.

La décision de la majorité illustre par ailleurs la nécessité pour les organismes provinciaux d’élaborer soigneusement leurs politiques d’éducation en tenant compte du critère plus nuancé de « l’échelle variable » défini par la Cour. Cette approche pourrait entraîner des changements dans les lois et dans les mentalités et se traduire par des investissements plus importants dans les écoles et les programmes de langue française.

Enfin, la majorité a prononcé une série de jugements déclaratoires en faveur d’un plus grand nombre d’établissements d’enseignement en français en Colombie-Britannique. La Cour a choisi de ne pas demeurer saisie de la question de la mise en œuvre, une question qu’elle avait déjà abordée dans l’affaire Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation).

Principaux contacts