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Perspectives

Modalités imprécises : absence d’une entente officielle sur les projets de construction

Les parties qui s’associent pour des projets de construction et qui ne rédigent pas de contrat en bonne et due forme pourraient faire face à des incertitudes quant à leurs droits en cas de problème. Bien que la loi fasse état d’un lien conventionnel véritable en l’absence d’un contrat solennel, la Cour suprême de la Colombie-Britannique et la Cour provinciale de l’Alberta ont récemment tiré des conclusions opposées à l’égard des conditions qui rendent cela possible.

Dans l’affaire Hodder Construction (1993) Ltd. v. Topolnisky2021 BCSC 666, un entrepreneur a intenté une action contre une propriétaire relativement à la construction d’une maison. Un an après le début du projet, des problèmes ont commencé à apparaître. Les coûts se sont mis à dépasser les prévisions et la propriétaire a pris du retard dans les paiements. Quelques mois plus tard, l’entrepreneur général s’est retiré du projet, a enregistré un privilège de construction et a poursuivi la défenderesse pour 359 400 $ de factures impayées. Cette dernière a déposé une demande reconventionnelle, alléguant que l’entrepreneur n’avait pas mené à bien le projet et soulignant certaines lacunes. Les parties n’avaient jamais signé de contrat en bonne et due forme. Malgré un grand nombre de messages textes, de lettres, de courriels et de discussions en personne, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a jugé qu’aucun contrat ne liait les parties.

En outre, la Cour a statué qu’une entente entre les parties n’était pas suffisante pour constituer un contrat de construction exécutoire. Elle a conclu qu’en règle générale, un contrat de construction exécutoire exige un accord de volonté sur la nature des travaux, l’échéancier et le coût. Bien que les tribunaux puissent examiner des facteurs externes pour déterminer les intentions objectives des parties, ces facteurs ne peuvent pas avoir pour effet d’établir un nouveau contrat que les parties n’ont jamais eu l’intention de conclure.

Dans le cas qui nous intéresse, les parties ne se sont entendues ni sur l’échéancier, ni sur la structure tarifaire, ni sur un prix forfaitaire. La seule conclusion de la Cour quant à l’existence d’une entente concernait le fait que les parties avaient convenu que le demandeur agirait comme entrepreneur général. La Cour a estimé que la délivrance et le paiement d’une facture en l’absence d’un contrat en bonne et due forme pouvaient démontrer un accord de volonté sur les modalités essentielles, pourvu que la facture soit suffisamment détaillée. Il s’agit cependant d’une analyse très factuelle qui, en l’espèce, dépend du contenu des factures. Dans une autre affaire jugée par la Cour suprême de la Colombie-Britannique, Greenhill Properties (1977) Ltd. v. Sandcastle Recreation Centre Ltd., l’existence d’un contrat exécutoire a été établie malgré l’absence d’une entente écrite. Toutefois, la facture comprenait une liste détaillée des coûts, une majoration de 8 % ainsi que des frais généraux de 3 %.

Dans ce dossier, la Cour a ultimement rejeté la plainte pour rupture de contrat de l’entrepreneur, estimant qu’il n’existait pas de contrat. Néanmoins, afin que l’entrepreneur soit un tant soit peu indemnisé pour les travaux et les matériaux liés au projet, la Cour a appliqué le principe du quantum meruit et lui a accordé 199 879,16 $. Quant à lui, le propriétaire a présenté une demande reconventionnelle de 131 094 $ dans laquelle il prétendait que l’entrepreneur avait fait preuve de négligence en déclarant qu’il mènerait à bien les travaux pour une somme d’argent précise. Après une analyse factuelle détaillée, la Cour a déterminé que les parties n’avaient jamais déterminé avec certitude les modalités relatives au prix. Elle a soutenu qu’en l’absence d’un contrat obligatoire, la notion de relation quasi contractuelle pouvait soutenir une réclamation pour assertion négligente, et qu’un devis raisonnablement fondé d’un constructeur se présentant comme ayant des connaissances et des compétences suffisantes pouvait constituer la base de ces modalités. Toutefois, un simple devis ne suffit pas s’il ne s’accompagne pas d’une discussion approfondie ou d’une entente sur la nature et la qualité du travail. Pour ces motifs, la Cour a rejeté la demande reconventionnelle du propriétaire.

À l’inverse, dans Jomha v Dergousoff2021 ABPC 268, la Cour provinciale de l’Alberta a conclu qu’il existait bel et bien un contrat entre les parties malgré l’absence d’une entente solennelle. Dans cette affaire, le plaignant, Nezar Jomha, avait retenu les services du défendeur pour la réfection de son sous-sol. Toutefois, le projet a pris du retard et les coûts ont augmenté. Le défendeur a abandonné le chantier après que le plaignant eut refusé de lui verser 19 000 $. Ce dernier a affirmé que le défendeur était l’entrepreneur général pour ce projet, que le prix convenu était de 50 000 $, versés sous la forme d’une somme forfaitaire, et que le défendeur avait accepté de couvrir les coûts de la main-d’œuvre et des matériaux liés aux travaux de rénovation à l’intérieur. Le défendeur a soutenu que, selon les modalités de l’entente, il se devait d’essayer de terminer le projet pour 50 000 $, mais que le plaignant couvrirait le coût des principaux matériaux (p. ex., armoires, couvre-planchers) et des corps de métier. Le défendeur a déposé une demande reconventionnelle de 19 000 $ pour les montants impayés.

La Cour a estimé qu’il y avait un contrat, mais la base sur laquelle elle s’est appuyée n’est pas claire. Elle a admis que les positions des parties quant aux modalités du contrat divergeaient fortement, et que la relation contractuelle était encore en cours d’évolution. En somme, bien qu’elle ait semblé reconnaître qu’il n’y avait pas d’accord de volonté entre les parties et que la question de l’injustice n’était pas suffisante pour invalider un contrat, la Cour était réceptive à l’idée de reconnaître l’existence d’un contrat valide puisque les modalités non écrites étaient manifestement injustes pour le défendeur. Contrairement à l’affaire Hodder, la Cour a déterminé qu’un contrat exécutoire existait dans le cas de Jomha malgré l’absence d’un accord de volonté sur certaines modalités. Finalement, la Cour a accordé 19 000 $ à l’entrepreneur sans néanmoins se prononcer clairement sur les modalités essentielles décrites dans Hodder. En outre, elle a déterminé que l’obligation de l’entrepreneur en vertu du contrat était de fournir des services de rénovation compétents, ce qu’il a fait, et que celle du plaignant était de régler son compte en temps opportun, ce qu’il n’a pas fait.

Points à retenir

Au vu de ces décisions, la pratique optimale pour les parties qui entreprennent des projets de construction est de se conformer aux principes de l’affaire Hodder, lesquels s’appuient sur des notions juridiques bien établies. Plus particulièrement, les parties à un contrat de construction doivent s’assurer que les principales modalités sont définies dans une entente écrite solennelle. Au bout du compte, que leur contrat soit verbal ou écrit, les parties doivent en établir les modalités avec certitude. Une entente écrite comprenant des modalités claires sur l’ensemble des éléments du contrat (échéancier du projet, coûts, structure tarifaire, etc.) est préférable et permettra d’éviter les litiges comme ceux décrits plus haut.

Si vous avez des questions sur le présent article ou toute autre préoccupation en matière de construction, n’hésitez pas à communiquer avec l’un·e de nos avocat·es en droit de la construction.

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