une main qui tient une guitare

Perspectives

Changements immédiats et permanents à la réglementation canadienne sur le recyclage des produits de la criminalité

Conséquences pour les services de plateforme de sociofinancement, certaines sociétés de technologies financières et les fournisseurs de services de paiement

À la suite de l’annonce de changements à venir en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, que nous avons d’ailleurs abordés dans un récent article visant à mettre en garde les acteurs concernés, le gouvernement fédéral a publié une première série de modifications dans la Gazette du Canada le 27 avril 2022 (les « modifications »).

Ces dernières sont entrées en vigueur le 5 avril 2022, date de l’adoption du Règlement modifiant le Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et le Règlement sur les pénalités administratives — recyclage des produits de la criminalité et financement des activités terroristes. Vous trouverez ci-après un aperçu des principales incidences des modifications sur le Régime de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (« Régime de LRPC/FAT »). Toutes les entreprises nouvellement visées doivent s’enregistrer auprès du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (« CANAFE ») et voir à ce que leurs programmes, politiques et protocoles de conformité soient mis à jour afin de tenir compte des modifications.

Par ailleurs, le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation publié par le ministère des Finances en lien avec ces changements confirme que ceux-ci sont immédiats et sont de nature permanente – plutôt que temporaire. Ces changements feront en sorte que les obligations en matière de conformité du Régime de LRPC/FAT s’appliqueront désormais à environ 1 000 services de plateforme de sociofinancement et fournisseurs de services de paiement. Ces changements réglementaires ont été mis en place rapidement en réponse aux mesures temporaires prises en février 2022 dans le but de restreindre le financement des blocages illégaux à Ottawa. De plus, le gouvernement fédéral a déclaré que les modifications visaient aussi à prendre en compte les recommandations du Groupe d’action financière (« GAFI ») concernant les risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme associés à l’arrivée sur le marché de solutions et de pratiques commerciales inédites, notamment l’utilisation de mécanismes de distribution novateurs et de technologies nouvelles et émergentes.

Réglementation des services de plateforme de sociofinancement à titre d’entreprises de services monétaires (« ESM »)

L’un des changements notables apportés au Régime de LRPC/FAT fédéral est la catégorisation des services de plateforme de sociofinancement à titre d’entreprises de services monétaires (ESM)soumises à la surveillance du CANAFE, principal organisme de surveillance et d’encadrement de la lutte contre le blanchiment d’argent au Canada.

Les services de plateforme de sociofinancement devront donc désormais être enregistrés auprès du CANAFE comme ESM. Le nouveau règlement définit comme suit la notion de service de plateforme de sociofinancement : « [l]a fourniture et la maintenance d’une plateforme de sociofinancement destinée à être utilisée par d’autres personnes ou entités afin de recueillir des fonds ou de la monnaie virtuelle pour leur propre compte ou au bénéfice de personnes ou entités qu’elles désignent ». Il définit en outre une plateforme de sociofinancement comme « [un] site Web ou [une] application ou [un] autre logiciel permettant de recueillir des dons sous forme de fonds ou de monnaie virtuelle ».

Depuis le 5 avril 2022, tout service de plateforme de sociofinancement œuvrant au Canada ou desservant des personnes ou des entités situées au Canada est considéré comme une ESM (canadienne ou étrangère, selon le cas) et doit s’inscrire auprès du CANAFE comme tel. Cette nouvelle exigence s’accompagne d’obligations liées au Régime de LRPC/FAT, notamment la déclaration d’opérations douteuses et particulièrement importantes (en monnaie fiduciaire ou virtuelle), la tenue de dossiers, la connaissance du client et la mise en place d’un programme de conformité.

Sociétés de technologies financières (fintech) et fournisseurs de services de paiement : changement fondamental aux obligations réglementaires liées au traitement des paiements aux commerçants

En plus des nouvelles exigences pour les services de plateforme de sociofinancement, le règlement introduit un changement encore plus important qui vient modifier fondamentalement le secteur des services financiers canadien : la modification de la définition d’un « transfert électronique de fonds » (« TEF ») pour y supprimer les exemptions liées au traitement des paiements pour les commerçants.

Cette suppression, qui doit être analysée à la lumière du récent bulletin du CANAFE à ce sujet et du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation du ministère des Finances, vient confirmer que les entités qui traitent des paiements pour des commerçants sont maintenant tenues de s’inscrire auprès du CANAFE à titre d’entreprises de services monétaires, d’élaborer un programme de conformité, de déclarer toute opération douteuse et de respecter toutes les obligations du Régime de LRPC/FAT touchant aux TEF (p. ex. en matière de déclaration, de connaissance du client et de tenue de dossiers).

Qui plus est, le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation indique que les modifications « élargiront les obligations relatives au Régime de LRPC/FAT en vue d’inclure un éventail plus large de fournisseurs de services de paiement, étant donné qu’un grand sous-ensemble de ce secteur [y] est déjà assujetti [...]. Cela comprend la suppression des exemptions pour le traitement des paiements de crédit, de débit et de produits prépayés en vertu de la définition de transfert électronique de fonds afin d’élargir les obligations en vue d’inclure les fournisseurs de services de paiement qui font affaire à l’égard de ces activités ».

Cette annexe aux modifications précise également qu’« en raison de ce changement stratégique, le CANAFE révisera son interprétation des exigences existantes en vue d’inclure les entreprises qui offrent certains services de paiement, car les fournisseurs de services de paiement sont visés par la Loi. Cela comprendrait les entreprises qui fournissent des services aux commerçants (c’est-à-dire la fourniture de règlements directement aux commerçants au nom des clients du commerçant pour l’achat de produits et de services), ainsi que le traitement des paiements pour les factures de services publics, les hypothèques et les loyers, la paie et les frais de scolarité ».

Le CANAFE a d’ailleurs récemment déclaré explicitement qu’il changeait sa position quant à son interprétation de novembre 2016 en lien avec les services et le traitement de paiements relatifs aux commerçants (politique PI-7670). Cette interprétation menait à l’exemption claire des exigences imposées aux ESM, et ce, pour les paiements connexes à un autre service (qui n’est pas un service de transfert de fonds) ou effectués en vue d’acquérir des biens et services.

Mesures à prendre sans tarder par les entreprises visées

Tel qu’il a été souligné précédemment, aucune période de grâce ne sera accordée aux entités visées. Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation mentionne toutefois que « le CANAFE [axera] ses activités de conformité concernant les exigences en matière d’enregistrement et de sensibilisation des secteurs touchés sur leurs obligations en vertu [du Régime de LRPC/FAT]. L’objectif principal est de sensibiliser les entités et de leur permettre de renforcer un programme de conformité avant tout examen de conformité par le CANAFE. Cette approche vise à limiter les répercussions sur l’industrie et à éviter dans la mesure du possible des coûts inutiles ».

Le CANAFE a de plus reconnu dans son bulletin « qu’il y aura des difficultés à remplir certaines des obligations ». L’organisme « sera donc raisonnable dans son évaluation et son approche de l’application des exigences, en plus d’être déterminé à travailler avec les entités déclarantes assujetties [au Régime de LRPC/FAT] pour accroître leur sensibilisation, leur compréhension et leur conformité à l’égard de leurs obligations ».

L’obligation la plus pressante pour les fournisseurs de services de paiement et les services de plateforme de sociofinancement est donc de s’inscrire auprès du CANAFE; ils pourront ensuite élaborer leur programme de conformité afin de respecter les exigences applicables concernant les TEF.

Puisque la législation québécoise suit souvent les tendances fédérales en ce qui concerne les activités des ESM, les fournisseurs de services de paiement et les services de plateforme de sociofinancement au Québec se trouveront probablement assujettis aux mêmes obligations.

De surcroît, le CANAFE et le ministère des Finances ont mentionné qu’une mise à jour des recommandations du CANAFE serait éventuellement publiée, afin de tenir compte des modifications faisant l’objet de ce bulletin. Nous espérons y retrouver des précisions quant à la portée pratique et à l’incidence des nouvelles règles pour les fournisseurs de services de paiement et les services de plateforme de sociofinancement.

Pour plus de détails sur les lois canadiennes contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes ou sur d’autres questions réglementaires liées aux services financiers, n’hésitez pas à communiquer avec l’un des auteurs ci-dessous.

Principaux contacts