une main qui tient une guitare

Perspectives

Le projet de loi 96 : Qu’en est-il pour le secteur du travail?

Le 13 mai 2021, le gouvernement du Québec a introduit le projet de loi 96, proposant l’adoption de la Loi sur la langue officielle et la langue commune, le français.

Tel que souligné dans notre billet « Cours 101 : notre revue du projet de loi 96 sur la langue française », la loi aurait des impacts significatifs dans le domaine des relations du travail, et ce, notamment parce que :

  • Les entreprises de compétence fédérale seraient appelées à se conformer aux dispositions de la Charte de la langue française (la « Charte »);
  • Les entreprises de 25 à 49 employés seraient dorénavant assujetties aux mêmes règles que les entreprises de 50 à 99 employés en matière de francisation;
  • L’exigence de la connaissance d’une autre langue que le français à l’embauche serait encadrée de manière potentiellement plus stricte.

Voici un survol détaillé des principaux changements annoncés par le gouvernement.

Articles 46 et 46.1

L’un des changements proposés les plus importants est celui prévu pour l’article 46 de la Charte.

Actuellement, la Charte prévoit qu’un employeur ne peut exiger, dans le processus d’accession à un emploi ou à un poste, la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une autre langue que le français, « à moins que l’accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance ».

Cette exigence a été interprétée de façon relativement souple par les tribunaux jusqu’à présent.

Or, le projet de loi 96 propose d’amender la Charte afin que cette interdiction d’exiger la connaissance d’une autre langue que le français à moins que l’accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance s’applique non seulement au moment de l’embauche, mais aussi à l’égard du maintien en poste, le nouvel article 46 se lisant ainsi :

Il est interdit à un employeur d’exiger d’une personne, pour qu’elle puisse rester en poste ou y accéder, notamment par recrutement, embauche, mutation ou promotion, la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que la langue officielle, à moins que l’accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance.

De plus, le nouvel article 46 proposé par le projet de loi est complété par l’ajout de l’article 46.1, lequel prévoit que les trois conditions suivantes doivent être respectées pour que l’employeur puisse soutenir qu’il peut exiger la connaissance d’une autre langue que le français:

  1. Il doit avoir évalué les besoins linguistiques réels associés aux tâches à accomplir;
  2. Il doit s’être assuré que les connaissances linguistiques déjà exigées des autres membres du personnel étaient insuffisantes pour l’accomplissement de ces tâches;
  3. Il doit avoir restreint le plus possible le nombre de postes auxquels se rattachent des tâches dont l’accomplissement nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une autre langue que la langue officielle. ».

A priori, les éléments 2 et 3 de cette liste sont susceptibles de requérir, dans certaines industries, une révision des pratiques établies, et ce, compte tenu du fait qu’elles s’écartent de la jurisprudence établie jusqu’à présent.

Le programme et le certificat de francisation

La Charte exige que les entreprises veillent à l’élaboration d’un programme de francisation au sein de leur organisation. Dépendamment de la taille de l’entreprise, ce programme doit être mis en place via un comité de francisation institué par l’employeur ou sur demande de l’Office québécois de la langue française (« l’Office ») suite à une analyse insatisfaisante par cette dernière de la situation linguistique de l’entreprise suivant son inscription à l’Office.

Le programme de francisation a pour but la généralisation de l’utilisation du français à tous les niveaux de l’entreprise par, entre autres, la connaissance du français à l’intérieur de l’organisation, chez les dirigeants et membres du conseil d’administration, dans les outils de travail utilisés par l’entreprise, dans les politiques d’embauche et de promotion ainsi que dans les technologies de l’information, etc.

Lorsque l’entreprise a terminé l’application de son programme de francisation et que l’Office estime que l’utilisation du français est généralisée à tous les niveaux de l’entreprise, il lui délivre un certificat de francisation.

Tel que mentionné dans l’introduction, le projet de loi viserait désormais à étendre l’exigence d’inscription à l’Office aux entreprises de plus de 25 employés, les soumettant d’une part à l’analyse de leur situation linguistique et d’autre part, à l’obligation d’élaborer un programme de francisation dans l’éventualité où l’Office considérerait son analyse insatisfaisante. 

Cet élargissement de la portée des obligations relatives à l’obtention d’un certificat de francisation apparaît d’autant plus important à la lumière des nouvelles conséquences prévues par le projet de loi en cas de défaut par les entreprises de s’y soumettre. En effet, il est important de souligner que ces conséquences étaient antérieurement plutôt limitées et que le Législateur souhaite maintenant les accroître.

Les nouvelles conséquences en cas de défaut

Outre ces considérations, le projet de loi vient par ailleurs renforcir l’usage du français à titre de langue des affaires et du travail en empêchant l’Administration de conclure des contrats avec des entreprises ou de leur octroyer une subvention en cas de non-respect par ces dernières de certaines obligations prévues dans la loi.

Enfin, afin d’assurer le respect de la Charte, l’Office de la langue française sera dorénavant doté de pouvoirs plus importants. Selon les nouvelles dispositions proposées par le projet de loi, suite à une inspection de l’Office, l’employeur aura un délai d’au moins 15 jours pour s’y conformer ou cesser d’y contrevenir, à défaut de quoi l’Office pourra rendre une ordonnance à l’encontre de l’employeur à cet effet.

De plus, afin de faire respecter cette ordonnance, l’Office pourra demander à la Cour supérieure de prononcer une injonction pour en forcer le respect.

Les employeurs devront réagir rapidement à toute enquête et avis de l’Office, afin d’éviter l’émission d’une telle ordonnance à leur égard.

Conclusion

S’il est adopté, le projet de loi 96 nécessitera une révision des pratiques (et des exigences) linguistiques dans plusieurs entreprises et, bien que les amendements introduits par le projet de loi ne soient pas une révolution, des ajustements seront requis dans bien des cas.

Non seulement les entreprises devront porter une attention accrue à leur processus de francisation, mais elles devront généralement adopter un processus d’analyse (et de documentation) plus strict avant d’exiger la connaissance d’une langue autre que le français aux fins d’un poste donné. De façon générale, les impacts pratiques de ce processus plus rigoureux ne devraient pas significativement altérer votre capacité à recruter le personnel requis. Toutefois, le potentiel de litiges sera accru et une attention additionnelle devra être portée à la question au cours des prochaines années.

Forte d’une expérience de plus de 40 ans en cette matière, notre équipe de Droit du travail et de l’emploi est prête à vous assister lorsque vous entreprendrez votre révision de vos politiques en matière linguistique. N’hésitez pas à communiquer avec nous au besoin.

Principaux contacts