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Perspectives

L’OPIC publie de nouvelles lignes directrices sur l’admissibilité à titre d’objet brevetable

Si les nouvelles sont positives pour les méthodes de diagnostic, elles le sont moins pour les inventions mises en œuvre par ordinateur

Le 3 novembre 2020, l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) a publié de nouvelles lignes directrices1 et des exemples2 pour encadrer l’évaluation de l’objet brevetable au Canada. Publiées sans avoir fait l’objet d’une consultation préalable, les lignes directrices expliquent comment seront examinées les revendications ayant trait aux inventions mises en œuvre par ordinateur, aux méthodes de diagnostic médical et aux utilisations médicales, à la lumière d’une récente décision de la Cour fédérale du Canada (CFC).

D’entrée de jeu, les lignes directrices annoncent qu’elles suivront les principes d’interprétation des revendications mis de l’avant par la Cour suprême du Canada (CSC). Cependant, elles mettent vite de côté l’interprétation téléologique pour y préférer une évaluation de ce qu’elles appellent l’ « invention réelle » – un concept qui exclut tout élément essentiel de la revendication qui, selon l’OPIC, ne coopère pas avec d’autres éléments ou n’a pas d’incidence matérielle sur le fonctionnement de l’invention. Dans certains cas, un élément essentiel pourra être exclu de l’« invention réelle » s’il est déjà utilisé d’une façon bien connue.

Les nouvelles lignes directrices poursuivent donc la tradition de l’OPIC, établie en 2009, d’évaluer autre chose que l’objet de la revendication.

Concrètement, la nouvelle approche semble être de bon augure pour ce qui est des méthodes de diagnostic médical, tandis que les inventions mises en œuvre par ordinateur continuent de faire face aux mêmes obstacles.

Contexte

En août 2020, la CFC a invalidé l’approche « problème et solution » à laquelle avait recours l’OPIC pour interpréter les revendications3. Selon cette approche, l’OPIC considérait fréquemment que les éléments d’une revendication qui ne faisaient pas partie d’une « solution » à un « problème » défini en fonction des connaissances générales courantes étaient non essentiels. Pendant de nombreuses années, cette façon de faire a entraîné le rejet de revendications portant sur des inventions mises en œuvre par ordinateur et des méthodes de diagnostic parce qu’elles ne consistaient supposément qu’en des étapes mentales désincarnées, contrairement aux exigences de l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Dans la décision Choueifaty, la CFC a jugé que l’approche d’interprétation des revendications employée par l’OPIC était incompatible avec la jurisprudence de la CSC, particulièrement en ce qui concerne le critère de caractère essentiel des éléments formant la revendication. La CFC a enjoint à l’OPIC de se conformer à la jurisprudence de la CSC. Le gouvernement n’a pas interjeté appel de cette décision. L’OPIC a donc publié de nouvelles lignes directrices à l’intention de ses examinateurs de brevets.

Nouvelles lignes directrices

Selon les nouvelles lignes directrices, il ne faut plus suivre l’approche « problème et solution », mais plutôt interpréter les revendications conformément aux principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Free World Trust c. Électro Santé Inc4 et Whirlpool Corp c. Camco Inc5.

Les lignes directrices reconnaissent l’importance de l’intention de l’inventeur et indiquent, conformément à la jurisprudence de la CSC, que « tous les éléments établis dans une revendication sont présumés être un élément essentiel, à moins qu’il n’en soit établi autrement ou que ce soit contraire au libellé employé dans la revendication ».

Les lignes directrices accordent une importance nouvelle à l’interdiction prévue par le paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets, selon lequel « [i]l ne peut être octroyé de brevet pour de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques ».

Elles introduisent également le concept d’« invention réelle », qui est distinct de l’objet de la revendication :

Un élément d’une invention revendiquée qui est identifié comme essentiel pour ériger les clôtures du monopole dans l’interprétation téléologique ne fait pas nécessairement partie de l’invention réelle. Par exemple, un élément peut être un élément essentiel d’une revendication seulement parce que le demandeur avait l’intention de limiter la portée du monopole revendiqué à moins que ce que le demandeur a réellement inventé. Un élément peut donc être un élément essentiel de la revendication parce que le demandeur a voulu qu’il soit essentiel, même s’il n’a pas d’incidence matérielle sur le fonctionnement de l’invention. Un tel élément ne ferait pas partie de l’invention réelle parce que le fait qu’il n’ait pas d’incidence matérielle sur le fonctionnement de l’invention signifie qu’il ne coopère pas avec d’autres éléments de l’invention revendiquée.

Selon les nouvelles lignes directrices, l’OPIC doit déterminer si l’« invention réelle », et non l’« invention revendiquée », répond aux critères de l’objet brevetable.

On pourrait juger que cette dichotomie cadre avec la jurisprudence dans la mesure où un titulaire de brevet n’est pas tenu de revendiquer la totalité de son invention. On ne retrouve toutefois pas le concept d’« invention réelle » dans l’interprétation téléologique avancée par la CSC et ce concept est difficilement compatible avec le principe fondamental affirmé par la CSC selon lequel la revendication définit l’invention.

L’examen minutieux de l’« invention réelle » réalisé par l’OPIC pour déterminer si elle répond aux critères de l’objet brevetable va également à l’encontre du principe énoncé par la CSC dans l’arrêt Shell Oil, selon lequel une revendication valide peut reposer sur une idée abstraite qui ne peut être brevetée :

Une idée désincarnée n’est pas brevetable en soi. Mais elle le sera s’il existe une méthode pratique de l’appliquer6.

Inventions mises en œuvre par ordinateur

Les nouvelles lignes directrices perpétuent la tradition de ne pas considérer les éléments informatiques dans l’évaluation de l’admissibilité à titre d’objet brevetable. Le fait d’interpréter de façon téléologique qu’un élément informatique est un élément essentiel d’une revendication ne suffit pas, selon les nouvelles lignes directrices, pour qu’il fasse partie de l’« invention réelle », afin de répondre aux critères du paragraphe 27(8) :

Le simple fait qu’un ordinateur soit identifié comme étant un élément essentiel d’une invention revendiquée aux fins de déterminer les clôtures du monopole dans l’interprétation téléologique ne signifie pas nécessairement que l’objet défini par la revendication est un objet brevetable et qu’il ne fait pas partie de l’interdiction prévue au paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets. Dans un tel cas, il est nécessaire de considérer si l’ordinateur coopère avec d’autres éléments de l’invention revendiquée et s’il fait donc partie d’une seule invention réelle et, s’il y a lieu, si cette invention réelle a une existence physique ou manifeste un effet ou un changement physique discernable et qui se rapporte aux réalisations manuelles ou industrielles.

L’OPIC précise que la coopération avec d’autres éléments ne sera pas suffisante non plus pour qu’un ordinateur fasse partie de l’« invention réelle » si celui-ci est utilisé d’une façon bien connue :

De plus, le fait qu’un ordinateur soit nécessaire pour mettre en pratique une idée désincarnée, un principe scientifique ou une conception théorique ne signifie pas nécessairement qu’il existe un objet brevetable, même si l’ordinateur collabore avec d’autres éléments de l’invention revendiquée. Si un ordinateur est simplement utilisé d’une façon bien connue, l’emploi de l’ordinateur ne sera pas suffisant pour rendre l’idée désincarnée, le principe scientifique ou les conceptions théoriques en un objet brevetable et en dehors de l’interdiction prévue au paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets. [nous soulignons]

Les lignes directrices continuent en outre à restreindre les éléments informatiques dans une optique de « problème » et de « solution », reproduisant ainsi une pratique prétendument abandonnée, et ce, même si elles indiquent qu’il ne faut plus suivre l’approche « problème et solution » :

Dans le cas d’une revendication visant un ordinateur programmé pour exécuter un algorithme mathématique, si l’ordinateur traite simplement l’algorithme d’une manière bien connue et que le traitement de l’algorithme sur l’ordinateur ne résout aucun problème dans le fonctionnement de l’ordinateur, l’ordinateur et l’algorithme ne font pas partie d’une seule invention réelle qui résout un problème lié aux réalisations manuelles ou industrielles. Si l’algorithme en soi est considéré comme étant l’invention, l’objet défini par la revendication n’est pas un objet brevetable ou est interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets. [nous soulignons]

Les exemples d’analyses donnés par l’OPIC démontrent que l’approche « problème et solution » est toujours bien présente pour les inventions mises en œuvre par ordinateur. Dans un des exemples, un ordinateur est considéré comme faisant partie de l’« invention réelle » parce qu’à l’aide d’un algorithme, il permet de régler un problème informatique. Toutefois, dans un autre exemple, on conclut que rien n’indique qu’une revendication qui se limite à la réception de données, au traitement de données et à l’affichage de résultats permet de régler un problème informatique. On considère plutôt que l’« invention réelle » est un algorithme, ce qui contrevient aux exigences du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.

D’un point de vue pratique, les nouvelles lignes directrices semblent maintenir le statu quo, du moins en ce qui concerne l’admissibilité des inventions mises en œuvre par ordinateur à titre d’objet brevetable.

Méthodes de diagnostic médical

Selon l’ancienne approche, l’OPIC évaluait souvent les revendications de méthode de diagnostic du point de vue soit du « problème d’acquisition de données » ou du « problème d’analyse de données », de sorte que l’on se retrouvait avec un ensemble d’éléments essentiels d’une portée moindre que ce qui faisait l’objet de la revendication. À l’opposé, selon les nouvelles lignes directrices, tous les éléments énoncés dans une revendication de méthode de diagnostic médical sont présumés essentiels.

Les nouvelles lignes directrices reconnaissent que de nombreuses méthodes de diagnostic comprennent une étape physique consistant en un test visant à déterminer la quantité d’analyste. Elles mentionnent que ces éléments peuvent collaborer avec une corrélation et, ensemble, former une seule « invention réelle » qui constitue l’objet brevetable. Voilà qui contraste, de manière positive, avec l’ancienne approche de l’OPIC, selon laquelle de telles combinaisons étaient généralement considérées comme des juxtapositions d’éléments qui ne coopèrent pas7.

Dans le même ordre d’idées, deux revendications données en exemple font la distinction entre l’étape de la mesure d’un niveau d’analyste et celle de la réception de données sur l’analyste. On reconnaît cette première étape comme une étape physique qui rend l’objet de la revendication brevetable, tandis que l’on considère que la deuxième étape ne présente aucun caractère physique.

À première vue, il semble que les nouvelles lignes directrices accepteront de reconnaître comme brevetable l’objet de revendications auxquelles l’OPIC s’opposait systématiquement par le passé.

Utilisations médicales

Les tribunaux canadiens ont établi une exclusion de la brevetabilité pour les méthodes de traitement médical8.Cette exclusion relève d’un régime d’homologation obligatoire depuis aboli, et demeure en vigueur même si la CSC a par la suite confirmé la brevetabilité des revendications portant sur des « utilisations » médicales9.

Au moins un auteur a observé que la distinction entre méthodes de traitement médical et « utilisations » médicales ne reposait sur aucun principe et portait à confusion10; la Cour d’appel fédérale a quant à elle souligné à deux occasions la nécessité d’examiner cette question en détail11, 12.

Dans ce contexte, des tribunaux de juridiction inférieure ont interprété des revendications d’« utilisation » médicale comportant des limites particulières comme constituant des méthodes de traitement médical inadmissibles. Par exemple, des revendications d’« utilisation » se limitant à la gamme de doses ont été rejetées parce qu’elles relèveraient de la compétence professionnelle ou du jugement du médecin13, 14. Une décision plus récente a toutefois accepté des revendications se limitant à une dose déterminée, car aucun choix ne doit alors être fait15.

Les nouvelles lignes directrices indiquent que la seule présence d’une gamme de doses ou d’une posologie (ou d’une période posologique) dans une revendication n’est pas, en soi, déterminante. Elles précisent qu’« il est également nécessaire de considérer si l’exercice des compétences professionnelles et du jugement d’un professionnel de la santé fait partie d’une invention réelle ».

Les exemples correspondent à la pratique antérieure. La présence d’une gamme de doses ou d’une période posologique dans une revendication est jugée restreindre, empêcher, entraver ou exiger l’exercice des compétences professionnelles et du jugement d’un professionnel de la santé. Par conséquent, une revendication d’« utilisation » qui présentera ces caractéristiques sera considérée comme une méthode de traitement médical visée par l’exclusion établie par la jurisprudence.

Résumé

Les prochains mois nous permettront d’en apprendre davantage, au fur et à mesure que les examinateurs de l’OPIC interpréteront et appliqueront les nouvelles lignes directrices.

À première vue, celles-ci semblent maintenir le statu quo pour ce qui est des revendications d’utilisation médicale et perpétuer les pratiques ardues et discutables en matière d’examen de revendications des inventions mises en œuvre par ordinateur.

Pour ce qui est des revendications de méthodes de diagnostic médical, les lignes directrices confirment que l’objet pourra être considéré comme brevetable lorsque la revendication comprend une étape présentant un caractère physique visant l’acquisition de données. Si elle est mise en pratique, cette modification sera bien accueillie par l’industrie, pour qui l’OPIC représente un obstacle de taille à l’obtention de brevets depuis au moins 2009.

Les conseillers de BLG spécialisés en propriété intellectuelle peuvent répondre à vos questions concernant l’incidence des nouvelles lignes directrices de l’OPIC sur vos activités. Nous vous invitons à communiquer avec l’une des personnes-ressources ci-dessous pour obtenir de plus amples renseignements.


1 Gouvernement du Canada, OPIC (3 novembre 2020). Objet brevetable en vertu de la Loi sur les brevets.

2 Gouvernement du Canada, OPIC (3 novembre 2020). Exemples d’analyses d’objets brevetables.

3 Choueifaty c. Canada (Procureur général) 2020 CF 837 [Choueifaty].

4 Free World Trust c. Électro Santé inc., 2000 CSC 66.

5 Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67.

6 Shell Oil Co. c. Commissaire des brevets (1982), 67 CPR (2d) 1 (CSC), p. 14. [Shell Oil]

7 Boocock, G.R.B. (12 juillet 2020). "CIPO’s Examination Guidelines for Medical Diagnostics Claims Turn Three". [en anglais]

8 Tennessee Eastman Co et al c. Commissaire des Brevets (1972), 8 CPR (2d) 202 (CSC).

9 Apotex Inc c. Wellcome Foundation Ltd 2002 CSC 77.

10 Siebrasse, N. (19 janvier 2015). "A Rule Without a Principle: Patentability of Methods of Medical Treatment". [en anglais]

11 Corporation de Soins de la Santé Hospira c. Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CFA 30, par. 53.

12 Cobalt c. Bayer, 2015 CAF 116, par. 101.

13 Axcan Pharma Inc. c. Pharmascience Inc, 2006 CF 527, 50 CPR (4th) 321.

14 Janssen Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2010 CF 1123, 88 CPR (4th) 359.

15 Merck & Co c. Pharmascience Inc., 2010 CF 510.

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