une main qui tient une guitare

Perspectives

Une stratégie d’acquisition d’entreprise mise à épreuve dans un contexte de proposition concordataire

Questions en litige

Est ce qu’une créance relative à un solde de prix de vente d’actions, initialement due par une des deux entités ayant fusionné pour devenir la débitrice, constitue une réclamation relative à des capitaux propres au sens de l’article 2 (1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité1 (ci après la « LFI ») dans le cadre de la proposition de cette même débitrice?

Le cas échéant, quelles sont les conséquences pour le Vendeur?

Trame factuelle

En juin 2019, la Fiducie Alain Masse (le « Vendeur ») vend les actions qu’elle détient dans Azoxco Cryogénique inc. (la « Cible ») à 9397 5530 Québec inc. (l’« Acquéreur ») pour approximativement $4M. Une portion de ce prix est payée lors de la clôture de la transaction, alors qu’une autre portion est payable à terme (le « Solde de prix de vente »). Le Solde de prix de vente est garanti par une hypothèque grevant l’universalité des biens meubles de la Cible.

Le jour même où la transaction devient exécutoire, la Cible et l’Acquéreur fusionnent. Cette fusion était prévue à la convention de vente d’actions. La résultante de cette fusion portera elle aussi le nom Azoxco Cryogénique inc. (la « Résultante »). Il s’agit d’une stratégie d’acquisition fréquemment utilisée pour diverses raisons que ce soit pour faciliter le financement d’une acquisition ou pour protéger les attributs fiscaux de certaines actions. Conformément aux dispositions de l’article 286 de la Loi sur les sociétés par actions2 (ci-après la « LSAQ »), la Résultante assume tous les passifs de la Cible et de l’Acquéreur, dont l’obligation de payer le Solde de prix de vente.

Dans l’affaire sous étude, un litige éclate entre le Vendeur et la Résultante eu égard aux représentations faites lors de la vente et le 25 août 2020, le Vendeur institue des procédures contre la Résultante en réclamation du Solde de prix de vente. La Résultante se porte demanderesse reconventionnelle pour la somme de 2,5M$, alléguant notamment avoir été victime de fausses représentations par le Vendeur dans le cadre de la vente.

Le 19 février 2021, la Résultante dépose un avis d’intention de faire une proposition auprès de Ginsberg, Gingras et Associés (le « Syndic »). Le 19 juin, elle dépose une proposition adressée à ses créanciers non garantis seulement.

Le 7 juillet, le Vendeur dépose une preuve de réclamation non garantie pour l’intégralité du Solde de prix de vente (la « Preuve de réclamation ») et inscrit un vote contre la proposition. Compte tenu du montant du Solde de prix de vente, le vote du Vendeur est à lui seul suffisant pour faire tomber la proposition. Ultimement, le vote du Vendeur est le seul contre la proposition.

Suite à un ajournement de l’assemblée des créanciers et l’obtention par le Syndic d’une opinion juridique quant au statut de la réclamation du Vendeur, le Syndic admet la Preuve de réclamation telle que déposée et rejette la position de la Résultante à l’effet qu’il s’agirait d’une réclamation relative à des capitaux propres. Cette décision aurait pour effet de condamner la Résultante à la faillite lors de la reprise de l’assemblée des Créanciers.

La Résultante en appelle immédiatement de la décision du Syndic et demande à la Cour, dans ses conclusions principales, de déclarer que la réclamation, si elle est valide au mérite, en est une relative à des capitaux propres au sens de l’article 2 (1) de la LFI et que, par conséquent, elle ne confère aucun droit de vote au Vendeur conformément à l’article 54.1 de la LFI. Dans ses conclusions alternatives, la Résultante demande à la Cour de suspendre l’effet du vote du Vendeur jusqu’au dénouement du litige civil eu égard au Solde de prix de vente.

Décision intérimaire

Le 10 septembre 2021, le juge David Collier suspend temporairement l’effet du vote par les créanciers de la Résultante jusqu’à jugement final sur le débat quant à la qualification de la Preuve de réclamation conformément aux dispositions de l’article 115.1 LFI.

Analyse

Le 1er octobre 2021, l’honorable juge Danielle Turcotte accueille les arguments de la Résultante dans une décision succincte, mais limpide quant à l’analyse que la Cour doit effectuer afin de déterminer si une réclamation constitue une réclamation relative à des capitaux propres.

La juge Turcotte débute son analyse en rappelant que le détenteur d’une action émise par une société par actions possède un « intérêt relatif à des capitaux propres » au sens de l’article 2 (1) de la LFI. La Juge Turcotte, en se basant sur le paragraphe d) de la définition de « réclamation relative à des capitaux propres », continue son analyse en indiquant qu’un solde de prix de vente relatif à la vente d’actions dû à un actionnaire constitue quant à lui une créance relative à des capitaux propres.

En ce qui concerne l’effet de la fusion entre la Cible et l’Acquéreur, la Juge Turcotte explique que la fusion n’a pas eu pour effet de modifier la nature de la réclamation du Vendeur, mais qu’en vertu de l’article 286 de la LSAQ, l’effet juridique d’une fusion sur les droits et obligations des entités fusionnantes est très clair : ils deviennent ceux de la société issue de la fusion. Par conséquent, l’obligation qui incombait initialement à l’Acquéreur quant au paiement du Solde de prix de vente incombe maintenant à la Résultante, le tout sans affecter la nature de la réclamation.

Finalement, la Juge Turcotte rappelle les enseignements de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Sino Forest Corporation3 (Re) quant à l’interprétation de l’expression « relatif à » utilisée dans la définition de « réclamation relative à des capitaux propres ». Cette expression, afin de donner tout son sens au vocabulaire utilisé par le législateur, doit être interprétée très largement par les tribunaux et l’analyse de la Preuve de réclamation doit porter sur la nature de celle ci plutôt que l’identité du réclamant.

Conséquences pour le Vendeur

Les Conséquences de cette décision pour le Vendeur sont multiples et importantes.

Tout d’abord, le Vendeur ne pourra voter sur la proposition lors de l’assemblée des créanciers conformément aux dispositions de l’article 54.1 LFI. Dans les circonstances particulières de ce dossier, cela signifie que la proposition recevra le support de la majorité statutaire des créanciers (50%+1 en nombre et 66,66% en valeur).

Puis, le Vendeur ne pourra recevoir aucun dividende eu égard à sa Preuve de réclamation avant que tous les autres créanciers ordinaires aient été payés en totalité, conformément aux dispositions des articles 60 (1.7) et 140.1 LFI. Dans les circonstances de la proposition, où le montant payable aux créanciers ordinaires est moindre que le montant total des créances des créanciers ordinaires, cela signifie que le Vendeur ne recevra aucun dividende dans le contexte de la proposition.

Conclusion

C’est d’abord et avant tout sur la nature de la réclamation plutôt que le statut de la débitrice fusionnée que le Tribunal doit se pencher afin de déterminer si la réclamation en question constitue une réclamation relative à des capitaux propres.

Cette détermination doit être effectuée en utilisant une interprétation large et libérale de ce que signifie un intérêt « relatif à » des capitaux propres, le tout afin de respecter l’intention du législateur.
Par ailleurs, cette décision met à jour un risque important pour le vendeur des actions dans une transaction financée par un solde de prix de vente impliquant la fusion de l’entité opérante et de l’acquéreur des actions.

Enfin, cette décision met en évidence l’importance de l’évaluation de la garantie et l’établissement de la portion non-garantie par un créancier garanti dans le contexte d’une proposition.

Une déclaration d’appel a été déposée le 12 octobre 2021 relativement à la décision de Mme la Juge Turcotte.


1 L.R.C. (1985), c. B 3, art. 2(1).

2 RLRQ, c. S 31.1, art. 286.

3 Sino Forest Corporation (Re), 2021 ONCA 816, par. 37 à 41.

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