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Perspectives

Congédiement expéditif à l’ère du #moiaussi : faut-il tenter à tout prix de protéger la réputation de l’entreprise?

L’employeur est tenu de se doter d’un plan de prévention du harcèlement et d’enquêter sur tout incident.

Le harcèlement est inacceptable. De fait, en vertu de l’alinéa 3(1)(c) de l’Occupational Health and Safety Act (loi sur la santé et la sécurité au travail) de l’Alberta, l’employeur est tenu de fournir à tous les membres de son personnel un milieu de travail exempt de harcèlement. Il pourrait donc être tenté de congédier hâtivement un employé présumé avoir commis des actes de harcèlement, avant de faire une véritable enquête, surtout si l’employé en question est connu et si les accusations sont rendues publiques, pour bien montrer qu’il ne tolère absolument pas le harcèlement et pour protéger la réputation de l’entreprise. Cette décision l’expose toutefois à un risque énorme, bien pire que le procès pour congédiement injustifié.

Dispositions législatives

L’employeur est tenu de se doter d’un plan de prévention du harcèlement et d’enquêter sur tout incident1. S’il ne fait pas enquête, il n’encourt pas nécessairement la sanction maximale, mais une première infraction à l’Occupational Health and Safety Act est tout de même passible d’une amende pouvant atteindre 500 000 $ et d’une peine d’emprisonnement maximal de six mois2.

Dommages-intérêts majorés

L’employeur qui ne fait pas dûment enquête encourt par ailleurs des dommages-intérêts majorés. Les tribunaux ont établi qu’il n’y a pas lieu de sanctionner l’employeur pour la seule raison que son enquête est bâclée3, tout en insistant sur les répercussions dévastatrices de fausses allégations sur la personne accusée de harcèlement4. Une enquête bâclée peut donc donner lieu à des dommages-intérêts majorés.

Dans l’affaire Lalonde v. Sena Solid Waste Holdings Inc., M. Lalonde s’est vu congédié pour manquement aux procédures de sécurité ainsi qu’aux directives de son supérieur. L’enquête interne était lacunaire à plusieurs égards :

  • L’employeur a congédié M. Lalonde deux jours après lui avoir imposé une suspension, même si celui-ci n’avait pas encore répondu aux allégations;
  • M. Lalonde n’a pas eu la possibilité d’expliquer la conduite qui lui était reprochée;
  • L’employeur n’a pas tenu compte de la lettre envoyée par un collègue de M. Lalonde affirmant que ce dernier n’avait rien fait de mal.

Estimant que l’employeur avait préféré [traduction] « tirer d’abord et poser des questions ensuite », la Cour a conclu que l’enquête interne tenait de la farce et que l’affaire avait causé une lourde détresse psychologique à M. Lalonde. Celui-ci s’est vu accorder des dommages-intérêts majorés de 75 000 $5.

Si une enquête lacunaire donne lieu à des dommages-intérêts substantiels, l’absence d’enquête pourrait logiquement se solder par des sommes supérieures.

Action dérivée

Certains employeurs considèrent que les amendes et les dommages-intérêts majorés prévus par la loi sont un compromis acceptable du moment qu’ils protègent la réputation de leur société. Mais les conséquences sont beaucoup plus lourdes si les actionnaires estiment que le défaut de faire enquête porte préjudice à la compagnie.

Les administrateurs ont l’obligation d’agir avec honnêteté et de bonne foi dans l’intérêt de la société. Ils doivent en outre agir avec soin, rapidité et compétence, comme le ferait une personne raisonnablement prudente dans des circonstances similaires6. Le manquement à ces obligations peut engager leur responsabilité personnelle. Puisque la loi oblige l’entreprise à enquêter sur des allégations de harcèlement, comment croire que le choix de ne pas faire enquête est dans l’intérêt de l’entreprise? En effet, en vertu de l’article 240 de la Business Corporations Act (loi sur les sociétés commerciales) de l’Alberta17, une personne – un actionnaire, par exemple – peut, au moyen d’une action dérivée, demander à la cour l’autorisation de poursuivre l’administrateur présumé fautif, au nom de l’entreprise, pour préjudice causé à celle-ci.

La jurisprudence américaine offre un exemple d’action dérivée dans le contexte d’une allégation de harcèlement sexuel : l’arrêt City of Monroe Employees’ Retirement System, derivatively on behalf of Twenty-First Century Fox, Inc. v. Rupert Murdoch, et al. En l’occurrence, plusieurs employés de la Twenty-First Century Fox (Fox) avaient été accusés de harcèlement sexuel et de discrimination raciale par de multiples victimes présumées.

La partie demanderesse a fait valoir que les obligations de loyauté et de bonne foi des administrateurs de Fox comportaient celle d’enquêter de bonne foi sur des infractions notoires aux dispositions législatives et aux politiques internes sur le harcèlement sexuel et la discrimination. Elle affirmait que le manquement des administrateurs à leur obligation de diligence avait porté un grave préjudice à la compagnie sous forme d’amendes, de dommages-intérêts, de frais de règlement, de dépenses et d’une surveillance réglementaire accrue8. L’affaire s’est soldée par un versement de 90 millions de dollars de Fox à la partie demanderesse.

La véracité des allégations n’a jamais été prouvée en cour, mais les arguments dans la plainte donnent une idée des facteurs à considérer avant de procéder au congédiement.

Matière à réflexion

Loin de protéger la réputation de l’entreprise, un congédiement soudain peut inciter le marché à croire que l’entreprise n’a pas de politique appropriée sur la question du harcèlement sexuel, ce qui nuira à sa réputation.

Par ailleurs, les frais découlant des réclamations pour congédiement injustifié, des amendes prévues par la loi et des dommages-intérêts punitifs, dont une bonne part pourrait être évitée par la tenue d’une enquête appropriée, peuvent inciter les actionnaires à intenter une action dérivée contre les administrateurs et les dirigeants de l’entreprise pour défaut d’application de la politique contre le harcèlement sexuel ou pour manquement à l’obligation légale de faire enquête.

Même si les demandeurs sont déboutés et que la responsabilité personnelle des administrateurs n’est pas engagée, l’entreprise est tout de même exposée à un coût d’option élevé, puisque les démêlés judiciaires des cadres supérieurs et des administrateurs empêcheront ceux-ci de se consacrer à la direction de l’entreprise. Cette perturbation des activités peut être plus lourde de conséquences que les répercussions juridiques. Du reste, rien ne prouve que le fait de reporter le congédiement au terme d’une enquête en bonne et due forme aggrave les dommages causés à la réputation de l’entreprise. Au contraire, un congédiement immédiat, sans enquête, peut augmenter les coûts pour l’entreprise, sans que sa réputation y gagne quoi que ce soit. Conclusion : avant de décider de congédier un employé accusé de harcèlement, l’employeur doit tenir compte de facteurs autres que les seules conséquences d’un congédiement injustifié.


1 Occupational Health and Safety Code, Alta Reg 87/2009, art. 390.4, 391, 391.1.

2 Occupational Health and Safety Act, RSA 2000, c O-2, al. 41(1)(a).

3 Elgert v. Home Hardware Stores Limited, 2011 ABCA 112, para. 88.

4 Smith v. Vauxhall Co-Op Petroleum Limited, 2017 ABQB 525, para. 84.

5 Lalonde v. Sena Solid Waste Holdings Inc., 2017 ABQB 374, para. 72, et 80-81.

6 Business Corporations Act, RSA 2000, c B-9, art. 122.

7 Ibid, art. 240.

8 City of Monroe Employees’ Retirement System, derivatively on behalf of Twenty-First Century Fox, Inc. v. Rupert Murdoch, et al, C.A. No. 2017-0833-AGB (Verified Derivative Complaint, para. 206 et 208).

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