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Perspectives

Avancer en eaux troubles – Le plus haut tribunal du Canada crée des vagues pour les employeurs

Un arrêt récent de la Cour suprême du Canada alourdit le fardeau des employeurs en matière de primes prévues à certains régimes d’intéressement et auxquelles peuvent prétendre les employés à la suite de leur fin d’emploi. Les employeurs risquent de faire l’objet d’un plus grand nombre de demandes d’indemnités de ce type, même pour des périodes au cours desquelles l’employé ne travaillait pas. Ils peuvent toutefois prendre certaines mesures pour atténuer les risques liés à cette nouvelle décision.

Dans l’arrêt Matthews c. Ocean Nutrition Canada Ltd., la Cour suprême du Canada a notamment accordé à un ancien cadre supérieur une somme de plus d’un million de dollars pour compenser la perte de la prime qu’il aurait reçue au titre d’un régime d’intéressement à long terme pendant une période de préavis de 15 mois.

Contexte

Les faits essentiels de l’affaire sont les suivants :

  • À partir de 1997, l’ancien employé en question a occupé plusieurs postes de direction chez Ocean Nutrition.
  • Selon les modalités du régime d’intéressement à long terme (le RILT) d’Ocean Nutrition, un « événement déclencheur », tel que la vente de l’entreprise, entraînait le versement des paiements prévus aux employés admissibles, incluant l’ancien employé en question.
  • L’employé a quitté Ocean Nutrition en juin 2011, alléguant qu’il avait été congédié de façon déguisée. Le juge de première instance a conclu que le nouveau directeur de l’exploitation, engagé en 2007, avait effectivement mené pendant quatre ans une « campagne » marquée par la malhonnêteté et le mensonge afin d’écarter l’ancien employé en cause des activités de l’entreprise.
  • Environ 13 mois après le départ de l’ancien employé, Ocean Nutrition a été vendue; cette vente constituait un « événement déclencheur » au sens du RILT.
  • Comme l’ancien employé ne travaillait plus pour Ocean Nutrition à ce moment-là, l’employeur a soutenu qu’il n’avait droit à aucun paiement au titre du RILT.
  • L’ancien employé a soutenu le contraire, alléguant qu’il avait fait l’objet d’un congédiement déguisé et qu’il avait donc droit au paiement prévu par le RILT.

Le juge de première instance a conclu qu’Ocean Nutrition avait congédié l’employé de manière déguisée. Il a également conclu que l’employé avait droit à un préavis de 15 mois. La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a confirmé la décision concernant le congédiement déguisé et le préavis de 15 mois, mais a conclu que l’ancien employé n’avait pas droit à des dommages-intérêts pour la perte du paiement au titre du RILT. L’ancien employé a formé un pourvoi à l’encontre de cette décision devant la Cour suprême.

Cadre juridique applicable

La Cour suprême du Canada a énoncé deux questions que les tribunaux doivent se poser pour déterminer si un employé a droit à un paiement au titre d’un RILT ou d’un régime d’intéressement semblable dans de telles circonstances :

  1. L’employé aurait-il eu droit à la prime ou à l’avantage dans le cadre de sa rémunération pendant la période de préavis raisonnable?
  2. Dans l’affirmative, les modalités du contrat de travail ou du régime de primes ont-elles pour effet de supprimer ou de limiter clairement ce droit que confère la common law?

En l’espèce, comme l’événement déclencheur (c.-à-d. la vente de l’entreprise) avait eu lieu au cours de la période de préavis de 15 mois et que les modalités du RILT n’avaient pas pour effet de priver l’employé du droit de recevoir le paiement prévu, la Cour suprême a conclu que l’employé avait droit au montant en question.

La Cour a examiné le libellé du RILT, qui stipulait notamment ce qui suit :

  • L’employeur n’avait aucune obligation, aux termes de l’entente, envers l’ancien employé à moins que ce dernier ne soit un « employé à temps plein » de l’employeur à la date de l’événement déclencheur.
  • Le RILT était nul et sans effet le cas advenant que l’employé « cesse d’être un employé de [l’employeur], que ce soit parce qu’il démissionne ou parce qu’il est congédié, avec ou sans motif ».

Ces dispositions n’étaient pas suffisamment claires aux yeux de la Cour suprême.

S’agissant de la seconde question, la Cour suprême s’est également demandé s’il pouvait être opportun, dans certains cas, de déterminer si les clauses visant à limiter ou à supprimer le droit que confère la common law à un employé avaient été adéquatement portées à l’attention de l’employé. La Cour a également expliqué qu’il pouvait être approprié de se demander si la clause en litige était compatible avec les normes d’emploi minimales. Elle a toutefois estimé qu’il n’était pas nécessaire de s’attarder davantage à ces questions dans l’affaire dont elle était saisie, puisque sa décision reposait sur le libellé du RILT lui-même.

Bien que cette décision ait été rendue en Nouvelle-Écosse, province de common law, il convient de signaler que la plupart des éléments mentionnés par la Cour valent aussi pour le Québec, de sorte que cet arrêt s’applique à toutes les juridictions canadiennes.

Proposer des pistes de solution plus sûres

En réponse à cette récente décision, les employeurs devraient envisager les mesures suivantes en ce qui concerne leurs régimes d’intéressement :

  1. Revoir le libellé des dispositions relatives à la cessation d’emploi contenues dans les régimes d’intéressement, notamment en ce qui concerne les régimes de primes (bonis), les régimes d’intéressement à long terme, les actions assujetties à des restrictions, les régimes d’actions fictives (phantom stock) et les régimes d’options d’achat d’actions. Il peut s’avérer utile de renforcer les dispositions de ces régimes ayant trait à la cessation d’emploi pour tenir compte de cette nouvelle décision.
  2. Porter à l’attention des employés, idéalement avant leur entrée en fonction, l’existence de dispositions visant à limiter ou à supprimer les droits que leur confère la common law – et, dans une certaine mesure, le droit civil – de recevoir une prime ou un boni au cours de la période de préavis, tel que l’a suggéré la Cour suprême. Il appartient aux employeurs de décider, après mûre réflexion, des moyens à utiliser pour informer leurs employés de l’existence de ces dispositions.
  3. Déterminer si ces clauses sont compatibles avec les normes d’emploi minimales prévues par les lois de la juridiction applicable. La Cour suprême s’est interrogée à cet égard. Il se peut que les exigences soient différentes d’une province ou d’un territoire à l’autre, et les employeurs qui ont des employés dans plusieurs juridictions voudront aussi examiner attentivement cette question en vertu d’une telle perspective multi-juridictionnelle.

N'hésitez pas à communiquer avec votre conseiller de confiance chez BLG pour discuter de la façon dont nous pouvons aider votre entreprise à atténuer les risques liés à cette nouvelle décision.

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