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ARTICLE

Appel d’offres : quand les circonstances transforment une irrégularité majeure en irrégularité mineure

Une soumission entachée d’une irrégularité auparavant qualifiée de majeure par nos tribunaux mérite-t-elle d’être automatiquement écartée par un organisme public? La Cour supérieure a dû trancher cette question dans un jugement rendu en janvier 2023 au sujet d’un processus public d’appel d’offres, dans Location Martin-Lalonde inc. c. Municipalité de Mansfield-et-Pontefract (2023 QCCS 27).

Contexte

Dans le récent dossier Location Martin-Lalonde inc. c. Municipalité de Mansfield-et-Pontefract, la municipalité a lancé un appel d’offres public dans le but d’obtenir des soumissions relativement à la collecte des ordures ménagères, des matières recyclables et des encombrants sur son territoire (l’« Appel d’offres »). Seules deux entreprises ont déposé une soumission, dont la demanderesse, Location Martin-Lalonde inc. (« LML »). La municipalité a plutôt accordé le contrat de cinq ans (le « Contrat ») à l’autre soumissionnaire, bien que la soumission de ce dernier était non conforme aux conditions essentielles de l’Appel d’offres, un point sur lequel a subséquemment tranché le tribunal.

LML prétend alors que le Contrat aurait dû lui être octroyé et réclame à la municipalité un montant de 108 360 $ à titre de dommages-intérêts résultant de la perte de profit liée à cette décision. La municipalité prétend cependant que, même si la soumission de l’autre soumissionnaire n’était pas conforme, celle de LML n’était pas davantage admissible et que son recours en dommages-intérêts doit échouer.

Les clauses générales de l’Appel d’offres comprenaient en effet un article exigeant des soumissionnaires de fournir une lettre d’engagement d’une compagnie d’assurances, garantissant l’exécution et les obligations de l’entrepreneur pour gages, matériaux et services, sous forme de cautionnement d’une valeur de 5 000 $; LML n’a pas fourni cette lettre.

Analyse

La question en litige porte essentiellement sur le degré d’irrégularité, mineure ou majeure, que représente l’omission de LML de fournir la lettre d’engagement d’un assureur dans le cadre de sa soumission.

Dans l’arrêt Tapitec inc., la Cour d’appel rappelait en 2017 qu’en matière d’appel d’offres émis par un organisme public, même si ce dernier possède une certaine discrétion pour accepter une soumission, l’organisme public doit rejeter les soumissions qui ne satisfont pas aux exigences essentielles ou substantielles de l’appel d’offres.

Cette même Cour a également édicté en 2019 que le principe de « l’égalité des soumissionnaires » constitue le facteur déterminant pour qualifier une irrégularité de majeure ou mineure. Une irrégularité mineure n’a pas d’effet sur le prix de la soumission ou sur une exigence de fond stipulée dans l’appel d’offres; en revanche, une irrégularité majeure entraîne le rejet immédiat de la soumission, un point déjà clarifié par la Cour.

Le tribunal a alors procédé au test en trois étapes de l’arrêt Tapitec inc., précité, afin de déterminer si l’exigence au cœur du litige était essentielle ou substantielle1.

Après avoir conclu que l’exigence de fournir une lettre d’engagement n’était pas d’ordre public, le tribunal a constaté que les clauses générales de l’Appel d’offres indiquaient expressément que cette exigence constituait un élément essentiel du Contrat.

Toutefois, la dernière étape du test a fait pencher la balance du côté de la demanderesse : celle demandant d’évaluer si l’exigence traduit un élément essentiel ou accessoire de l’Appel d’offres, à la lumière des usages, des obligations implicites et de l’intention des parties.

En effet, le tribunal a analysé la preuve des parties afin de conclure en faveur du soumissionnaire lésé. Rappelons que la valeur du cautionnement exigé ne s’élevait qu’à 5 000 $ et que cette exigence avait pour but de garantir l’exécution d’un contrat d’une valeur d’environ 145 000 $ par année. Cette formalité représente alors moins de 3,5 % de la valeur annuelle du Contrat : une somme dérisoire pour une clause qui devrait servir à protéger la municipalité d’un éventuel entrepreneur irresponsable.

D’ailleurs, l’interrogatoire du représentant de la municipalité a révélé que cette dernière n’a jamais demandé à l’adjudicataire initial du Contrat de lui fournir un tel cautionnement, alors que celui-ci n’a jamais rempli l’obligation contenue dans cette clause pendant toute la durée du Contrat. Également, dans son rapport d’analyse des deux soumissions reçues, le représentant n’a même pas listé la lettre d’engagement comme étant un document obligatoire pour adjuger le Contrat.

Même si le tribunal a déterminé lors de jugements précédents qu’un manquement à une telle obligation constituait une irrégularité majeure, les montants garantis à l’époque étaient beaucoup plus substantiels que celui exigé en l’espèce2.

Pour toutes ces raisons, le tribunal qualifie la présente irrégularité de mineure, concluant ainsi que le défaut de LML ne rendait pas sa soumission non conforme aux exigences essentielles de l’Appel d’offres. La municipalité aurait dû lui attribuer le Contrat dans le cadre de l’Appel d’offres et le tribunal condamne Mansfield-et-Pontefract à verser à LML les dommages-intérêts demandés.

Point à retenir

Ce jugement de la Cour supérieure rappelle que l’intention des parties et les usages sont non négligeables lorsque vient le temps d’analyser le degré d’une irrégularité tirée d’une soumission dans le cadre d’un appel d’offres.


1 Tapitec inc. c. Ville de Blainville, 2017 QCCA 317, par. 20.

2 Voir Installations Électriques Dépôt (1989) inc. c. Ville de Granby, 2000 CanLII 19318, par. 62, 68 et 69; Climatisation Bativac inc. c. École de technologie supérieure, 2016 QCCS 665, par. 51.

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