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Perspectives

Rémunération des étudiants : la Cour d’appel confirme une pratique discriminatoire

Dans le récent arrêt Aluminerie de Bécancour inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudry et autres), 2021 QCCA 989, la Cour d’appel du Québec rejette l’appel logé par l’employeur, Aluminerie de Bécancour inc. (l’« Employeur »), et confirme que la distinction salariale existante entre les étudiants et les autres employés constitue de la discrimination sur la base de la leur condition sociale. Cette décision encadre fortement les modalités en vertu desquelles un employeur peut offrir à certains types d’employés une rémunération distincte.

Bref rappel des faits

En janvier 1995, l’Employeur décide de diminuer la rémunération de ses travailleurs étudiants à 85 % du plus bas indice salarial de la convention collective, alléguant, notamment, que ces derniers effectuaient moins de tâches que les autres employés. La distinction salariale entre les étudiants et les travailleurs occasionnels/réguliers apparaissait clairement dans les conventions collectives en vigueur chez l’Employeur, et était maintenue ou majorée lors des renouvellements.

Considérant cette disparité de traitement, une plainte a été déposée auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (la « CDPDJ ») par le syndicat représentant les étudiants. La CDPDJ a retenu la plainte et a entrepris un recours en dommages-intérêts devant le Tribunal des droits de la personne (le « Tribunal »), réclamant le versement de dommages-intérêts et de dommages moraux.

Décision du Tribunal

Dans son recours, la CDPDJ alléguait que l’Employeur contrevenait à l’article 19 de la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte») en accordant un salaire inférieur aux étudiants pour un travail équivalant à celui effectué par les autres employés. La CDPDJ soutenait que cette décision discriminait les étudiants sur la base de leur âge et de leur « condition sociale », ce qui constitue des motifs prohibés par l’article 10 de la Charte. Pour sa part, l’Employeur soutenait notamment que sa décision était justifiée considérant les tâches et la formation distinctes des étudiants par rapport aux autres salariés. Il prétendait également que la distinction salariale n’était pas fondée sur l’un des motifs de discrimination prévus à la Charte.

Ultimement, le Tribunal s’est rallié aux prétentions de la CDPDJ et a conclu à la présence d’une distinction fondée sur des motifs interdits compromettant le droit des étudiants de recevoir un traitement égal pour un travail équivalent. Cette distinction salariale n’était pas justifiée et constituait donc une mesure discriminatoire. 

Le Tribunal a, par conséquent, ordonné à l’Employeur de payer une indemnité pour dommages matériels et moraux à chaque étudiant visé par la mesure, en plus d’ordonner la modification des clauses illicites de la convention collective. Insatisfait de cette conclusion, l’Employeur a fait appel de cette décision.

Décision de la Cour d’appel du Québec

Malgré les prétentions de l’Employeur, la Cour d’appel détermine que le Tribunal n’a pas erré en concluant que le statut d’étudiant est inclus dans la notion de « condition sociale » et que la distinction salariale en vigueur était discriminatoire.

1. La preuve de discrimination prima facie (à première vue)

En premier lieu, la Cour d’appel précise le fardeau de preuve requis lors d’une contestation du caractère discriminatoire d’une mesure instaurée. À l’opposé des prétentions de l’Employeur, la Cour détermine que la preuve d’une discrimination découlant de préjugés, de stéréotypes ou du contexte social n’est pas nécessaire pour soutenir un recours en vertu de l’article 10 de la Charte, contrairement au recours fondé sur l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. En d’autres termes, il n’est pas obligatoire de prouver que le groupe discriminé se compose d’individus vulnérables pour qu’une mesure soit reconnue discriminatoire. Seuls trois éléments doivent être prouvés pour conclure cela, soit :

  • une « distinction, exclusion ou préférence » ;
  • fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa ;
  • qui « a pour effet de détruire ou de compromettre » le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne.

Essentiellement, pour conclure à la présence prima facie de discrimination, le guide ultime est la preuve d’un désavantage arbitraire. Dans le cas présent, la distinction salariale imposée aux étudiants uniquement et assumée dans les conventions collectives constitue la manifestation d’un tel désavantage.

2. La condition sociale comme motif illicite de discrimination

En second lieu, la Cour d’appel détermine que le statut d’étudiant fait partie de la notion de « condition sociale » prévue à la Charte. Pour en arriver à ce résultat, la Cour confirme l’application de la définition jurisprudentielle d’une « condition sociale » suivante :

« La situation qu’une personne occupe au sein d’une communauté en fonction de ses origines, de son niveau d’instruction, de son occupation, de son revenu et des perceptions et représentations qui se rattachent à certaines données objectives au sein de sa communauté, situation qui peut constituer un état temporaire ».

En l’espèce, la Cour d’appel détermine, sans qu’aucune preuve de la part d’un expert soit nécessaire, que les étudiants à l’emploi de l’Employeur constituent un groupe social identifiable dans la communauté et sont victimes de stéréotypes. Du fait de cette appartenance, ces étudiants ont été privés du droit fondamental de recevoir un traitement égal aux autres employés. Par ailleurs, les arguments voulant que le statut d’étudiant soit un choix personnel ou qu’il puisse s’agir d’un statut enviable ne permettent pas de justifier une mesure discriminatoire.

En l’absence de motif valable justifiant cette distinction salariale de la part de l’Employeur, la Cour d’appel confirme la décision initiale et les réparations octroyées par le Tribunal.

Quoi retenir ?

D’abord, cet arrêt est particulièrement intéressant puisque la Cour d’appel confirme qu’un recours pour « pratique discriminatoire » (art. 10 de la Charte) ne nécessite pas la preuve additionnelle d’une discrimination découlant de préjugés, de stéréotypes ou du contexte social. Autrement dit, bien qu’il puisse constituer un indice utile, cet élément ne fait pas partie intégrante du test à trois volets qu’il faut appliquer pour conclure à la présence de discrimination.

De plus, la Cour d’appel clarifie la définition de « condition sociale ». Essentiellement, cette notion fait référence au rang et à la place qu’occupe un individu dans la société. Ainsi, pour établir la présence de discrimination fondée sur ce motif, il suffit non seulement d’établir l’appartenance à un groupe social identifiable, mais en outre de démontrer que c’est en raison de cette appartenance que l’individu est visé par une distinction.

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