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Perspectives

La nouvelle loi liée à la COVID-19 permet de retarder les procédures de recours commercial, au risque de violations des règles de l’OMC

Le 27 juillet, la Loi concernant des mesures supplémentaires liées à la COVID-19, issue du projet de loi C-20 du Canada, a obtenu la sanction royale. Outre des modifications aux mesures fiscales d’urgence, cette loi confère au gouvernement le pouvoir de prolonger (même rétroactivement) les délais des procédures en matière de droits antidumping et compensateurs au Canada, y compris les délais des décisions définitives dans les enquêtes sur le dumping ou le subventionnement. Cette nouvelle prérogative a le potentiel de retarder, voire de faire échouer les procédures en cours et nouvelles, ce qui est source d’incertitude pour les importateurs, les producteurs étrangers et les industries canadiennes. Elle pourrait aussi faire en sorte que le Canada manque à ses obligations à titre de membre de l’OMC.

La nouvelle loi en bref

La Loi concernant des mesures supplémentaires liées à la COVID-19 permet aux ministres, conseils et tribunaux fédéraux de prolonger ou de suspendre certains délais d’origine législative pour un maximum de six mois, avec la possibilité d’appliquer ces prolongations ou suspensions rétroactivement au 13 mars 2020 (même pour les délais de prescription expirés). Toutefois, aucune prolongation ne peut avoir pour effet de repousser un délai au-delà du 31 décembre 2020.

Conséquence sur les procédures prévues par la Loi sur les mesures spéciales d’importation

La Loi sur les mesures spéciales d’importation (LMSI) est l’une des lois dont les délais peuvent désormais être prolongés. La nouvelle loi permet au gouvernement de suspendre ou de prolonger par arrêté ministériel certains délais imposés par la loi à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et au Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE). Voici les délais qui peuvent faire l’objet d’une prolongation ou d’une suspension :

  • Décisions définitives (ASFC)
  • Décisions sur la portée (ASFC)
  • Décisions d’un agent désigné (ASFC)
  • Révision ou réexamen par un agent désigné ou par le président (ASFC)
  • Jugements en appel (ASFC et TCCE)
  • Avis concernant un renvoi (TCCE)
  • Enquêtes préliminaires (TCCE)
  • Réexamen relatif à l’expiration (TCCE)

Tous les délais visés s’appliquent directement à l’ASFC ou au TCCE. La nouvelle loi ne modifie pas les délais imposés aux participants de l’industrie, comme les délais accordés pour déposer des exposés écrits ou remplir des questionnaires. En revanche, l’ASFC et le TCCE auront vraisemblablement le pouvoir discrétionnaire d’ajuster les délais applicables aux participants pour tenir compte de la prolongation ou de la suspension d’une procédure.

L’ASFC peine à traiter les recours

Depuis mars, les retards dans les dossiers de droits antidumping et compensateurs et les procédures s’accumulent à l’ASFC, tant dans les enquêtes en cours – certaines ont pris beaucoup de retard – que pour l’ouverture de nouvelles enquêtes. Ce ralentissement nous porte à croire que le pouvoir conféré par la nouvelle loi sera rapidement utilisé pour prolonger les délais dans un certain nombre de cas. Cela pourrait permettre de respecter les délais prescrits par la LMSI. Toutefois, la possibilité de prolongations, donc de nouveaux retards, entraînera son lot d’incertitude, et vraisemblablement des coûts additionnels, pour les parties à une procédure en cours ou attendant l’ouverture de nouvelles procédures. De plus, il pourrait y avoir des retards consécutifs aux procédures connexes, comme les révisions des valeurs normales, dont le moment est laissé à la discrétion de l’ASFC.

Les prolongations pourraient enfreindre les obligations imposées au Canada par l’OMC

Les délais prévus par la LMSI correspondent aux obligations imposées au Canada par l’OMC en vertu de l’Accord antidumping et de l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires (Accord SMC). L’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel pour prolonger ces délais pourrait faire en sorte que le Canada manque à ses obligations émanant de l’OMC et s’expose à des contestations de la part d’autres membres de l’OMC.

Les droits provisoires, qui sont perçus entre les décisions provisoires et définitives en matière de dumping ou de subventionnement, sont particulièrement préoccupants. Ces droits sont souvent astronomiques parce qu’actuellement, l’ASFC n’utilise pas les données des exportateurs pour ses décisions provisoires. La pratique de l’ASFC consiste plutôt à « estimer » les valeurs normales et les prix à l’exportation en utilisant des informations fournies en grande partie par les plaignants de recours commerciaux nationaux avant de conclure la phase de décision définitive d’une enquête. Par conséquent, l’imposition prolongée de droits provisoires présente des risques commerciaux importants pour les exportateurs étrangers et les importateurs au Canada, car elle risque vraisemblablement d’exclure les marchandises visées du marché canadien pendant de longues périodes.

L’Accord antidumping et l’Accord SMC limitent l’imposition de droits provisoires à quatre mois au maximum. Aux termes de l’Accord SMC, cette limite est ferme. L’Accord antidumping permet de l’étendre à six ou neuf mois, mais seulement si les exportateurs y consentent ou dans des circonstances qui ne s’appliquent pas en droit canadien.

Dans une enquête en vertu de la LMSI, la durée des droits provisoires dépend du calendrier des décisions définitives sur le dumping ou le subventionnement, d’une part, et sur le préjudice, d’autre part. Ces décisions définitives doivent être rendues dans un délai de 90 et 120 jours respectivement, à compter de la date des décisions provisoires. Par conséquent, une prolongation du délai pour rendre les décisions définitives au-delà de quatre mois pourrait amener le Canada à imposer des droits provisoires en violation des obligations qui lui sont imposées par l’OMC.

Conclusion

Par nature, les procédures concernant les droits antidumping et compensateurs sont source d’incertitude et de perturbations commerciales. Les prolongations de délai permises par la Loi concernant des mesures supplémentaires liées à la COVID-19 risquent d’accentuer le phénomène et exposent le Canada à une violation de ses obligations imposées par l’OMC. Les importateurs et les exportateurs de marchandises faisant l’objet de procédures aux termes de la LMSI et les gouvernements des pays d’origine des exportateurs devraient surveiller de près tout arrêté ministériel prolongeant les délais de la LMSI.

  • Par : Jesse Goldman, Matthew Kronby, Jacob Mantle, Sam Levy