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Fusions et acquisitions : considérations à l'ère de la COVID-19

La pandémie de COVID-19 et son incidence sur les opérations

Les nouvelles encourageantes concernant la vaccination nous permettent d’espérer que le pire de la pandémie de COVID-19 est derrière nous et que les pouvoirs publics assoupliront les restrictions sanitaires en 2021, même si nous devrons manifestement vivre avec ces dernières pendant encore des mois. Les pandémies et autres crises imprévues sont une réalité avec laquelle les entreprises devront désormais composer, notamment dans le contexte de fusions et acquisitions (FA).

Cet article décrit brièvement quelques considérations liées à la pandémie de COVID-19 dont il faut tenir compte dans les opérations de fusion et acquisition.

Les articles précédents de cette série sur les FA ont exploré en détail les considérations pour les conseils d’administration des acquéreurs et les sociétés cibles, les considérations pour les sociétés en difficulté ainsi que les enjeux d’évaluation touchant les transactions pendant la pandémie de COVID-19. Le présent article aborde des considérations générales dans le contexte d’une opération.

Vérification diligente

Outre les complications pratiques associées à la réalisation d’une vérification diligente en pleine pandémie en raison des restrictions sur les déplacements et des mesures de distanciation (visites restreintes, difficulté à inspecter physiquement les stocks et à rencontrer le personnel clé en personne, etc.), la pandémie a également révélé au grand jour les vulnérabilités de bon nombre d’entreprises. Par conséquent, certains aspects de la vérification diligente ont gagné en importance et de nouveaux problèmes ont émergé. Voici quelques aspects qui nécessitent une diligence accrue :

  1. Risques liés à la chaîne d’approvisionnement et de distribution – Tout acquéreur doit absolument connaître dans les moindres détails la chaîne d’approvisionnement et de distribution de la société cible, ainsi que ses vulnérabilités éventuelles. Il doit notamment déterminer si la cible dépend de fournisseurs difficiles à remplacer et déterminer les conséquences de la pandémie sur ces fournisseurs. Si un fournisseur est essentiel à la capacité d’exploitation de la cible et qu’il ne peut être remplacé aisément, un contrôle de ce fournisseur et de la vérification effectuée par la cible au moment de la conclusion du contrat d’approvisionnement est une avenue à considérer.
  2. Couverture d’assurance – Les parties doivent examiner tous les contrats d’assurance pour comprendre la portée des exclusions et limites de couverture relatives aux pandémies, et passer en revue tant les réclamations présentées à l’endroit de la cible que les demandes d’indemnisation soumises par la cible à son assureur par suite de la pandémie de COVID-19.
  3. Questions relatives à l’emploi – En plus de la traditionnelle vérification diligente en matière de travail et d’emploi, l’acquéreur doit comprendre les mesures que la cible a prises pour atténuer les conséquences de la COVID-19 sur ses effectifs, comme les protocoles de sécurité adoptés pour protéger le personnel et la procédure qui s’applique lorsqu’un employé contracte le virus. Si la cible a licencié des employés ou instauré des programmes d’austérité (comme une réduction générale des salaires ou des heures de travail) à cause de la pandémie, ces initiatives doivent être analysées pour confirmer leur conformité au droit du travail et évaluer leur incidence sur les régimes d’avantages sociaux et les assurances. Enfin, il faut aussi déterminer quels employés sont tenus d’être physiquement présents au travail et quels employés peuvent travailler à distance. À mesure que les consignes de télétravail obligatoire seront levées, il sera de plus en plus important pour l’acquéreur de comprendre les politiques de retour au travail de la cible, et comment elle compte réintégrer ses effectifs sur place.
  4. Prêts et subventions du gouvernement – Pendant la pandémie, plusieurs entreprises ont reçu une aide gouvernementale, comme la Subvention salariale d’urgence du Canada et les prêts sans intérêt du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes. L’acquéreur doit connaître les prêts et subventions reçus ou demandés et confirmer que la cible a respecté les conditions de l’aide gouvernementale et l’a correctement comptabilisée. De plus, l’effet de l’aide gouvernementale reçue sur la réputation d’une entreprise n’est pas à négliger. À titre d’exemple, des entités qui ont racheté des actions ou versé des dividendes à leurs actionnaires ou des primes à leurs dirigeants après avoir touché de subventions gouvernementales ont récemment fait l’objet d’une couverture médiatique négative. Même si ces actions sont techniquement légales, elles peuvent donner lieu à une mauvaise presse indésirable.
  5. Contrats importants – Tous les contrats doivent faire l’objet d’une vérification à la lumière des interruptions provoquées par la pandémie. Si des parties n’ont pas pu honorer leurs obligations aux termes de contrats importants, il faut déterminer si la cible a accepté de modifier les dispositions ou d’y renoncer, et si ces modifications ou renonciations risquent de nuire à la capacité de la cible de faire appliquer les contrats. L’acquéreur doit passer en revue les déclarations et garanties pour évaluer si les circonstances actuelles sont susceptibles de justifier la résiliation ou d’entraîner la rupture d’un contrat important.
  6. Systèmes informatiques et sécurité des données – La vérification des systèmes informatiques de la cible revêt une importance accrue, car le travail à distance rend les sociétés de plus en plus dépendantes de leurs plateformes numériques. Les systèmes informatiques ont été mis à rude épreuve, ce qui les a souvent rendus vulnérables. Une vérification attentive des processus de sécurité et de confidentialité des données et des mesures de contrôle connexes doit donc être entreprise.
  7. Clauses restrictives – L’acquéreur doit bien comprendre les clauses restrictives de la cible pour détecter tout risque de non-conformité, notamment en raison de la perturbation des activités pendant la pandémie. Plusieurs conventions de crédit comprennent des clauses financières fondées sur le calcul du BAIIA qui pourraient donner lieu à la réintégration de certains frais inhabituels, extraordinaires ou non récurrents engagés en lien avec la pandémie de COVID-19. Ces clauses doivent être évaluées pour déterminer si cette réintégration est plafonnée et si certains frais risquent de devenir inadmissibles s’ils deviennent des coûts d’exploitation permanents après la pandémie. Même dans les cas où l’acquéreur assume la dette de la cible et met en place ses propres facilités de crédit, une bonne compréhension des conséquences de la COVID-19 sur les clauses restrictives de la cible peut faciliter la conclusion de nouvelles ententes bancaires.

En raison de l’évolution rapide de la situation et de l’incertitude générée par la pandémie, on recommande aussi à l’acquéreur d’évaluer si une vérification diligente finale est requise avant la clôture, selon la durée de la période intermédiaire entre la signature de l’entente définitive et la clôture. Le cas échéant, cette étape devrait être intégrée aux modalités de la convention d’achat.

Rédaction et négociation de la convention d’acquisition

Bien que la COVID-19 n’ait pas changé la structure fondamentale de la rédaction et de la négociation d’une convention d’acquisition dans le cadre d’une opération de FA, la pandémie a eu un effet sur quelques clauses précises.

Considérations liées au prix d’achat

Clause d’indexation sur les bénéfices futurs

Comme il a été mentionné dans un autre article de cette série, intitulé Valuation issues and nil Premium transactions during the COVID-19 pandemic, l’incertitude engendrée par la pandémie de COVID-19 a exacerbé les tensions existantes entre les acquéreurs et les vendeurs en ce qui concerne l’évaluation. Une clause d’indexation sur les bénéfices futurs est une avenue possible. Les parties à une opération de FA évitent généralement ce type de clause en raison de sa complexité et du risque élevé qu’elle donne lieu à un litige après la clôture, mais elle peut s’avérer utile pour combler les écarts d’évaluation, surtout lorsqu’il est difficile de prévoir la rentabilité future en raison d’un climat incertain (comme celui provoqué par la pandémie).

Ajustement du prix d’achat

Les clauses d’ajustement du prix d’achat doivent être soigneusement analysées dans le contexte de la pandémie. Des exemples de calcul convenus avant la signature peuvent par exemple aider les deux parties à comprendre l’incidence de certaines dépenses ou rentrées de fonds sur le prix d’achat. La prudence est toutefois de mise pour les vendeurs : la négociation d’un seuil de réduction du prix d’achat est une avenue à explorer, car les restrictions imposées par les pouvoirs publics dans le contexte de la pandémie risquent d’avoir de sérieuses répercussions sur le mécanisme d’ajustement.

Clauses EDI et CDI

Dès le début de la pandémie, une question s’est immédiatement posée, à savoir si la COVID-19 et les mesures gouvernementales connexes pouvaient être considérées comme des effets défavorables importants (EDI) ou des changements défavorables importants (CDI) et, dans l’affirmative, si les parties à une opération en attente de clôture étaient autorisées à résilier l’entente en invoquant une clause d’EDI ou de CDI. Un tribunal de l’Ontario s’est récemment prononcé sur la possibilité d’invoquer une clause d’EDI ou de CDI pour mettre fin à une entente, de façon générale et dans le contexte de la pandémie de COVID-19. L’analyse de BLG de la décision rendue dans l’affaire Fairstone Financial Holdings Inc. c. Duo Bank of Canada se trouve ici.

Nonobstant l’affaire Fairstone, les entreprises doivent porter une attention particulière aux clauses d’EDI ou de CDI puisque leur interprétation dépend dans tous les cas des faits spécifiques et du libellé de la définition d’un EDI ou CDI et des exclusions connexes.

Pour accroître le degré de certitude, il est possible d’inclure dans l’entente des conditions de clôture visant précisément certains risques attribuables à la COVID-19 ou autres plutôt que de compter sur une clause d’EDI ou de CDI. Si une condition de clôture particulière n’est pas respectée, l’acquéreur aura ainsi l’option de se désister en évitant le lourd fardeau de prouver qu’un EDI ou un CDI est survenu.

Engagements relatifs à la période intermédiaire

L’incertitude et le contexte instable provoqués par la pandémie de COVID-19 ont créé des risques supplémentaires pour les deux parties pendant la période intermédiaire, soit entre la signature de l’entente définitive et la clôture de l’opération. Par conséquent, les parties doivent tenter de limiter la durée de cette période. Un autre risque se pose : si les parties ont recours à une assurance déclarations et garanties, tout manquement connu en sera sans doute exclu.

Les parties sont encouragées à examiner attentivement les engagements relatifs à la période intermédiaire dans l’entente définitive pour s’assurer que :

  • la période intermédiaire est la plus courte possible;
  • les clauses pourront être respectées malgré la pandémie en cours;
  • les engagements donnent à la cible la souplesse nécessaire pour réagir sans tarder à l’évolution rapide de la situation.

Les parties doivent plus particulièrement se pencher sur les clauses relatives à l’accès et à l’obligation d’exercer les activités dans le cours normal.

Accès et inspection

Dans une entente typique, les vendeurs doivent autoriser les acquéreurs à accéder à leurs locaux et à leur personnel. Dans le contexte actuel, les parties doivent clairement établir que cette obligation est assujettie aux restrictions et limites imposées par les autorités publiques pour contenir la pandémie. Les vendeurs peuvent par exemple préciser qu’il ne sera pas nécessairement possible de rencontrer les employés en personne, mais que le recours à des conférences en ligne ou téléphoniques est acceptable.

Cours normal des affaires

Les conventions d’acquisition restreignent généralement la capacité de la cible de prendre des mesures qui ne s’inscrivent pas dans le cours normal des affaires pendant la période intermédiaire, sauf avec l’autorisation de l’acquéreur. Cette obligation risque toutefois d’empêcher la cible d’intervenir rapidement pour protéger ses activités, son personnel ou ses clients dans le cadre de la pandémie ou d’une autre crise imprévue. En plus de veiller à maintenir une bonne communication entre les parties, le vendeur pourrait négocier des exceptions lui permettant de réagir unilatéralement à l’évolution de la pandémie. L’acquéreur a intérêt à ce que de telles exceptions soient aussi restrictives que possible et à obliger le vendeur à l’aviser immédiatement de toute mesure prise.

Une autre solution serait de modifier la définition de l’expression « cours normal » pour y inclure toute mesure prise ou omise attribuable à la COVID-19, pourvu qu’une telle mesure soit raisonnable et nécessaire pour protéger la santé et la sécurité des employés, des clients et de tiers, ou encore les activités et la situation financière de la cible.

Le jugement rendu dans l’affaire Fairstone mentionnée plus haut portait également sur le manquement présumé à l’obligation de la cible d’exercer ses activités dans le cours normal pendant la période intermédiaire. La Cour a rejeté cette allégation, affirmant que lorsqu’une entreprise prend des mesures prudentes en réaction à une contraction économique, conformément aux comportements antérieurs et sans imposer d’obligations à long terme à l’acquéreur, ces mesures ne sont pas réputées être en dehors du cours normal.

Considérations relatives à la clôture et questions connexes

Voici d’autres considérations que les parties doivent évaluer dans le cadre d’une transaction de FA :

  1. Financement – Un acquéreur qui doit obtenir des fonds pour réaliser l’acquisition pourrait faire face à des défis supplémentaires en raison de la volatilité des marchés des actions et des titres de créance, et avoir de la difficulté à obtenir un financement bancaire classique. Depuis le début du deuxième semestre de 2020, le problème du financement a toutefois commencé à se résorber et la faiblesse actuelle des taux d’intérêt pourrait rendre les acquisitions avec effet de levier plus attrayantes pour les acquéreurs. Si un acquéreur tente de négocier une clause de clôture conditionnelle à l’obtention d’un financement, le vendeur devrait s’y opposer. Pour en arriver à un compromis, des indemnités de rupture inversées à payer au vendeur si l’opération échoue en raison d’une incapacité de trouver du financement peuvent être négociées pour couvrir les frais et coûts d’occasion perdue du vendeur. Les deux parties doivent s’assurer que les conditions dans toute lettre d’engagement de financement sont les plus limitées possible et qu’elles reflètent les conditions de la convention d’achat définitive.
  2. Approbation de tiers et date butoir – Même si la plupart des entreprises et des gouvernements ont réussi à bien fonctionner à distance, la pandémie a ralenti le processus d’obtention des approbations de tiers. Les parties doivent donc tenir compte de ces retards en établissant une date butoir suffisamment éloignée ou se donner une certaine marge de manœuvre au cas où les approbations de tiers ne seraient pas reçues à temps.
  3. Mécanismes physiques de clôture – Lorsque les mesures de distanciation empêchent les parties de conclure l’opération en personne, la clôture doit se faire virtuellement. Dans ce cas, les documents sont signés de façon électronique et mettre à profit des outils, auxquels BLG a recours, qui prennent en charge toutes les étapes d’une clôture virtuelle.
  4. Indemnisation – Les parties voudront passer en revue les dispositions d’indemnisation dans l’optique du contexte actuel de la COVID-19 pour déterminer si les indemnités standards en cas de violation d’engagements ou de garanties sont suffisantes. Si la pandémie entraîne des risques particuliers, il est judicieux de prévoir une indemnisation contre les pertes éventuelles découlant de ces risques. À titre d’exemple, si la vérification diligente révèle qu’un client important pourrait résilier son contrat avec la cible en raison de manquements attribuables à la pandémie, l’acquéreur pourrait demander au vendeur de l’indemniser contre les pertes en cas de résiliation. Les acquéreurs devraient aussi explorer la possibilité d’entiercer une partie du prix d’achat pour que des fonds soient accessibles en cas de réclamation, et évaluer la pertinence de relever le plafond si un risque susceptible d’entraîner une perte substantielle est repéré. Pour contrer les dispositions d’indemnisation, les vendeurs peuvent ajouter à toute tactique dilatoire des exclusions visant les réclamations ou les pertes résultant de préjudices connus causés par la COVID-19.

Conclusion

Bien que la pandémie de COVID-19 ait bouleversé tous les aspects de la vie, y compris les FA, les activités dans ce segment demeurent vigoureuses, comme en témoigne le volume de transactions à la hausse depuis la deuxième moitié de 2020. Dans un monde post-pandémie, réaliser une opération de FA pose des défis inédits et BLG est bien placé pour accompagner ses clients sur le chemin de la réussite.

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