une main qui tient une guitare

Perspectives

La Cour d’appel se prononce sur la renonciation implicite au secret professionnel au stade de l’autorisation

Introduction

Le 12 mai 2021, la Cour d'appel se prononce sur la renonciation au secret professionnel à l'étape de l'autorisation d'une action collective dans E.L. c. Procureur général du Québec, 2021 QCCA 782.

Le 2 octobre 2019, E. L. (« la Requérante ») a déposé une demande en autorisation d’exercer une action collective et d’être désignée représentante au nom des enfants qui auraient été détenus, isolés ou victimes de mauvais traitements pendant des séjours en centre d’accueil. L’action collective proposée vise le Procureur général du Québec et dix-huit établissements de santé. Quant à sa cause d’action personnelle, la Requérante allègue avoir été placée en isolement cellulaire de façon récurrente pour des raisons triviales, avoir été contrainte de prendre certains médicaments et avoir été témoin d’actes à caractère sexuel commis à l’endroit d’autres enfants. Elle réclame des dommages compensatoires et punitifs.

Le jugement de première instance

Les Établissements de Santé ont déposé une demande visant la communication des dossiers de santé de la Requérante liés aux allégations de la Demande d’autorisation touchant son état de santé. Ces derniers prévoyaient solliciter par la suite la permission de les déposer comme preuve appropriée conformément à l’article 574 C.p.c.

La juge Chantal Tremblay, j.c. s. a accueilli la demande des Établissements de Santé et a ordonné la communication de certains dossiers de santé qu’elle a jugés pertinents et nécessaires au stade de l’audition sur l’autorisation. De plus, elle a permis leur dépôt à titre de preuve appropriée avant même qu’ils soient communiqués et sans qu’elle en ait préalablement pris connaissance.

Analyse

Les juges Schrager, Hamilton et Baudouin se prononcent sur les deux seules questions soulevées par cet appel, à savoir :

  1. si la Requérante avait renoncé au secret professionnel lié à certains de ses dossiers de santé et
  2. si la juge de première instance était en droit de permettre par anticipation le dépôt des dossiers de santé à être communiqués aux fins de l’audition sur autorisation.

Se prononçant pour la toute première fois sur cette question inédite, la Cour d’appel conclut :

  • Renonciation implicite au secret professionnel au stade de l’autorisation : Il est possible pour une partie requérante de renoncer implicitement au secret professionnel de certains dossiers médicaux et pharmaceutiques, de surcroit confidentiels, lorsque celle-ci fait de son état de santé un élément central du litige. Le stade procédural de l’autorisation ne fait pas obstacle à ce principe. Ainsi, les conclusions du jugement de première instance ordonnant la communication de certains dossiers de santé de la Requérante est maintenue. 
  • La preuve appropriée ne peut être permise par anticipation : il y a toutefois désaccord avec le jugement de première instance qui avait autorisé par anticipation le dépôt des dossiers médicaux à être communiqués à titre de preuve appropriée. Les dossiers de santé communiqués devront plutôt, dans un deuxième temps, faire l’objet d’une demande en vertu de l’article 574 C.p.c. si les défenderesses souhaitent les produire en tout ou en partie.

Commentaire

Il s’agit du premier arrêt rendu par la Cour d’appel confirmant que l’étape procédurale qu’est l’autorisation de l’action collective n’écarte pas les principes établis en ce qui concerne la renonciation au secret professionnel. Ce constat est cohérent avec le principe que le requérant qui propose d’exercer une action collective et de solliciter le statut de représentant doit démontrer une cause d’action personnelle défendable et confirme que la partie défenderesse dispose de certains moyens, quoique limités, afin d’y répondre.

Bien que la Cour d’appel ait reconnu que le requérant peut se voir dans l’obligation de communiquer certains dossiers de santé au stade de l’autorisation, il n’en résulte toutefois pas une « recherche à l’aveuglette » pour la partie défenderesse. En effet, le processus s’effectue en deux étapes suivant lesquelles le juge gestionnaire est appelé à intervenir si la demande de documents est contestée, soit :

  • Ordonnance de communication des documents : Il revient à la partie défenderesse d’établir la pertinence apparente de dossiers de santé précis au regard de la demande d’autorisation. Évidemment, la requérante pourra faire ses représentations si elle s’oppose à la production de ces documents ;
  • Demande de preuve appropriée : Si elle souhaite déposer certains dossiers de santé ainsi obtenus à titre de preuve appropriée, la partie défenderesse devra faire une demande en vertu de l’article 574 C.p.c. et démontrer leur caractère essentiel et indispensable pour les fins de l’analyse des critères de l’article 575 C.p.c.

Principaux contacts