une main qui tient une guitare

Perspectives

Pétrole et gaz au Canada : 20 décisions judiciaires marquantes en 2020

Partie 1

Sans aucun doute, la pandémie de COVID-19 et ses conséquences majeures durables au Canada et dans le monde entier sont ce qui a le plus retenu l’attention l’an dernier.

Cette période a entraîné d’importantes transformations dans le secteur canadien de l’énergie, et bon nombre des changements et des nouveautés de 2020 continueront d’influer sur les tendances, les décisions d’affaires et la croissance future de ce secteur en 2021.

Nous avons dégagé les 20 principaux changements et décisions survenus au sein du secteur en 2020 dans quatre domaines clés : décisions judiciaires, décisions réglementaires, changements à la législation et aux politiques ainsi que transactions et tendances.

Dans cet article, nous analysons les cinq principales décisions judiciaires rendues au cours de l’année et la façon dont elles pourraient toucher votre entreprise en 2021.

Les cinq principales décisions judiciaires de 2020

Notre liste des cinq principales décisions judiciaires s’ouvre sur une affaire portée devant la fort occupée Cour suprême du Canada (CSC), qui a été appelée à se pencher sur les compétences fédérales et provinciales et la portée du pouvoir du gouvernement fédéral en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement. Ainsi, en janvier 2020, la CSC a rendu une décision sur la compétence de la province de la Colombie-Britannique quant à la réglementation du pétrole lourd d’un oléoduc interprovincial. Cette décision a été suivie, en septembre, par des contestations de la taxe sur le carbone de la part de la Saskatchewan, de l’Ontario et de l’Alberta. Plus tard, la Cour d’appel fédérale a donné raison à TMX dans l’un de ses nombreux litiges, tandis que les tribunaux de l’Alberta ont été submergés de procédures d’insolvabilité et de litiges concernant les redevances dérogatoires brutes et les contrats financiers admissibles, en raison de la conjoncture économique difficile qui a durement touché les entreprises pétrolières et gazières. Finalement, la CSC a terminé l’année par une décision, rendue en décembre 2020, dans laquelle elle a établi des lignes directrices supplémentaires et formulé des mises en garde à l’intention des parties contractantes quant à la portée de l’obligation d’agir avec honnêteté dans le cadre de l’exécution d’un contrat.

1. La Cour suprême du Canada est saisie de la contestation de la taxe sur le carbone dans Renvoi relatif à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (Saskatchewan, Ontario et Alberta)1

En 2019 et en 2020, la Cour d’appel de la Saskatchewan (CAS), la Cour d’appel de l’Ontario (CAO) et la Cour d’appel de l’Alberta (CAA) ont rendu leurs décisions sur le renvoi concernant la constitutionnalité de la loi fédérale intitulée Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (la Loi). Ces décisions ont été portées en appel devant la Cour suprême du Canada (CSC), qui doit maintenant trancher la question fondamentale de la division des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux en ce qui concerne la réglementation des émissions de gaz à effet de serre (GES).

La CAO et la CAS ont jugé, à la majorité, que la Loi représentait un exercice légitime des pouvoirs fédéraux selon la théorie de l’intérêt national justifiant l’exercice de la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement (POBG), au motif qu’en l’absence d’efforts concertés d’une province en matière d’émissions de GES, l’exercice législatif au Canada serait fragmenté et ultimement inefficace2. La minorité dissidente dans ces deux décisions, laissant présager certains aspects de la décision subséquente de la CAA, était d’avis que [traduction] « même s’il existe bon nombre de questions dont les provinces, individuellement, ne peuvent pas traiter, cela n’en fait pas pour autant des questions d’intérêt national ».

Dans sa décision rendue en février 2020, la CAA a soutenu les opinions dissidentes des décisions majoritaires de la CAS et de la CAO en déclarant que la POBG représente un « cheval de Troie » inconstitutionnel qui [traduction] « modifierait pour toujours l’équilibre constitutionnel » entre les provinces et les territoires3. À cet égard, l’opinion de la majorité des juges de la CAA différait de celle de la CAS et de la CAO de la façon suivante : (1) en interprétant plus strictement la portée de son application et en déclarant [traduction] « qu’elle ne doit pas être une grande porte d’entrée permettant de s’immiscer dans chaque champ de compétence provinciale »4; et (2) en soutenant que le critère pour déterminer s’il y a incapacité provinciale n’est pas les conséquences de l’inaction provinciale, mais bien la compétence de mettre en œuvre un mécanisme de contestation ». Par conséquent, le fait d’assujettir la Loi à la POBG permettrait à cette compétence [traduction] « d’empiéter substantiellement sur la compétence exclusive des provinces à l’égard des biens et des droits civils5 ».

La CSC a entendu les pourvois en appel en septembre 2020 et pris la cause en délibéré. Auparavant, il y avait deux positions différentes concernant le but de la Loi et sa portée appropriée. La décision de la CAA représente une forte articulation des pouvoirs provinciaux, donnant une interprétation large à la Loi et une portée limitée à la POBG. Par opposition, les décisions de la CAO et de la CAS donnent une interprétation restrictive à la Loi et une large portée à la POBG. Si la CSC adopte le raisonnement de la CAA, elle limitera substantiellement la capacité du gouvernement fédéral à réglementer, au titre de la POBG, les émissions de GES ainsi que, potentiellement, d’autres questions de nature environnementale. Une analyse plus détaillée de la décision de la CAA se trouve ici [en anglais seulement].

La décision de la CSC aura des incidences à long terme importantes sur les projets énergétiques au Canada ainsi que sur d’autres instances en cours, y compris le renvoi à la CAA portant sur la constitutionnalité de la récente Loi sur l’évaluation d’impact. Bien que les parties aient déposé leurs documents au dossier de la CAA en 2020, aucune date d’audience n’a encore été fixée.

2. La Cour suprême du Canada examine la portée de la compétence provinciale dans le Renvoi relatif à l’Environmental Management Act de la Colombie-Britannique.

Le 16 janvier 2020, la CSC a débouté la Colombie-Britannique de sa demande visant à réglementer le transport de pétrole lourd dans la province. Fait rare, les neuf juges ont rendu une décision orale séance tenante, dans laquelle ils ont souscrit aux motifs la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (CACB).

Parmi les nombreux éléments de réponse au projet d’agrandissement du réseau de TransMountain (le projet TMX), qui augmentera considérablement le volume de pétrole lourd acheminé de l’Alberta aux côtes de la Colombie-Britannique, figurent les modifications à l’Environmental Management Act (la EMA) proposées par le gouvernement de la Colombie-Britannique en avril 2018. Ces modifications auraient interdit la possession, la charge ou le contrôle de pétrole lourd dans la province, sauf avec un permis provincial. Le premier ministre de la province, John Horgan, a renvoyé l’affaire devant la CACB à la suite de la controverse politique que les modifications proposées ont suscitée et des préoccupations concernant leur constitutionnalité qui ont été soulevées.

La CACB a décidé à l’unanimité que ces modifications débordaient du champ de compétence provincial, car elles visent principalement une entreprise fédérale interprovinciale et que la [traduction] « position par défaut » représente une « menace immédiate à la viabilité d’une entreprise fédérale ». La CACB a également souligné le fait que [traduction] « des régimes de droit différents s’appliquent à un oléoduc interprovincial chaque fois que celui-ci franchit une frontière » ne serait pas commode, car cela perturberait l’exploitation de l’oléoduc si celui-ci devait être « conforme à des conditions différentes régissant son parcours, sa construction, le transport, les mesures de sécurité, la prévention des déversements et les conséquences d’un rejet accidentel d’hydrocarbures ». Le Parlement s’est vu attribuer une compétence exclusive en la matière [traduction] «  permettant qu’un seul législateur voie aux intérêts et aux préoccupations qui ne sont pas exclusifs aux provinces prises individuellement ».

En confirmant la décision de la CACB, la CSC est venue préciser la compétence législative à l’égard des entreprises fédérales, et cette décision va dans le sens des arguments des promoteurs du projet. Elle est de plus d’accord avec l’opinion de la CACB selon laquelle les modifications proposées devraient être écartées au stade de l’évaluation de la validité de l’analyse du partage des pouvoirs, concluant d’emblée que les provinces n’ont pas l’autorité constitutionnelle pour régir les pipelines interprovinciaux, sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours à des doctrines complexes, y compris la primauté fédérale, pour parvenir à une telle conclusion. Cet arrêt a potentiellement supprimé un obstacle juridique majeur pour le projet TMX et, par le fait même, pour d’autres projets fédéraux. Voir le blogue initial de BLG portant sur cette décision ici (en anglais seulement)6.

3. La Cour d’appel fédérale rend une décision favorable au projet TMX dans l’affaire Première Nation Coldwater c. Canada (Procureur général)7.

Le 4 février 2020, dans une autre décision relative au projet TMX, la Cour d’appel fédérale (CAF) a rejeté la requête en révision judiciaire présentée par plusieurs parties qui contestaient la deuxième approbation du projet TMX. La demande de révision portait sur la question de savoir si la Couronne avait remédié adéquatement aux lacunes de ses consultations auprès de Premières Nations avant de donner cette seconde approbation.

En novembre 2016, le Canada a approuvé le projet TMX, considérant qu’il était dans l’intérêt public. Toutefois, plusieurs parties ont contesté cette décision devant les tribunaux au motif que la Couronne ne se serait pas acquittée adéquatement de son obligation de consultation. Dans une décision rendue en 2018, la CAF avait jugé que l’évaluation environnementale menée dans le cadre du projet TMX était déficiente et que la Couronne avait failli à son obligation de consultation8. Le Canada a pris l’initiative de réexaminer la décision de la CAF et poursuivi les consultations en question auprès des groupes autochtones, à l’issue desquelles le Canada a approuvé pour une seconde fois le projet TMX, le 22 juin 2019. Par la suite, plusieurs parties ont déposé une requête en révision judiciaire invoquant les mêmes motifs que ceux qu’ils avaient présentés dans le cadre de leur pourvoi en appel devant la Cour fédérale.

La CAF avait rejeté l’appel au motif qu’il n’était pas fondé et qu’il n’y avait pas lieu pour elle d’intervenir à l’égard de la seconde autorisation du projet TMX, qu’elle jugeait raisonnable. Dans cet arrêt, la CAF avait fait le commentaire suivant :

« Les observations des demanderesses reviennent à dire qu’on ne peut approuver le projet avant que celles‑ci ne soient satisfaites des réponses à toutes leurs préoccupations. Si nous acceptions cette thèse, cela reviendrait à dire que la consultation ne prendrait jamais fin, qu’on n’approuverait jamais le projet, et que les demanderesses auraient en fait un droit de veto9. »

Grande victoire pour le projet TMX, qui a fait l’objet de contestations en justice pendant bon nombre d’années, cette décision a été confirmée par la CSC, qui a rejeté l’appel en juillet 2020. Le gouvernement fédéral a investi beaucoup de temps et d’argent dans le projet TMX, qui est maintenant à la phase de la construction. Cet arrêt vient également préciser l’obligation de consultation de la Couronne en déclarant que les groupes autochtones ne disposent pas d’un droit de veto à l’égard de projets de mise en valeur. Pour plus de détails, voir nos commentaires antérieurs, ici (en anglais seulement).

4. Les tribunaux provinciaux se prononcent sur les questions d’insolvabilité et de protection des créanciers

Les producteurs d’énergie continuant à faire face à des difficultés, notamment une baisse des prix et des contraintes sur le marché, l’insolvabilité et la protection des créanciers tiennent toujours nos tribunaux occupés. Ainsi, ces derniers sont encore aux prises avec les conséquences de l’arrêt de la CSC dans l’affaire Redwater. Les tribunaux de l’Alberta se sont surtout intéressés à l’interaction entre la législation sur l’insolvabilité et l’industrie de l’énergie, notamment pour ce qui touche les redevances dérogatoires brutes, les directives de paiements irrévocables et les contrats financiers admissibles.

a) La Cour supérieure de la Colombie-Britannique suggère de donner une vaste superpriorité aux obligations environnementales

British Columbia Attorney General (BC) v Quinsam Coal Corporation10 (Quinsam) est la plus récente décision rendue en 2020 à traiter de la question de savoir si la priorité devait être donnée aux obligations environnementales d’un débiteur plutôt qu’aux créances garanties dans la foulée de l’arrêt phare Redwater11 rendu par la CSC en 2019. Sans trancher la question, Quinsam suggère que Redwater a possiblement établi une règle d’application générale en droit canadien de l’insolvabilité, selon laquelle le principe du « pollueur payeur » crée effectivement une « superpriorité » pour les obligations environnementales prescrites par la loi par rapport aux autres créances, y compris celles des créanciers garantis, lesquelles deviendraient subalternes.

La question en litige dans Quinsam était de déterminer si la province de la Colombie-Britannique avait droit au produit de la vente des stocks de charbon d’une société minière en faillite. Se fondant sur l’arrêt Redwater, la province prétendait que le produit de la vente devait servir à financer les obligations environnementales imposées par la Mines Act, qui n’avaient pas été remplies par le débiteur, en priorité sur les créances d’un créancier garanti. Le créancier garanti alléguait pour sa part que l’arrêt Redwater ne devrait pas être interprété aussi largement, et qu’il n’était en fait même pas pertinent, car le cadre législatif applicable dans chacune des causes était différent.

Comme la clôture de la vente des stocks de charbon a eu lieu avant la faillite, le tribunal a jugé que le droit du créancier au produit de la vente s’était cristallisé en premier, de sorte que le produit n’a jamais fait partie de l’actif du failli. Ainsi, il n’a pas été nécessaire de déterminer la question de priorité dans le cadre de la procédure de faillite et, par conséquent, le tribunal ne s’est pas prononcé à cet égard.

Le jugement portait sur d’autres questions en litige, mais le tribunal a longuement commenté l’arrêt Redwater. Dans son analyse, il suggère que le raisonnement dans Redwater sera vraisemblablement interprété largement et étendu à d’autres contextes réglementaires que celui de la mise en valeur du pétrole et du gaz en Alberta. Outre les implications immédiates pour le domaine en pleine ébullition du droit de l’insolvabilité, Quinsam est un avertissement pour les prêteurs aux entreprises exerçant leurs activités dans les secteurs visés par d’ importantes obligations environnementales. Ces créanciers doivent être proactifs dans l’élaboration de leur portefeuille de garanties et surveiller le rendement des entreprises afin de gérer les risques.

Pour une analyse plus détaillée de Quinsam, veuillez vous reporter à notre article antérieur à ce sujet, ici (en anglais seulement). Une analyse de Redwater se trouve ici (également en anglais). De plus, BLG a pris connaissance de la récente décision de la Cour d’appel de l’Alberta, PriceWaterhouse Coopers Inc. v. Perpetual Energy Inc., ici (en anglais seulement), qui a invalidé l’interprétation et l’application de Redwater par le tribunal de première instance. Nous continuerons de suivre l’évolution de cette question et publierons nos commentaires sous peu.

b) La Cour du banc de la Reine de l’Alberta précise la priorité des réclamations de biens en cas d’insolvabilité d’une entreprise du secteur du pétrole et du gaz

Trois décisions importantes ont été rendues à la suite des procédures de faillite d’Accel Energy Canada Limited et d’Accel Canada Holdings Limited (collectivement, Accel)12, relativement aux redevances dérogatoires brutes (RDB) et aux directives de paiements irrévocables (DPI). Dans les trois causes, la Cour du banc de la Reine a déterminé qu’aucune priorité n’avait été consentie. Les RDB et les DPI n’accordaient, respectivement, que des droits contractuels ordinaires, de sorte que les réclamations des créanciers étaient des créances non garanties. Toutefois, puisque ces décisions reposaient sur des questions de fait, il se pourrait qu’il en soit décidé autrement dans d’autres circonstances.

En ce qui concerne la première décision, Re Accel Canada Holdings Limited13, la Cour a dû déterminer si des RDB consenties avant l’introduction de procédures de faillite étaient des « intérêts fonciers ». Le cas échéant, la Cour serait limitée dans sa capacité d’ordonner la dévolution des RDB de manière à les dissocier des biens d’Accel dans le cadre d’une vente approuvée par le tribunal. Sans dévolution, les RDB demeureraient en vigueur après la faillite, lieraient un tiers acquéreur et jouiraient dans les faits d’un statut super-prioritaire. Accel avait cédé un des contrats de RDB dans le cadre d’une opération d’achat d’actif au lieu d’acquitter le montant total du prix d’achat en espèces. L’autre contrat de RDB avait été vendu par Accel à un fonds d’investissement en contrepartie d’espèces. Le tribunal a considéré l’intention objective des parties au moment de conclure les contrats de RDB afin de déterminer s’ils constituaient des « intérêts fonciers ». Puisque les RDB étaient susceptibles d’extinction au moment où Accel les aurait pleinement acquittées, la Cour a conclu qu’elles étaient simplement des [traduction] « contrats de paiement » (c.-à-d., des sûretés), et non des intérêts fonciers, donc susceptibles d’être dévolus14.

Les deux procédures subséquentes, Re Accel Canada Holdings Limited15, et Re Accel Energy Canada Limited16, concernent des demandes déposées par des créanciers relativement à des DPI données par Accel avant l’introduction des procédures d’insolvabilité. Plus précisément, Accel avait donné des DPI à son négociant en pétrole et gaz qui « l’autorisait et lui donnait irrévocablement la directive » de verser une partie du produit net d’Accel directement à chacun des créanciers. Après l’introduction de la procédure d’insolvabilité contre Accel, les créanciers ont demandé à être déclarés titulaires de droits exclusifs à l’égard du produit de la production, au titre des DPI. Ils alléguaient que les DPI créaient une fiducie ou constituaient une « cession » de biens par Accel. Le tribunal a rejeté les deux arguments, déclarant qu’il n’y avait aucune intention manifeste de créer une fiducie17 ou de céder les droits de propriété sur le produit de la production au créancier concerné18. Bref, les DPI ne constituaient que de « simples contrats commerciaux » et non des priorités ou des droits de propriété.

Prises dans leur ensemble, ces décisions démontrent une réticence de la part des tribunaux de l’Alberta à permettre aux créanciers de déposer des réclamations à l’égard de biens dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité. Les tribunaux ont ainsi favorisé l’équité et la prévisibilité pour tous les créanciers. Toutefois, ces trois décisions du tribunal précisent que l’issue est tributaire du contrat en cause et des faits propres à chaque cas, laissant ainsi la porte ouverte à ce que les RDB ou les DPI mènent à des réclamations relatives aux biens (et, par conséquent, des réclamations prioritaires) si les faits le justifient.

c) Les tribunaux de l’Alberta examinent le traitement réservé aux contrats financiers admissibles en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC)

Dans le cadre de la procédure de Bellatrix Exploration Ltd en vertu de la LACC, la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a eu l’occasion, à deux reprises, d’examiner le traitement des contrats financiers admissibles (CFA) à l’aune des lois canadiennes sur l’insolvabilité. Les contrats financiers sont d’usage courant dans le commerce des marchandises, y compris dans le secteur de l’énergie, et les CFA bénéficient de protections en vertu de la LACC, notamment l’interdiction pour le débiteur de les résilier. Dans Re Bellatrix Exploration Ltd19 (Bellatrix 1), la Cour du banc de la Reine a dû déterminer si un contrat financier devait stipuler un prix fixe (par opposition au prix du disponible typiquement utilisé établi en fonction du cours) pour constituer un CFA. Puis, dans Re Bellatrix Exploration Ltd20 (Bellatrix 2), le tribunal a examiné la portée de la protection offerte aux CFA en vertu de la loi. À la lumière de ces décisions, il appert que les sociétés seraient avisées de revoir leur évaluation du risque associé aux contrats financiers.

En ce qui concerne Bellatrix 1, BP Canada Energy Group ULC (BP) avait conclu un contrat d’achat de gaz naturel auprès de Bellatrix à un prix établi en fonction des prix du disponible pour le gaz naturel au cours du mois de livraison pertinent. En cas de défaut, BP pouvait résilier les contrats et opérer compensation des sommes dues, au cours du marché à la date du défaut. Bellatrix a voulu résilier les contrats, mais BP s’y est opposée au motif que ces contrats étaient des CFA. Bellatrix a affirmé qu’ils n’étaient pas des contrats financiers, car les prix n’étaient pas fixes, ceux-ci fluctuant en fonction des prix du disponible sur le marché. La Cour n’a pas retenu les arguments de Bellatrix et a déterminé que les contrats étaient bel et bien des CFA, car ils avaient été conclus à des fins financières importantes, dont la diversification des prix, et que la stipulation du prix du disponible constituait un « prix défini » ou un « mécanisme de fixation des prix » pour les contrats à terme standardisés sur marchandises. Le tribunal a souligné que les exceptions relatives aux CFA doivent être interprétées restrictivement, car l’intention du législateur était d’accorder une protection à ces contrats, et la LACC ne peut faire en sorte de modifier les contrats qui répondent manifestement à la définition des CFA, comme c’est le cas en l’espèce. Bellatrix a obtenu l’autorisation d’en appeler, de sorte que nous attendons de voir si la Cour d’appel donnera d’autres précisions sur la nature des CFA.

Pour ce qui est de Bellatrix 2, cette affaire traite de la priorité des créances de premier rang des prêteurs, par rapport à celle de BP, sur le produit de la vente de l’actif du débiteur. Ayant remis son avis de résiliation des contrats en litige, Bellatrix a cessé d’exécuter ses obligations aux termes des contrats et cessé de livrer du gaz naturel à BP. Plutôt que de résilier les contrats, BP a demandé à Bellatrix de recommencer à exécuter ses obligations. Après la vente de la quasi-totalité de l’actif de Bellatrix (les contrats en litige en ayant été exclus), les créanciers de premier rang de Bellatrix on fait valoir leur droit de priorité sur le produit de la vente ainsi que sur les sommes détenues en fidéicommis constituées du dernier paiement effectué par BP aux termes des contrats. BP réclamait le remboursement de son paiement et une distribution du produit de la vente au titre de sa réclamation en dommages-intérêts pour rupture de contrat, en priorité par rapport aux créanciers garantis. Le tribunal a jugé que l’interdiction de résilier un CFA prévue dans la LACC ne comportait pas l’obligation pour la partie insolvable d’exécuter ses obligations aux termes du contrat. Toutefois, une contrepartie solvable pouvait résilier un CFA de manière à cristalliser sa perte en tant que créance non garantie et à opérer compensation, si le contrat le permettait. De plus, les contreparties solvables n’ont pas le droit de contraindre un débiteur à respecter ses obligations aux termes d’un contrat si celui-ci n’est pas rentable, et en l’absence d’une sûreté, leurs réclamations en dommages-intérêts seraient des créances non garanties. Par conséquent, les prêteurs qui détenaient une sûreté de premier rang avaient un droit prioritaire sur le produit de la vente et les fonds détenus en fidéicommis.

Ainsi, les contreparties solvables ne peuvent manifestement pas se fonder sur l’exception interdisant au débiteur de réfuter un CFA afin d’exiger de celui-ci qu’il continue d’exécuter ses obligations. Elles doivent plutôt résilier le CFA pour pouvoir opérer compensation, tout en tenant compte des dispositions relatives à la compensation portant sur le moment de la livraison de la marchandise et du paiement lorsque des parties contractantes sont insolvables ou près de l’être.

5. La Cour suprême du Canada précise la portée de l’obligation d’agir avec honnêteté dans le cadre de l’exécution d’un contrat

En 2014, dans l’affaire Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, la CSC a confirmé le très important principe de la bonne foi et introduit l’obligation d’agir avec honnêteté dans le cadre de l’exécution d’un contrat en droit contractuel canadien. En 2020, dans l’arrêt C. M. Callow Inc c. Zollinger, elle à nouveau s’est penchée sur cette obligation et l’a précisée21. Le tribunal a confirmé que non seulement les parties doivent exercer leurs droits aux termes d’un contrat avec honnêteté, mais qu’une partie peut être tenue de corriger une méprise sur son intention avant de pouvoir exercer ses droits. L’arrêt Callow crée de l’incertitude en matière de contrats commerciaux, car le respect des obligations contractuelles expresses est susceptible de ne pas prémunir les parties contre des réclamations fondées sur la violation de l’obligation d’exécution honnête d’un contrat.

Le litige dans cette cause est né d’un contrat d’entretien hivernal intervenu entre le demandeur, Callow, et un certain nombre d’associations condominiales. Le contrat prévoyait que les associations pouvaient résilier le contrat avant l’échéance, moyennant un préavis de 10 jours. Au printemps 2013, elles décident de résilier le contrat hivernal pour la prochaine saison. Elles choisissent de ne pas informer Callow de leur décision afin de ne pas compromettre l’exécution des travaux estivaux. Callow, croyant que le contrat hivernal serait vraisemblablement renouvelé, a effectué gratuitement des travaux supplémentaires qui, souhaitait-il, inciteraient les associations à renouveler le contrat. Les associations ont donné leur préavis de résiliation en septembre 2013.

La question en litige que la CSC a été appelée à trancher était celle de savoir si le fait d’exercer un droit contractuel unilatéral pouvait constituer une violation de l’obligation d’exécution honnête d’un contrat même si la partie a exercé ce droit conformément aux dispositions expresses du contrat. La CSC a jugé que les associations avaient agi malhonnêtement et confirmé que l’exercice d’un droit contractuel est assujetti à l’obligation d’exécution honnête, ce qui signifie que « les parties ne doivent pas se mentir ni autrement s’induire intentionnellement en erreur au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat ». Bien qu’il ne faille pas l’assimiler à une obligation positive de divulgation, l’obligation de corriger une fausse impression créée par les gestes d’une partie contractante incombe à celle-ci. Ainsi, tant une communication active qu’une omission de communication ou une non-divulgation peuvent être trompeuses et contrevenir à l’obligation d’exécution honnête d’un contrat.

Du point de vue pratique, les parties à un contrat commercial doivent agir avec grande prudence avant d’exercer ce qui leur paraît être un droit inconditionnel, afin que les circonstances entourant les rapports entre les parties ne donnent pas lieu à une violation de l’obligation d’exécution honnête d’un contrat. Nous nous attendons à ce que d’autres décisions judiciaires viennent préciser la portée de cette décision ainsi que les critères factuels requis pour mener à une telle décision.


1 Renvoi relatif à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (Saskatchewan, Ontario et Alberta), 2019 CAON 544 [« Renvoi de la CAO »]; 2019 CASK 40 [« Renvoi de la CAS »]; 2020 CAAB 74 [« Renvoi de la CAA »]

2 Renvoi de la CAS, supra aux paragr. 153 à 158.

3 Renvoi de la CAA, supra au paragr. 22.

4 Renvoi de la CAA, supra aux paragr. 166 à 182.

5 Renvoi de la CAA, supra au paragr. 333.

6 Les avocats de BLG Michael Marion, Alan Ross et Brett Carlson ont conseillé l’Association canadienne de pipelines d’énergie, intervenante dans cette procédure.

7 Première Nation Coldwater c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 34 (« Coldwater »)

8 Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 153

9 Coldwater, supra au paragr. 86

10 2020 BCSC 640

11 2019 CSC 5

12 En novembre 2019, Accel a entamé une procédure de réorganisation en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. En juin 2020, cette procédure a été convertie en mise sous séquestre en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Pour un contexte général, voir les dossiers no 1901-16581 et 2001-06776 de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta.

13 2020 ABQB 182

14 2020 ABQB 182, paragr. 93

15 2020 ABQB 204

16 2020 ABQB 652

17 Accel Canada Holdings Limited, Re, 2020 ABQB 204, paragr. 42 à 51.

18 Accel Energy Canada Limited, Re, 2020 ABQB 652, paragr. 28 à 31.

19 [2020] AWLD 1317 (« Bellatrix 1 ») et

20 2020 ABQB 809 (« Bellatrix 2 »)

21 2020 CSC 45

Key Contacts

  • Rick Williams

    Rick Williams

    Associé et Chef national des affaires, Droit de l’environnement, droit municipal, expropriation et réglementation

    Vancouver
    [email protected]
    604.640.4074

    Rick Williams

    Associé et Chef national des affaires, Droit de l’environnement, droit municipal, expropriation et réglementation

    Services
    • Environnement
    • Énergie – Électricité
    • Énergie renouvelable
    • Droit autochtone
    • Litiges

    • Voir la biographie
    Voir la biographie