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Perspectives

Des propos orduriers : la Cour suprême se penche sur le rôle de la bonne foi en matière de discrétion contractuelle

Dans sa récente décision Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District, la Cour suprême du Canada a reconnu l’obligation des parties à un contrat d’exercer de bonne foi les pouvoirs discrétionnaires qu’elles en tirent. Autrement dit, elles doivent agir d’une façon qui soit raisonnable eu égard au marché qu’elles ont conclu.

Ce qu’il faut savoir

  • La Cour a statué que le principe directeur de bonne foi exige de quiconque se voit octroyer un pouvoir discrétionnaire aux termes d’un contrat qu’il use de sa discrétion raisonnablement eu égard à la convention qu’il a conclue avec son cocontractant.
  • Elle a par ailleurs jugé que cette obligation incombe aux parties indépendamment de leur rapport contractuel, ce qui en interdit l’exclusion par contrat.
  • Il s’ensuit que les parties à un contrat ne peuvent y prévoir de pouvoir discrétionnaire absolu et sans entrave.
  • La Cour a entendu cette cause en même temps que le pourvoi CM Callow Inc. c. Zollinger, dans lequel elle examinait l’obligation d’exécution honnête. Ensemble, ces décisions sont venues enrichir et approfondir le droit canadien de la bonne foi contractuelle.
  • Pour leur part, les motifs concurrents ont en outre traité de la norme de contrôle applicable à une sentence arbitrale.

Contexte

L’affaire porte sur un contrat entre Wastech Services Ltd. et la Ville de Vancouver visant l’enlèvement de déchets et leur transport vers trois sites d’enfouissement – deux situés à proximité de la ville, et l’autre, plus en périphérie. Wastech touchait une prime lorsqu’elle transportait des déchets jusqu’au site d’enfouissement plus éloigné, mais le contrat donnait à Vancouver l’entière discrétion d’établir la proportion des déchets devant être acheminés à chaque site.

Âprement négocié, le contrat comportait diverses clauses tenant compte de l’incidence de ce pouvoir discrétionnaire sur les marges de profit de Wastech. Néanmoins, une clause conférait à Vancouver la discrétion exclusive de répartir les déchets entre les trois sites d’enfouissement. Cette discrétion ne se trouvait en rien limitée par la clause, qui ne garantissait par ailleurs aucun profit à Wastech.

Le devoir de bonne foi et la discrétion contractuelle

La Cour suprême a soutenu que le devoir d’exercer de bonne foi un pouvoir discrétionnaire contractuel est bien établi en common law. Comme l’a établi la Cour dans Bhasin c. Hrynew, ce devoir suppose que le titulaire de la discrétion en use raisonnablement. Mais la principale conclusion de l’arrêt – celle qui a fait avancer le droit – est que pour être raisonnable, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire contractuel doit être conforme aux fins auxquelles celui-ci a été octroyé dans le contrat. Cela étant, la Cour a clairement rejeté l’idée d’une obligation pseudo-fiduciaire : la partie qui jouit de la discrétion n’a pas pour autant à mettre les intérêts de son cocontractant au premier plan.

En d’autres termes, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire contractuel est déraisonnable s’il est incompatible avec le but de cette discrétion. En conclure autant requiert une analyse fortement appuyée sur le contexte dont l’issue dépend en fin de compte d’un exercice d’interprétation contractuelle visant à établir l’intention des parties. Toutefois, la Cour a indiqué que la gamme des issues raisonnables sera relativement plus petite si la question faisant l’objet de la discrétion se prête à une mesure objective, et relativement plus grande dans le cas contraire.

Dans Wastech, la Cour s’est penchée sur la structure commerciale du marché des parties pour établir ce qui était raisonnable dans les circonstances. À l’égard du pouvoir discrétionnaire en question – soit celui de répartir les déchets entre les différents sites d’enfouissement –, elle a conclu qu’il avait été conféré à Vancouver de sorte à lui donner la flexibilité nécessaire pour effectuer cette répartition efficacement, en réduisant au minimum les coûts d’exploitation. Or quelques contrecoups qu’a pu subir la marge de profit de Wastech, la Cour a statué que les parties n’avaient pas eu l’intention de calibrer la discrétion de Vancouver en fonction de cette éventualité. Cette conclusion allait de soi : le contrat tenait compte de l’effet de certains facteurs sur les profits de Wastech, mais pas de celui de la répartition des déchets entre les sites.

La Cour a de plus conclu à la majorité que le devoir d’exercer raisonnablement un pouvoir discrétionnaire contractuel ne saurait se réduire à une modalité contractuelle implicite, mais constitue plutôt une doctrine générale du droit des contrats. Cela implique qu’il est impossible de l’exclure contractuellement.

Enfin, la Cour a rejeté l’idée voulant que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ne soit déraisonnable que dans la mesure où il « annule substantiellement » l’objectif ou l’avantage négocié par l’autre partie au contrat. Au contraire, le fait que cet exercice entraîne la perte partielle ou entière des bénéfices anticipés d’une partie – comme en l’espèce – n’indique pas en soi son caractère déraisonnable pourvu qu’il demeure dans les limites que lui fixe le contrat.

Les points à retenir

On peut dire que Wastech approfondit le principe directeur de la bonne foi contractuelle davantage que CM Callow, en ce que la Cour suprême y établit qu’une discrétion contractuelle ne peut s’exercer de façon purement potestative et sans entrave. Cela étant, le principe garde une certaine prévisibilité dans la mesure où cet aspect de bonne foi prend source dans le contrat, ce qui donne aux parties une norme concrète et accessible par laquelle juger leurs actions.

Le développement antérieur par la Cour suprême de la doctrine de la bonne foi contractuelle laisse en outre présager que le droit pourrait évoluer jusqu’au point où les parties à un contrat se devront les unes les autres des obligations de bonne foi semblables à celles que seuls les cocontractants les plus étroitement liés se doivent actuellement.

Les premières situations dans lesquelles la Cour a reconnu l’existence d’un devoir de bonne foi sont les relations étroites caractéristiques du droit du travail et du droit des franchises. Puis, l’arrêt Bhasin est venu faire de la bonne foi un principe directeur général du droit des contrats. Enfin, dans les arrêts CM Callow et Wastech, la Cour a usé de ce principe directeur pour appliquer certains aspects des devoirs de bonne foi s’imposant dans le cadre de relations étroites – le devoir d’agir honnêtement et d’exercer les pouvoirs discrétionnaires de façon raisonnable – à tout contrat.

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