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Perspectives

Nouveau jugement de la Cour suprême en matière d’action collective: Le point sur Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin

Introduction

Le 30 octobre 2020, la Cour suprême du Canada a rendu un arrêt important dans Desjardins Cabinet de services financiers inc., et al. c. Asselin, 2020 CSC 30, confirmant la vocation de filtrage de l’étape de l’autorisation d’une action collective et son seuil peu élevé. Le plus haut tribunal du pays y réitère le cadre d’analyse adopté précédemment dans ses arrêts Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, Vivendi Canada inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1 et L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J., 2019 CSC 35.

Historique

Avant la crise économique de 2008, Ronald Asselin (« Asselin ») allègue avoir investi dans des placements à terme à capital protégé non encaissables avant l’échéance (les « Placements ») conçus par Desjardins Gestion d’actifs inc. (« Gestion ») suivant les représentations d’une conseillère de Desjardins Cabinet de Services Financiers inc. (« Cabinet») selon lesquelles les Placements ont été présentés comme sûrs. Suivant la crise financière, Asselin est informé que ceux-ci ne produiront finalement aucun rendement, quoique le capital est protégé, et qu’ils ne pourront être encaissés avant terme. Alléguant avoir été incité par Cabinet à contracter des placements ne correspondant pas aux représentations effectuées et jugeant que les Placements avaient été gérés de façon téméraire par Gestion, Asselin dépose une demande d’autorisation pour exercer une action collective afin de représenter toutes les entités détenant au cours de la période pertinente les Placements ou tout autre placement comportant une portion investie dans les Placements (le « Groupe »).

En première instance, l’honorable Claude Dallaire, j.c.s., refuse d’autoriser l’action collective, tranchant que les conditions des paragraphes 1003 a) et b) de l’ancien Code de procédure civile1, soit respectivement l’existence de questions identiques, similaires ou connexes et l’exigence que les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées, ne sont pas rencontrées.

La Cour d’appel, suivant les motifs de l’honorable Marie-France Bich, j.c.a., renverse le jugement de première instance et autorise l’action collective2. La Cour suprême n’accueillera le pourvoi qu’en partie et avalisera l’essentiel des conclusions de la Cour d’appel.

Analyse

Suivant les motifs de l’honorable Kasirer, écrivant pour la majorité3, la Cour suprême confirme l’approche souple, libérale et généreuse adoptée au stade de l’autorisation par la Cour d’appel4.

  • La Cour peut considérer le message implicite : La Cour ne peut faire excès de littéralisme et de rigorisme injustifié, bien qu’il ne s’agisse pas d’une invitation à chercher dans le néant des allégations inexistantes.
  • Le seuil de la cause d’action défendable demeure peu élevé: Le critère de la cause d’action défendable est rempli en l’espèce. Il était inopportun pour la juge de première instance de se prononcer sur le bien-fondé en droit des conclusions à la lumière des allégations de fait : seules les demandes insoutenables et frivoles seront écartées au stade de l’autorisation.
  • Une pure question de droit peut être tranchée à l’autorisation dans la mesure où le sort de l’action collective en dépend : Le juge Kasirer rappelle qu’un tribunal peut trancher une pure question de droit au stade de l’autorisation si le sort de l’action collective en dépend, mais que ce choix appartient au juge. En l’espèce, il conclut la question de l’application d’une quittance ne relève pas uniquement du droit, mais requiert plutôt une analyse factuelle qui devrait être déférée au juge du mérite.

    Au surplus, ne visant que la réclamation pour les dommages-intérêts punitifs, la question de la quittance ne fait pas obstacle aux conclusions sollicitant des dommages-intérêts compensatoires. Toutefois, en raison de l’admission d’Asselin quant au champ d’application de celle-ci, la Cour suprême circonscrit les questions communes et les conclusions relatives au paiement de dommages-intérêts punitifs à certaines réclamations seulement.
  • Distinction entre la preuve requise pour une « fausse représentation positive » et une omission : Le juge autorisateur doit analyser la preuve administrée afin d’évaluer l’existence d’un fondement suffisant avant de refuser une demande d’autorisation. Il existe une distinction entre la preuve requise afin de démontrer l’existence d’une fausse représentation positive et celle d’une omission.
  • Une seule question commune suffit. L’existence d’une seule question commune liant les membres du Groupe est suffisante, à la condition qu’elle fasse progresser le litige de manière non négligeable. En l’espèce, l’analyse des manquements généralisés et systématiques de Cabinet d’informer les membres du groupe suffit à remplir cette condition.

La juge Côté, dissidente avec les juges Moldaver et Rowe, estime que l’existence d’une quittance fait obstacle au syllogisme juridique d’Asselin5. Par ailleurs, les reproches formulés à l’encontre de Cabinet ne rencontreraient pas le critère des questions communes. Puisque la relation entre un client et un conseiller financier est hautement particularisée, une analyse individuelle de la responsabilité de Cabinet devrait être effectuée pour chaque membre. Ne trouvant pas le caractère systématique requis au stade de l’autorisation dans les allégations d’Asselin, l’honorable juge Côté aurait rejeté le recours à l’encontre de Cabinet.

Commentaire

Le message de la Cour suprême est on ne peut plus clair : la Cour nous rappelle une fois de plus qu’à l’étape de l’autorisation d’une action collective, seules les actions collectives frivoles doivent être rejetées.

Même si la majorité de la Cour suprême estime que le juge doit considérer ce qui est implicite à la lecture des allégations de la demande d’autorisation, il ne s’agit pas pour autant d’une règle nouvelle. Cela dit, on peut néanmoins envisager qu’en pratique, une telle ouverture pourrait dorénavant mener à une lecture encore plus large et permissive des allégations de la demande d’autorisation.

Par ailleurs, et quoique la jurisprudence de la Cour suprême a déjà bien établi dans Oratoire que le tribunal « peut trancher une pure question de droit au stade de l’autorisation si le sort de l’action collective projetée en dépend », elle semble maintenant avoir ajouté une réserve additionnelle, soit que le choix de trancher ou non cette question de droit « relève généralement de la discrétion du tribunal »6.

En terminant, la Cour suprême rappelle, quant au critère des questions communes, que l’action collective n’exige pas une prédominance des questions communes, mais bien l’existence d’une seule question commune faisant progresser le litige. Ainsi, une telle emphase sur ce principe pourrait rendre encore plus ardu pour la partie défenderesse de plaider que la multiplicité des questions devant être déterminées individuellement fait échec à l’autorisation d’une action collective lorsque les questions de fait et de doit communes sont insignifiantes par rapport aux questions individuelles.


1 RLRQ, c. C -25, respectivement 575 (1) et (2) du Code de procédure civile, RLRQ, c. C -25.01.

2 Asselin c. Desjardins Cabinet de services financiers inc., 2017 QCCA 1673.

3 Les juges Côté, Moldaver et Rowe sont dissidents en partie.

4 Le pourvoi est accueilli en partie aux seules fins de circonscrire les questions de fait et de droit à être traitées collectivement eu égard aux dommages punitifs.

5 La juge Côté aurait toutefois autorisé le recours contre Gestion, mais seulement pour la portion visant des dommages-intérêts compensatoires.

6 Voir la décision sous analyse, par. 27.

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