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Perspectives

La Cour suprême du Canada revisite la bonne foi en matière contractuelle

Dans le cadre de sa décision récente C.M. Callow Inc. c. Zollinger, la Cour suprême du Canada a reconnu que l’obligation d’agir de bonne foi en matière d’exécution contractuelle oblige une partie à un contrat à corriger une méprise raisonnable créée par ses propres déclarations trompeuses.

Ce qu’il faut savoir

  • La Cour a déterminé que l’obligation d’exécution honnête reconnue dans Bhasin c. Hrynew (Bhasin) empêche non seulement une partie à un contrat de mentir directement à l’autre partie, mais aussi de garder le silence pendant que l’autre partie agit en raison d’une méprise créée par les déclarations trompeuses de la première.
  • En l’espèce, un groupe d’associations condominiales a manqué à cette obligation en faisant des déclarations trompeuses, lesquelles ont mené un entrepreneur de déneigement à croire que « tout allait bien » quant au contrat, alors qu’en réalité, l’association avait déjà décidé d’exercer son droit de résilier le contrat pour des raisons de commodité.
  • La Cour a déterminé que des dommages-intérêts fondés sur l’attente étaient appropriés pour un tel manquement, en ce qu’ils revenaient à replacer l’entrepreneur dans la position où il se serait trouvé si les associations avaient corrigé sa méprise.
  • À l’avenir, les parties devront non seulement examiner le contenu de leurs communications avec leurs cocontractants, mais également le contexte de leurs communications, afin de s’assurer de ne pas prêter le flanc à des accusations de tromperie.

Contexte

Cette affaire concerne un contrat de déneigement pour un groupe de condominiums. Les associations condominiales (Baycrest) ont conclu un contrat de déneigement avec C.M. Callow Inc. (Callow).

En 2012, Baycrest conclut un contrat d’une durée de deux ans avec Callow se rapportant à des services de déneigement pour les hivers 2012-2013 et 2013-2014. Le contrat prévoit que Baycrest peut résilier le contrat pour quelque motif que ce soit, moyennant un préavis de 10 jours à Callow.

Au printemps 2013, soit après le premier des deux hivers prévus au contrat, Callow entame des négociations avec Baycrest dans l’optique de prolonger la durée du contrat. À peu près au même moment, et à l’insu de Callow, Baycrest décide de résilier le contrat, en s’appuyant sur la clause de résiliation pour des raisons de commodité.

Au cours de l’été 2013, des conversations entre Callow et Baycrest portent Callow à croire que tout va bien en ce qui concerne le contrat de déneigement et que les discussions sur le renouvellement du contrat avancent. Au cours de l’été 2013, Callow effectue des travaux d’entretien paysager « en prime » pour Baycrest, dans un geste de bonne volonté.

En septembre 2013, Baycrest donne à Callow un préavis de résiliation de 10 jours.

Callow dépose une demande pour violation de contrat. La juge de première instance tranche en faveur de Callow, au motif que Baycrest avait activement trompé Callow. Elle accorde à Callow des dommages-intérêts correspondant à la perte de profits au titre du contrat (moins les frais généraux) pour le déneigement de l’hiver 2013-2014, le coût des travaux effectués en été, ainsi que le coût de location du matériel que Callow n’aurait pas loué, selon la Cour, si ce n’était de la perspective du contrat avec Baycrest.

La Cour d’appel annule la décision de la juge de première instance au motif que les discussions portaient sur un contrat futur, et non sur l’exécution d’un contrat existant, et que l’obligation d’agir de bonne foi en matière d’exécution contractuelle dans Bhasin ne s’appliquait pas aux circonstances de l’espèce.

Il est à noter que la décision de la Cour suprême a pris plus d’un an avant d’être rendue, ce qui est plus long que la moyenne. L’appel a été entendu en même temps que l’appel dans Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District, qui demeure en délibéré.

L’obligation d’agir de bonne foi et l’obligation d’exécution honnête

La décision majoritaire de la Cour suprême, rédigée par le juge Kasirer, repose sur deux points essentiels.

En premier lieu, la Cour a déterminé que bien que le contrat semblait, à première vue, conférer à Baycrest un droit absolu de résilier le contrat moyennant un préavis de 10 jours, Baycrest pouvait uniquement exercer ce droit de manière honnête – elle ne pouvait pas « mentir ni autrement [...] induire [Callow] intentionnellement en erreur au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat » (par. 37).

Le juge Kasirer écrit que la Cour avait reconnu l’obligation d’agir de bonne foi dans le cadre de sa décision antérieure dans Bhasin, et que cette obligation imposait non seulement une obligation d’exécuter un contrat de manière honnête, mais aussi d’exercer des droits contractuels de manière honnête.

La Cour a fondé son analyse sur une analogie avec l’« abus de droit », un concept de droit civil qui permet à la Cour d’examiner la manière dont une partie exerce ses droits au titre d’un contrat. La Cour a clairement indiqué qu’il ne s’agissait pas d’une condition implicite d’un contrat à laquelle les parties pourraient se soustraire, mais bien d’un principe directeur de la bonne foi.

En l’espèce, la Cour a déterminé que la malhonnêteté de Baycrest était directement liée à son recours à la clause de résiliation, puisque les fausses déclarations et la conduite de Baycrest avaient amené Callow à croire, à tort, que Baycrest n’exercerait pas son droit contractuel de résiliation pour des raisons de commodité. Lorsque cette méprise fut répétée par Callow à un représentant de Baycrest, elle n’a pas été corrigée.

En deuxième lieu, la Cour a déterminé que la conduite de Baycrest constituait un manquement à l’obligation d’exécution honnête, laquelle est présentée, dans Bhasin, comme une « obligation générale d’honnêteté applicable à l’exécution des contrats. Ce qui signifie simplement que les parties ne doivent pas se mentir ni autrement s’induire intentionnellement en erreur au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat. » (par. 73)

Bien que la Cour ait reconnu que Baycrest n’avait pas d’obligation autonome de divulguer son intention de résilier le contrat avant le préavis de 10 jours, elle avait néanmoins l’obligation de ne pas induire Callow en erreur dans l’exercice de ce droit.

La juge de première instance a conclu que Baycrest avait fait de fausses déclarations à Callow, et qu’il était raisonnable pour Callow d’en déduire que Baycrest n’exercerait pas son droit de résilier le contrat pour des raisons de commodité. Compte tenu des circonstances, la Cour a déterminé que Baycrest avait une obligation de corriger la méprise créée par ses déclarations dès qu’elle s’est rendu compte que Callow agissait en fonction de cette méprise. Or, la Cour a souligné que cette obligation n’obligeait pas Baycrest à agir dans l’intérêt de Callow, et n’impliquait aucune obligation de nature fiduciaire.

Le juge Brown a rédigé des motifs concordants (pour lui-même et pour les juges Moldaver et Rowe), et la juge Côté était dissidente. Les motifs concordants différaient de la décision majoritaire sur la question des dommages-intérêts. La dissidence aurait conclu que la conduite de Baycrest ne s’inscrivait pas dans la catégorie de la malhonnêteté active que l’obligation d’exécution honnête établie dans Bhasin interdit.

Les dommages-intérêts appropriés

La Cour a accordé des dommages-intérêts à Callow après avoir déterminé qu’elle aurait pu s’attendre à ce que Baycrest exerce ses droits contractuels de manière conforme à l’obligation d’exécution honnête. Cela signifiait qu’il fallait accorder à Callow des dommages-intérêts qui la replaceraient dans la position où elle se serait trouvée et à laquelle elle aurait pu s’attendre si Baycrest avait corrigé la méprise qu’elle avait créée. Si Baycrest avait agi de la sorte, la juge de première instance estime que Callow aurait pu obtenir un autre contrat pour l’hiver 2013-2014, qu’elle n’aurait pas effectué de travaux « en prime » au cours de l’été et qu’elle n’aurait pas loué le matériel.

La Cour a refusé d’accorder des dommages-intérêts fondés sur la confiance de Callow, bien qu’en l’espèce, le résultat fut le même. La Cour a souligné que comme l’obligation d’exécution de bonne foi n’était pas une obligation en matière délictuelle, les dommages-intérêts habituellement accordés en matière délictuelle, soit ceux fondés sur la confiance, n’étaient pas appropriés en l’espèce. De plus, la Cour a refusé de limiter les dommages aux dommages-intérêts fondés sur la confiance, puisqu’une demande pour violation de contrat n’oblige pas le demandeur à prouver une quelconque perte.

Selon les motifs concordants du juge Brown, ce dernier n’aurait pas accordé de dommages-intérêts fondés sur l’attente, puisque les dommages-intérêts fondés sur la confiance constituaient, selon lui, le redressement approprié pour un manquement à l’obligation d’exécution honnête. Comme il est expliqué ci-dessus, l’application de l’un ou l’autre type de dommages-intérêts en l’espèce donnait lieu au même résultat.

Les points à retenir

Bien que la Cour suprême indique dans sa décision qu’elle a appliqué les conclusions antérieures tirées de Bhasin, en pratique, il est possible d’affirmer que cette décision élargit la portée de l’obligation d’exécution honnête ou, à tout le moins, qu’elle constitue un avertissement rappelant aux parties d’examiner attentivement leurs communications avec leurs cocontractants.

Manifestement, il ne suffit pas de s’abstenir de tout mensonge direct. Au contraire, une partie ne doit pas être activement trompeuse et doit corriger les méprises créées par ses tromperies actives dès qu’elles sont connues. La Cour suprême estime que la portée de cette règle n’est pas figée :

« En fin de compte, répondre à la question de savoir si une partie a “intentionnellement induit en erreur” son cocontractant est une décision éminemment factuelle et peut comprendre des mensonges, des demi-vérités, des omissions et même du silence, selon les circonstances. Je souligne que cette liste n’est pas exhaustive : elle ne fait qu’illustrer que la malhonnêteté ou la conduite trompeuse ne se limite pas aux mensonges directs. »

Ainsi, les parties doivent non seulement examiner le contenu, mais également le contexte de leurs communications avec leurs cocontractants.

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