une main qui tient une guitare

Perspectives

Contestation d’une action gouvernementale au Canada

Introduction

Dans notre monde archiréglementé, l’interaction avec les agences et organes gouvernementaux est inévitable. Les décideurs administratifs municipaux, provinciaux et fédéraux disposent d’un pouvoir important en matière d’approbations, de permis et de politiques, et leurs décisions peuvent avoir des répercussions importantes sur les entreprises et les particuliers.

Toutefois, leurs pouvoirs ne sont pas sans limites. Le contrôle judiciaire est le processus par lequel les parties affectées par des décisions au Canada peuvent demander aux tribunaux d’examiner des actions gouvernementales et de déterminer si elles respectent les normes juridiques et constitutionnelles. Bien que le droit administratif au Canada soit conceptuellement semblable à celui des États-Unis, la source, la portée et l’objectif du contrôle judiciaire dans les deux pays diffèrent à plusieurs égards importants.

Contrôle judiciaire canadien : principales différences

  • Au Canada, le droit administratif s’articule principalement autour des décisions administratives, à savoir la contestation de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire légal dans un cas donné. Cela contraste avec les États-Unis, où le droit administratif s’est largement développé autour de la contestation des règles et règlements adoptés par les agences fédérales.
  • Les tribunaux tant provinciaux que fédéraux sont saisis des demandes de contrôle judiciaire. La Cour fédérale entend la plupart des requêtes des décideurs qui tirent leurs pouvoirs de lois, d’ordonnances et d’arrêtés fédéraux. Contrairement au système américain des cours de district et de circuit, le système canadien des cours fédérales comprend la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale qui entendent les affaires de compétence fédérale de toutes les provinces. Les décisions de tous les autres organes administratifs sont soumises au contrôle des tribunaux provinciaux.
  • Au Canada, le contrôle judiciaire est régi par une norme d’analyse de common law qui est en constante élaboration par les tribunaux, contrairement aux États-Unis, où l’Administrative Procedure Act régit la portée et la norme du contrôle judiciaire fédéral.
  • Il n’existe pas d’équivalent en droit canadien à l’Administrative Procedures Act des États-Unis, qui établit des normes procédurales uniformes s’appliquant aux agences fédérales en général.

Motifs de contrôle judiciaire

Au Canada, le droit administratif s’articule principalement autour des décisions administratives, à savoir la contestation de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire légal dans un cas donné. Cela contraste avec les États-Unis, où le droit administratif s’est largement développé autour de la contestation des règles et règlements adoptés par les agences fédérales. Bien que les politiques et règlements gouvernementaux soient toujours soumis au contrôle judiciaire au Canada, la plupart des affaires en droit administratif canadien portent sur l’application juste et raisonnable des lois aux individus et aux organisations, plutôt que sur les choix politiques plus larges du gouvernement en place.

De manière générale, les actions gouvernementales au Canada peuvent être contestées pour deux motifs. Le premier est l’« équité procédurale » ou la « justice naturelle », ou, comme on l’appelle aux États-Unis, le « due process ». Au Canada, la décision administrative prise par une autorité publique qui affecte les droits, les privilèges ou les intérêts d’une personne est assujettie à l’obligation d’équité, qui comprend au minimum le droit d’être entendu et le droit à un décideur impartial.

Le degré d’équité procédurale applicable varie en fonction de la nature de la décision, du cadre législatif pertinent, de l’importance de la décision pour la partie affectée, de ses attentes légitimes et des choix procéduraux du décideur. Dans certains contextes, le processus peut être informel, tandis que dans d’autres situations il peut s’apparenter à une instance judiciaire. Si le processus menant à la décision est injuste, la décision peut être annulée par un contrôle judiciaire, quel que soit le résultat.

Certaines provinces ont adopté des lois établissant des exigences procédurales pour les instances administratives, qui peuvent soit exclure les protections prévues par la common law, soit en ajouter. Cependant, il n’existe pas en droit canadien d’équivalent à l’Administrative Procedures Act des États-Unis, qui établit des normes procédurales uniformes s’appliquant à l’ensemble des agences fédérales.

Le deuxième motif de contrôle porte sur le fond de la décision, c’est-à-dire sur ce que l’organe gouvernemental a décidé et pourquoi. C’est souvent la principale raison pour laquelle une partie s’adresse au tribunal pour un contrôle judiciaire. Une contestation au fond de la décision peut reposer sur un certain nombre de motifs différents, qui sont décrits plus en détail ci-après.

Quand envisager un contrôle judiciaire?

Une fois que l’instance est terminée et que la décision est rendue, il est temps d’envisager un contrôle judiciaire. Une demande de contrôle judiciaire doit être présentée à la Cour fédérale dans les 30 jours. La plupart des tribunaux provinciaux disposent également de délais prescrits par la loi pour introduire un contrôle judiciaire. Aucun délai n’étant prescrit en Ontario, en Colombie-Britannique et au Manitoba, le contrôle judiciaire doit être effectué dans un délai raisonnable, qui dépend des circonstances. Le fait de ne pas respecter un délai ou de procéder très en retard peut entraîner le rejet de la demande.

Par où commencer?

Au Canada, tant les tribunaux provinciaux que fédéraux sont saisis des demandes de contrôle judiciaire. Contrairement au système américain des cours de district et de circuit, le système canadien des cours fédérales comprend la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale qui entendent les affaires de compétence fédérale de toutes les provinces.

La Cour fédérale entend la plupart des requêtes en contrôle provenant de décideurs qui tirent leurs pouvoirs de lois, d’ordonnances et d’arrêtés fédéraux, comme la Commission canadienne des droits de la personne, le Conseil canadien des relations industrielles, l’Office national de l’énergie et les ministres fédéraux. Toutefois, les décisions de certains tribunaux fédéraux peuvent être révisées directement par la Cour d’appel fédérale, notamment celles de la Régie de l’énergie du Canada, du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et du Tribunal de la concurrence.

Les décisions de tous les autres organes administratifs sont soumises au contrôle des tribunaux provinciaux. Chaque province a une cour supérieure dont c’est la compétence inhérente. Le pouvoir de contrôle des décisions du gouvernement par les cours supérieures est inscrit dans la Constitution. Les organes provinciaux qui sont assujettis à leur pouvoir de contrôle comprennent les commissions des valeurs mobilières, les commissions des accidents du travail et la plupart des associations professionnelles des provinces.

Qui peut demander un contrôle judiciaire?

La qualité pour agir, autrement dit l’admissibilité au contrôle judiciaire, varie selon le territoire et la législation applicable. Pour pouvoir introduire une demande de contrôle judiciaire, il faut avoir soit la « qualité pour agir dans l’intérêt privé », soit la « qualité pour agir dans l’intérêt public ».

La qualité pour agir dans l’intérêt privé s’applique à ceux qui sont individuellement affectés ou lésés par une décision gouvernementale. La partie peut être visée par la décision, comme le demandeur de permis ou la personne faisant l’objet de la procédure disciplinaire. La partie peut également subir les répercussions directes de la décision, comme une organisation directement affectée par la nouvelle politique d’un organisme de réglementation. Pour avoir la qualité pour agir dans l’intérêt privé, l’intérêt du demandeur dans l’affaire doit pouvoir être distingué de celui du grand public.

En revanche, la qualité pour agir dans l’intérêt public permet à une partie qui n’a pas d’intérêt personnel dans l’affaire de contester tout de même la décision en justice. Pour obtenir cette qualité d’agir discrétionnaire, le demandeur doit avoir un intérêt réel dans l’affaire; la question doit être justiciable; elle doit être importante à juger et le tribunal doit être convaincu qu’il n’y a pas d’autre moyen raisonnable et efficace de résoudre le problème. Bien que la qualité pour agir dans l’intérêt public soit difficile à obtenir, elle peut être utile pour contester des décisions gouvernementales qui ne seraient pas autrement soumises à un contrôle judiciaire.

Obstacles courants à surveiller

Étant donné que le contrôle judiciaire implique l’intervention du tribunal dans un processus administratif, il existe un certain nombre d’obstacles procéduraux à prendre en compte avant d’introduire une demande. Tout d’abord, ce ne sont pas toutes les décisions des organes publics qui peuvent faire l’objet d’un contrôle. Ainsi, lorsque la décision ne revêt pas un caractère suffisamment public ou ne constitue pas réellement un exercice du pouvoir, le tribunal peut refuser d’exercer sa compétence.

En outre, le contrôle judiciaire est limité aux actions des décideurs qui exercent des pouvoirs conférés par le gouvernement. Il ne peut être utilisé pour contester les décisions d’associations privées, même celles dont les décisions ont un impact public important. Bien que les associations privées puissent être tenues responsables devant les tribunaux de leurs choix et de leurs décisions en matière procédurale, ces affaires peuvent uniquement faire l’objet de recours de droit privé et doivent être évaluées d’après les principes de droit privé applicables, notamment en matière contractuelle et extracontractuelle.

En second lieu, un tribunal n’entendra généralement pas une demande de contrôle judiciaire avant que soient épuisés tous les autres recours dans le cadre du processus administratif. Il est donc peu probable de réussir à contourner une étape administrative en s’adressant directement à un tribunal. Les tribunaux sont réticents à intervenir dans une affaire administrative en instance, de sorte que les demandes de contrôle judiciaire des décisions provisoires seront probablement rejetées comme étant prématurées.

Contrôle judiciaire sur le fond : normes et motifs

Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le demandeur a la possibilité d’aborder le fond de la décision. Il existe deux normes, ou degrés d’examen, que les tribunaux canadiens appliquent aux décisions administratives. La première est la norme de la décision correcte, ce qui signifie que le tribunal procède à sa propre évaluation de la question, indépendamment de la décision de l’instance administrative. La seconde est la norme de la décision raisonnable, ce qui signifie que le tribunal doit faire preuve d’une certaine « déférence », ou de respect, à l’égard de la décision et du raisonnement du décideur. Le contrôle de l’exactitude est analogue au contrôle « de novo » en droit fédéral des États-Unis, tandis que la norme de la décision raisonnable s’apparente à l’analyse des décisions « arbitraires et capricieuses ».

Au Canada, le contrôle judiciaire est régi par une norme d’analyse de common law qui est en constante élaboration par les tribunaux, contrairement aux États-Unis, où l’Administrative Procedure Act régit la portée et la norme du contrôle judiciaire fédéral. En 2019, l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada a révisé le cadre canadien d’analyse servant à déterminer la norme de contrôle judiciaire à appliquer.

La présomption de départ est que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable. Le fait pour le législateur d’avoir délégué la prise de décision à l’organe administratif, et non aux tribunaux, montre qu’il n’a voulu aucune interférence dans les décisions, sauf si elles sont déraisonnables. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a fourni de nouvelles indications sur ce qui rend une décision « raisonnable ».

Une décision raisonnable s’appuie sur un raisonnement logique intrinsèquement cohérent; autrement dit, il faut que le décideur ait eu un raisonnement qui « se tient ». Elle doit également être raisonnable compte tenu des contraintes factuelles et juridiques, y compris du régime applicable, de la jurisprudence, des principes d’interprétation des lois, des éléments de preuve, des observations, des précédents et des conséquences de la décision sur les parties. Depuis l’arrêt Vavilov, on s’attend à ce que les parties aient plus de latitude pour faire valoir qu’une décision administrative n’a pas respecté les contraintes juridiques applicables, même lorsque la norme de contrôle exige la déférence.

La présomption de caractère raisonnable peut être réfutée dans les cas où le législateur indique que la norme de la décision correcte s’applique en raison du libellé exprès de la loi ou lorsqu’il a institué un droit d’appel. Par exemple, en Colombie-Britannique, le législateur a établi les normes de contrôle applicables dans la législation, ce qui l’emporte sur la présomption de caractère raisonnable de la common law. En outre, la loi habilitante de nombreux tribunaux administratifs au Canada prévoit la possibilité d’interjeter appel devant un tribunal. Lorsque le contrôle judiciaire est entamé sous la forme d’un appel, les normes de contrôle habituelles en matière d’appel s’appliquent, c’est-à-dire que la norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit et que la norme de l’erreur manifeste et déterminante s’applique aux questions de fait. Pour un résumé des normes et des considérations en matière d’appel, consultez l’article de BLG intitulé Bet the company appeals north of the border (en anglais seulement).

La Cour appliquera également la norme de la décision correcte lors du contrôle judiciaire à certaines catégories de questions qui soulèvent des enjeux particuliers en matière de primauté du droit, notamment les questions constitutionnelles, les questions générales de droit d’importance centrale pour le système juridique dans son ensemble et les questions relatives aux limites de compétence entre deux ou plusieurs organes administratifs. Pour ces questions, le tribunal ne s’en remet pas au décideur administratif, mais donne son propre avis sur la décision correcte. Pour une partie cherchant à faire invalider une décision négative, la norme de la décision correcte donnera une plus grande marge de manœuvre pour convaincre le tribunal que le décideur a commis une erreur; il est donc important de comprendre ces catégories et d’en tirer parti.

Pour les contestations du processus employé par le décideur, le tribunal de révision appliquera la norme de la décision correcte pour s’assurer que la norme d’équité procédurale a été respectée.

Recours

Si vous envisagez d’introduire une demande de contrôle judiciaire, réfléchissez d’abord à ce que vous espérez en tirer. En cas de succès, la décision est habituellement invalidée et renvoyée à l’organe gouvernemental pour qu’il la réexamine conformément aux orientations du tribunal. Toutefois, depuis l’arrêt Vavilov, les tribunaux disposent du pouvoir élargi de rendre un verdict dirigé dans les cas où le résultat approprié est évident et constitue une résolution rapide et efficace du problème.

Selon les circonstances, une partie peut également demander d’autres types de réparation à l’encontre du gouvernement, comme une déclaration de ses droits ou une injonction pour empêcher le comportement reproché. Des brefs de prérogative, y compris les brefs d’évocation, de prohibition et de mandamus, sont également disponibles en cas de violation du droit public par les décideurs administratifs. Il est important de noter que les recours en matière de contrôle judiciaire sont généralement discrétionnaires. Même lorsque le demandeur fait valoir des arguments sur le fond, la cour saisie du contrôle judiciaire dispose du pouvoir discrétionnaire absolu de refuser d’accorder une réparation, notamment si d’autres recours sont disponibles ou s’il y a d’autres préoccupations concernant l’adéquation et le bien-fondé du recours.

Les demandeurs doivent également garder à l’esprit les frais potentiels. La règle canadienne courante selon laquelle la partie gagnante a droit à ses dépens s’applique également aux demandes de contrôle judiciaire. Toutefois, les dépens sont soumis à l’appréciation du tribunal, et les parties peuvent demander qu’aucuns frais ne leur soient imputés dans les affaires d’intérêt public ou d’autres cas inédits.

Conclusion

Avant de contester une action gouvernementale au Canada, il est important que les non-Canadiens comprennent les règles du jeu. Les principales différences entre les constitutions canadienne et américaine – notamment en ce qui concerne le pouvoir exécutif – ont produit des cadres de droit administratif uniques à chaque pays, les tribunaux canadiens adoptant généralement une approche plus déférente à l’égard des décisions des agences et organes gouvernementaux.

Cependant, le gouvernement est toujours soumis à des contraintes claires en ce qui concerne la procédure et le fond, et le contrôle judiciaire peut être un moyen efficace de renverser des décisions et des politiques problématiques. Il est essentiel de comprendre ces droits et recours de droit administratif pour s’orienter efficacement dans le paysage réglementaire canadien.

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