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Perspectives

Politique de vaccination obligatoire en milieu de travail : Un aperçu pour les employeurs canadiens

Considérations juridiques

Alors que la vaccination devient de plus en plus accessible, de nombreux employeurs à l’échelle mondiale considèrent l’option de la vaccination obligatoire des employés comme condition d’accès au milieu de travail, ainsi que l’éventail de questions qui s’y rattachent. Bien que les employeurs souhaitent aller de l'avant avec cette solution, la politique de vaccination obligatoire peut avoir des implications juridiques importantes, tout dépendant du lieu de résidence des employés.

Les employeurs auraient intérêt à se poser quelques questions supplémentaires avant d’agir, notamment :

Pourquoi les employeurs souhaitent-ils que leurs employés soient vaccinés?

La réponse à cette question peut paraître évidente, puisque les autorités gouvernementales et les médias ont présenté le vaccin comme le moyen par excellence de retrouver une vie « normale », y compris dans le cadre du milieu de travail.

Les employeurs peuvent en effet vouloir protéger la santé et la sécurité de leurs employés en limitant l’accès au milieu de travail aux individus pleinement vaccinés seulement, conformément à l’obligation légale partagée de tout employeur au Canada. Toutefois, les employeurs canadiens sont confrontés à une question complexe ; ils doivent déterminer si l’obligation de protéger la santé et la sécurité des employés justifie l’empiétement sur leur vie privée et la protection des droits de la personne garantis par le cadre juridique canadien. Malheureusement, la réponse à cette question n’est pas évidente. Nos voisins du Sud ont clairement adopté l’approche qui consiste à exiger la vaccination comme condition d’accès au milieu de travail dans bien des cas. Il est peut-être temps de se demander si la recrudescence des variants du virus et l’augmentation du nombre de cas à travers le monde inciteront nos gouvernements canadiens à adopter une approche similaire. D’ailleurs, nous avons déjà vu une province canadienne se tourner vers un système de passeport vaccinal en prévision d’une quatrième vague de COVID-19. Ainsi, les citoyens devront présenter leur preuve de vaccination via le système du passeport vaccinal pour accéder à certains lieux publics et entreprises non essentielles (excluant les fins relatives au travail). Ces mesures ont une grande portée et n’auraient probablement même pas été envisagées il y a quelques mois. Bien que cette mesure gouvernementale spécifique n’oblige pas actuellement les employeurs à imposer de telles conditions à leurs employés, ce type de proposition pourrait gagner en importance à l’avenir. Les employeurs pourraient être amenés à adopter des mesures similaires afin de respecter et justifier leur obligation de fournir un lieu de travail sûr et sain.

Cela dit, voici la question que les employeurs pourraient vouloir se poser à présent :

Est-ce qu’imposer la vaccination représente le moyen le plus efficace pour les employeurs de s’acquitter de leur obligation légale tout en atténuant les risques juridiques qui y sont associés?

Bien que la vaccination obligatoire comporte de potentiels risques juridiques, comme des plaintes en matière de droits de la personne et de protection de la vie privée, certains employeurs sont prêts à aller de l’avant avec l’application de ces mesures. Ils exigeraient que leurs employés soient entièrement vaccinés s’ils veulent réintégrer le lieu du travail et effectuer des tâches spécifiques impliquant un contact physique avec le public, des clients ou des voyages à des fins professionnelles. Si la vaccination obligatoire comporte des risques, d’autres mesures préventives peuvent contribuer à freiner efficacement la transmission du virus COVID-19 sur les lieux de travail (bureaux, commerces, etc.) et ainsi exposer les employeurs à moins de risques de poursuites judiciaires. Néanmoins, pour démontrer l’engagement de certains employeurs, examinons quelques développements récents aux États-Unis. Plusieurs grands cabinets d’avocats ont récemment indiqué que seuls les employés entièrement vaccinés auront accès à leurs bureaux. Au moins un cabinet juridique aurait déclaré que les employés n’ayant pas reçu leurs deux doses verront leur carte d’accès au bâtiment et au bureau désactivée. En outre, de nombreuses entreprises du classement Fortune 100 et 500 ont pris position publiquement en indiquant que leurs employés doivent être vaccinés pour travailler et voyager au nom de l’entreprise. De telles actions peuvent indiquer que certains employeurs adoptent une approche plus rigoureuse dans le but de protéger la santé et la sécurité de leurs employés. Dans le contexte du variant Delta, et à l’approche d’une quatrième vague, l’argument de la santé et de la sécurité nationale semble s’être imposé face aux protections de la vie privée et des droits de la personne.

Ce type d’approche sera-t-il adopté au Canada, et dans l’affirmative, quand? Comme la question évolue rapidement, il est fort possible que les entreprises canadiennes optent pour une approche plus stricte si la situation se détériore à l’automne. Les entreprises seront très probablement obligées de repousser leurs plans pour le retour au bureau en raison du variant Delta et de son effet sur la croissance du nombre de cas. Toutefois, les entreprises ne peuvent pas ignorer les réalités du cadre juridique canadien à l’heure actuelle.

Aperçu des considérations applicables

Tout d'abord, les employeurs ayant des activités à l'extérieur du Canada peuvent être surpris de découvrir que le fait d'imposer des vaccinations aux employés au Canada n'est pas une pratique répandue dans notre juridiction comme elle peut l'être, par exemple, au sud de la frontière. En effet, compte tenu de considérations juridiques particulières, comme les droits de la personne et la protection de la vie privée, les critères à respecter pour envisager une telle vaccination obligatoire au Canada sont particulièrement élevés, de même que les éventuels risques juridiques qui y sont liés.

Quelles sont les principales considérations juridiques que les employeurs canadiens doivent garder à l’esprit lorsqu’ils envisagent d’exiger la vaccination comme condition d’accès au milieu de travail?

La protection de la vie privée

Dans la majorité des provinces canadiennes, un employeur ne peut pas collecter, utiliser ou communiquer des renseignements personnels relatifs à ses employés qu’avec leur consentement et à des fins raisonnables.

S’il choisit d’imposer la vaccination comme condition d’accès au milieu de travail, un employeur devra nécessairement demander à ses employés : « Êtes-vous vacciné? », ce qui constituerait une collecte d'informations personnelles. Par conséquent, en plus d’obtenir le consentement des employés au préalable, l’employeur devra être en mesure de démontrer que cette collecte de renseignements vise des fins raisonnables. Voici des exemples de circonstances qui, en cas de contestation juridique, pourraient être considérées par nos tribunaux comme une fin raisonnable pour la collecte de ces informations dans le cadre d'une obligation de vaccination :

  • Un risque très élevé de transmission de la COVID-19 dans le milieu de travail particulier de l’employeur (par rapport à la société dans son ensemble), en raison de caractéristiques intrinsèques présentes au moment de la mise en œuvre de la politique de vaccination obligatoire;
  • L’impossibilité, ou la grande impraticabilité, d’instaurer d’autres mesures moins intrusives;
  • L’inefficacité démontrée d’autres mesures moins intrusives en raison de la nature du travail/du milieu de travail.

Même en l’absence de telles circonstances, on pourrait faire valoir que cette question est posée pour protéger la santé et la sécurité de TOUS les employés et qu’il ne s’agit pas d’une ingérence dans le droit à la vie privée de quiconque. À l’heure actuelle, l’opinion majoritaire semble estimer que cette nécessité de protéger la santé et la sécurité de l’employé ne constituerait pas en soi une fin raisonnable. Néanmoins, cet argument n’a pas été mis à l’épreuve. Il est certes attrayant, mais également très réaliste et plausible.

Les droits de la personne

La vaccination consiste en un traitement médical invasif, un choix personnel auquel chacun devrait pouvoir consentir ou refuser.

Conformément à la législation fédérale et provinciale sur les droits de la personne, les employés peuvent refuser de recevoir le vaccin sur la base des motifs de discrimination interdits (comprenant notamment, selon la législation applicable, l’invalidité [dont l’interprétation englobe la « condition médicale »] ainsi que la religion). L’employeur qui désire implanter une telle politique de vaccination obligatoire est tenu d’accommoder ses employés, jusqu’à la limite de la contrainte excessive. Une politique de vaccination obligatoire devrait non seulement être raisonnablement justifiée et nécessaire (les autres mesures, moins invasives, étant insuffisantes pour protéger la santé et la sécurité des employés). En outre, elle devrait également tenir compte de l'obligation de l'employeur de fournir des aménagements raisonnables aux employés qui refusent d’être vaccinés en raison de ces motifs protégés, jusqu’au point de contrainte excessive. Il convient de souligner que dans la province de Québec, la question est d’autant plus complexe car le cadre législatif entourant les droits de la personne défend à l’employeur de même questionner des candidats à un emploi sur les motifs interdits de discrimination dans le cadre d’entrevues. Dans ce contexte, il est difficile de concevoir que le Québec puisse instaurer une politique de vaccination obligatoire. Même si ces préoccupations sont bien réelles, les employeurs pourraient toujours faire valoir certains autres arguments.

Par exemple, ils pourraient contester la faisabilité réelle et continue du travail à distance. Les entreprises obtiennent-elles véritablement le travail attendu des employés qui travaillent à domicile? Les employeurs seraient-ils en droit de conclure et de faire valoir que ces considérations constituent désormais un cas de contrainte excessive? Bien que ce type d’argument ne soit pas valable en toute circonstance, certaines situations pourraient s’y prêter. Ces types de décisions doivent être appliqués au cas par cas et non suivant une approche universelle.

Conclusion

Si le vaccin est perçu par de nombreux employeurs comme un excellent outil de protection médicale, il est clair qu’il peut également constituer un risque juridique.

En revanche, il existe d’autres mesures qui, en l’absence de données scientifiques claires sur l’efficacité du vaccin, pourraient protéger tout aussi efficacement le milieu de travail, voire davantage. Les employeurs ne doivent dans tous les cas pas se contenter du fait que leurs employés soient vaccinés et négliger les mesures sanitaires et de distanciation physique, surtout lorsqu’elles demeurent obligatoires ou recommandées dans les zones où se trouvent leurs employés.

En somme, les employeurs qui imposent toute mesure susceptible d’affecter les droits de leurs employés ont intérêt à se préparer à défendre leurs décisions en cas de contestation. Pour y parvenir, ils sont invités à se poser les questions suivantes :

  • Les mesures imposées sont-elles nécessaires et justifiées compte tenu des circonstances spécifiques de notre milieu de travail eu égard au contexte et à la réalité de notre entreprise?
  • Utilisons-nous la mesure la moins intrusive possible pour atteindre notre objectif (en d’autres mots, imposer le vaccin à nos employés est-il le moyen le plus efficace d’éviter le risque de contagion)?
  • Respectons-nous l’ensemble des lois applicables et des directives actuelles du gouvernement, du conseil du travail et des autorités en matière de santé?
  • Protégeons-nous la vie privée des employés en tout temps?
  • Sommes-nous en conformité avec la législation sur les droits de la personne et accommodons-nous les employés lorsque cela est nécessaire (par exemple, pour des raisons religieuses ou médicales)?

Alors que les employés commencent à retourner au travail en grand nombre et que les employeurs se préparent pour l’automne, les employés auront inévitablement des questions concernant le futur de leur milieu de travail. Nous estimons essentiel que les employeurs envisagent sérieusement non seulement l’adoption d’une politique de télétravail ou de travail à distance afin de gérer le retour au bureau, surtout compte tenu des mesures sanitaires assouplies prévues par les différents gouvernements, mais qu’ils s’interrogent aussi sur la méthode la plus efficace pour freiner la transmission du virus dans l’environnement de travail qui leur est propre. En dépit des risques juridiques liés à l’imposition du vaccin, certains employeurs décideront tout de même de s’engager dans cette voie. À notre avis, il peut être légitime qu’ils procèdent ainsi, sans oublier toutefois qu’ils ne sont pas à l’abri de contestations judiciaires. Un plan de retour au travail bien conçu pourrait constituer un point de départ adéquat pour l’employeur qui souhaite démontrer à une cour ou un tribunal que sa décision a été mûrement réfléchie et pesée.

Pour toute questions concernant les enjeux des politiques de vaccination obligatoire, veuillez communiquez avec votre avocat BLG ou l’un des contacts ci-dessous.

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