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Perspectives

Employeurs : À vos marques, prêts, passez au télétravail!

La première partie de l’année 2020 a apporté son lot de défis et d’imprévus aux employeurs canadiens. Bien que certaines entreprises commencent à émerger de la crise, il serait illusoire de croire que tout reviendra à la normale. Des milliers d’employés à travers le monde ne retourneront pas dans leurs milieux de travail habituels avant plusieurs mois, alors que d’autres pourraient être appelés à travailler à domicile de manière permanente.

Avant la pandémie, le télétravail représentait un privilège pour les employés, qui permettait aux employeurs d’être compétitifs en matière de recrutement et de rétention de personnel. Or, aujourd’hui, le télétravail est en voie de devenir la règle, et non plus l’exception. Les lieux et horaires de travail traditionnels sont chavirés et les employeurs doivent être disposés à moderniser et à assouplir leurs façons de gérer leur main-d’œuvre.

Voici un survol des principaux enjeux auxquels les employeurs devront faire face dans ce nouveau contexte.

Q. Comment établir les règles du jeu du télétravail?
R. En élaborant une politique de télétravail.

La mise sur pied d’une politique de télétravail est une première étape essentielle afin de cerner clairement les attentes légitimes des employeurs envers leurs employés qui travaillent à distance. Elle fournira aux employeurs les outils pour encadrer et guider leurs employés, alors qu’il ne lui est pas physiquement possible de le faire, en consacrant officiellement diverses normes applicables. Cela permettra aux employeurs s’étant dotés d’une telle politique d’imposer des mesures disciplinaires ou administratives aux employés qui ne respectent pas les règles bien établies en matière de travail à distance.

Voici quelques questions auxquelles la politique devra répondre :

  • Quels employés sont admissibles à une entente de télétravail?
  • Quelles sont les attentes de l’employeur en matière de rendement et de disponibilité?
  • Quelles sont les modalités du télétravail (ex. nombre de jours par semaine/par mois)?
  • Quelles sont les lignes directrices applicables en matière de santé et sécurité à domicile?
  • Quelle est la durée prévue du télétravail (temporaire ou permanente)?
  • L’employeur a-t-il la faculté de mettre fin au télétravail à sa discrétion?
  • Quelles sont les attentes de l’employeur quant à l’utilisation de son matériel et de ses outils de travail?

Bien entendu, la politique devra être adaptée à la réalité de l’entreprise. Il n’y a pas de formule magique qui conviendra à toutes les entreprises. De plus, une telle politique devra être mise à jour au fil du temps, en fonction de l’évolution de la situation au sein de l’entreprise.

Q. Quelles attentes les employeurs peuvent-ils avoir quant au rendement de leurs employés en télétravail?
R. Les mêmes qu’à l’habitude.

Les employés en télétravail se trouvent en tout temps à quelques pas de leurs stations de travail. Bien que cela puisse favoriser la productivité à court terme, les employeurs doivent s’assurer de ne pas avoir d’attentes de rendement déraisonnables dans ce contexte. En effet, ils devront s’efforcer de :

  • respecter les heures normales de travail des employés (incluant les pauses);
  • rémunérer les employés de manière appropriée pour leurs efforts, comme cela était le cas avant le virage vers le télétravail (ce qui inclut les heures supplémentaires, lorsqu’applicable);
  • faire preuve de tolérance raisonnable quant aux aléas du travail à la maison (enfants, animaux domestiques, etc.).

Également, les employeurs devront trouver des manières nouvelles de mesurer la productivité de leurs employés de même que de nouvelles façons d’éviter le vol de temps (en particulier pour les employés rémunérés à taux horaire). Bien que les évaluations de rendement devront prendre en compte la réalité du télétravail, les employeurs seront justifiés de requérir la même qualité et quantité de travail qu’auparavant. Ils devront également être conscients du droit à la déconnexion de leurs employés. En effet, si les employeurs peuvent avoir l’impression que les employés en télétravail sont constamment tout près de leur poste, même en dehors des heures de travail normales, ils doivent conserver des attentes raisonnables quant au temps qui doit être consacré au travail.

Q. Comment les employeurs peuvent-ils faire valoir leurs droits de gérance avec efficacité en cas de comportement problématique chez leurs employés?
R. En s’assurant de bien documenter les événements de nature disciplinaire et administrative.

La décentralisation du milieu de travail ne signifie pas que les employeurs perdent leur droit de gérance ni leur habileté à imposer des sanctions et des mesures à leurs employés. Ce droit crucial pourrait toutefois devenir plus difficile à exercer. En effet, il faudra trouver de nouveaux moyens pour découvrir et prouver les comportements fautifs des employés à distance. Les employeurs sont donc fortement encouragés à tenir un dossier électronique détaillé de tout événement de nature disciplinaire ou administrative, et à veiller à ce que ces informations demeurent confidentielles et à jour. En effet, il serait fâcheux que certaines notes ou communications décisives se perdent aux domiciles des gestionnaires de l’entreprise qui, bien souvent, seront également en télétravail.

Q. Comment peut-on recréer un esprit de collégialité dans le contexte de l’isolement du télétravail?
R. En mettant en place des mesures visant à assurer l’engagement des employés.

Un autre enjeu majeur du télétravail est le sentiment d’isolement qui peut affecter les employés, pouvant même engendrer des troubles de santé mentale. Il est vrai que les employés appelés à travailler à distance durant la crise de la COVID-19 le faisaient dans des conditions bien particulières, soit dans un contexte où l’isolement était recommandé ou imposé en fonction des directives des autorités de santé publique. Cela ne sera plus le cas dans un monde post-pandémie. Toutefois, le défi demeura le même : l’employeur devra maintenir l’engagement des employés en gardant un contact constant avec eux. À cet effet, l’employeur (et ses représentants) pourra notamment :

  • établir des objectifs d’équipe concrets;
  • rappeler l’importance du rôle de chacun par rapport à la mission de l’entreprise;
  • s’assurer que les gestionnaires donnent de la rétroaction régulière à leurs employés;
  • planifier des rencontres d’équipe régulières, virtuelles et en personne, permettant d’échanger de manière tant formelle qu’informelle.

Ces efforts permettront de maintenir un esprit d’équipe, un sentiment d’appartenance et, ultimement, un meilleur engagement à long terme chez les employés.

Q. Quelle est l’étendue des obligations de l’employeur en matière de santé et sécurité dans un contexte de télétravail?
R. Les mêmes qu’à l’habitude. L’employeur conserve l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité, l’intégrité physique et le bien-être des employés en télétravail.

L’employeur dont le personnel est en télétravail demeure couvert par les lois applicables en matière de santé et sécurité au travail ainsi qu’en matière d’indemnisation.  Afin d’assurer la santé et la sécurité de ses employés, alors même que ceux-ci se trouvent à domicile, l’employeur doit vérifier que leur environnement de travail est sécuritaire et que leur poste de travail est adéquat et exempt de danger. 

D’autre part, l’employeur doit envisager des mesures pour promouvoir la santé mentale de ses employés, car l’isolement et le stress peuvent bien entendu, entraîner des conséquences néfastes sur le bien-être psychique des employés.  À ce titre, les tribunaux canadiens ont maintes fois reconnu qu’une absence d’aide et de soutien de la part de l’employeur de même que des conditions de travail particulièrement stressantes peuvent engendrer une lésion psychologique et, de ce fait, constituer une lésion professionnelle s’associant à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. 

Q. L’employeur doit-il accommoder ses employés à concilier le travail et la famille?
R. Oui.

Concilier la vie familiale avec les contraintes liées au télétravail peut représenter un défi de taille. Cet exercice de conciliation peut constituer une source de stress importante et affecter la santé mentale de certains employés.

De plus, l’employeur ne peut agir de façon discriminatoire envers ses employés en raison de leur situation familiale. En effet, il s’agit d’un motif de discrimination prohibé en vertu de plusieurs lois provinciales en matière de droits de la personne, et la plupart des lois applicables qui établissent les normes du travail minimales prévoient des congés ou protections en lien avec les obligations familiales. Un employé en télétravail pourrait avoir droit de bénéficier de mesures d’accommodement lorsque ses obligations entrent en conflit avec ses responsabilités professionnelles, dans la mesure où cela n’entraîne pas une contrainte excessive pour l’employeur. Ces mesures d’accommodement peuvent notamment inclure les suivantes :

  • la réduction des heures de travail en échange d’une rémunération réduite;
  • la mise en place d’un horaire de travail flexible;
  • la réorganisation de certaines tâches.

Q. Comment l’employeur peut-il protéger ses données confidentielles?
R. En révisant en profondeur les moyens de protection traditionnels et en en implantant de nouveaux.

L’employeur a le droit de s’attendre à ce que les données confidentielles avec lesquelles transigent ses employés en télétravail demeurent protégées, comme si ces derniers étaient au travail. En effet, les employés travaillant à distance doivent agir avec précaution lorsqu’ils utilisent les informations confidentielles de leur employeur.

Afin de favoriser la protection de ses données confidentielles, l’employeur avisé devrait notamment :

  • élaborer et communiquer une politique spécifique quant à la protection des données en télétravail, ou modifier ses politiques existantes;
  • former ses employés quant à la façon de sécuriser leurs documents et l’information confidentielle lorsqu’ils travaillent de la maison;
  • évaluer les risques liés à l’utilisation d’équipements technologiques personnels de ses employés à des fins tant personnelles que professionnelles (tels que l’hameçonnage, les risques d’infiltration, la fraude électronique ou le vol ou la perte d’appareils).

Q. Quels droits de surveillance l’employeur a-t-il à l’égard de ses employés en télétravail?
R. Des droits de surveillance réduits.

Le domicile est considéré comme l’endroit où l’expectative de vie privée d’un individu est la plus élevée, alors que celle-ci est réduite lorsqu’il se trouve sur les lieux de travail. Qu’en est-il lorsque domicile et lieu de travail ne font qu’un? Différents enjeux en matière de vie privée peuvent découler de ce changement d’environnement, particulièrement lorsque l’employé est appelé à utiliser ses propres appareils technologiques. Également, l’employeur ne pourra pas rendre visite à ses employés de manière imprévue et sans autorisation, tel qu’il pourrait le faire sur les lieux de travail traditionnels, par exemple s’il soupçonne un comportement suspect de son employé ou s’il désire procéder à la vérification de son environnement de travail.

Q. L’employeur est-il légalement tenu de rembourser les frais afférents au télétravail?
R. De manière générale, il n’a pas l’obligation légale de le faire.

La crise ayant engendré une subite relocalisation de l’environnement de travail, certains employés ont dû débourser des sommes importantes afin d’être en mesure de travailler confortablement, alors que d’autres se sont contentés de peu en espérant que la situation ne soit que temporaire.

De manière générale, au Canada, les lois applicables n’obligent pas l’employeur à rembourser les frais liés au télétravail (incluant l’équipement de bureau, Internet, l’encre, la papeterie, etc.). Cependant, l’employeur ne peut légalement requérir que l’employé paie lui-même pour des dépenses considérées comme liées aux opérations de l’entreprise. Ainsi, il serait mal avisé d’obliger les employés à débourser des frais relatifs aux outils fondamentaux au télétravail.

Dans tous les cas, en attendant que les tribunaux canadiens adoptent une position ferme sur le sujet et clarifient la question, l’employeur devrait penser à élaborer une politique afin de clarifier l’attribution des coûts. Cela lui permettra d’éviter des demandes de remboursement excessives ou, à l’inverse, d’avoir des employés inconfortables en télétravail inutilement.

En conclusion, une adaptation sera nécessaire afin qu’employeurs et employés puissent faire face aux défis du télétravail, lequel présente toutefois de nombreux avantages : meilleure conciliation travail-famille, économie des ressources et réduction de l’absentéisme, pour ne nommer que ceux-ci. Force est donc de constater que le télétravail représente une solution efficace à bien des égards, et ce même à l’extérieur d’un contexte de pandémie. Ainsi, l’employeur innovant n’aura d’autre choix que de considérer ce mode de travail à plus long terme s’il veut espérer attirer et retenir les meilleurs talents.

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